L’avis de... Jean-Pierre Martignoni-Hutin est sociologue, rattaché au Groupe de recherche sur la socialisation (GRS), à la faculté d'anthropologie et de sociologie de Lyon 2. L'essentiel de ses travaux portent sur le jeu.
(Note de conjoncture du 4 juin 2010)
L’Arjel va délivrer ses premières licences pour les jeux d’argent en ligne : une étape importante dans la mise en place d’une politique des jeux cohérente.
D’ici quelques jours l’Arjel va attribuer ses premiers licences à une vingtaine d’opérateurs qui pourront exploiter les jeux d’argent en ligne, dans un premier temps les paris sportifs et ensuite le poker. C’est l’aboutissement d’un long processus. La loi relative “à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent ligne” a été votée à L’Assemblée Nationale le 6 avril 2010. Cette date marquera l’histoire des jeux en France. Elle constitue une étape importante dans la mise en place d’une politique des jeux cohérente, qui supprime les conflits d’intérêts. Certes, il y a eu des incidents de séance, des tentatives d’obstruction, des accusations politiciennes ( “les amis du Fouquet’s”) et des joutes rhétoriques qui relèvent du pur jeu parlementaire. Mais l’essentiel n’est là.
Députés et sénateurs ont beaucoup travaillé, comme en témoignent les milliers de pages des débats parlementaires. Les enjeux politiques, culturels et sociaux de cette légalisation ont été soulignés. C’est ce que l’histoire retiendra. Même s’il y a un important “dessous des cartes” dans ce dossier, c’est tout à l’honneur de la France – pays qui possède une histoire ludique riche et ancienne - d’avoir pris le temps d’organiser ces débats. La France n’est pas une république bananière. Il faut remonter à 1933 - instauration de la loterie nationale moderne - pour retrouver des échanges parlementaires aussi passionnés sur les jeux de hasard et d’argent. La question du jeu excessif, celle du jeu des mineurs et des personnes vulnérables, a été au centre de ces débats.
Une nouvelle architecture souhaitée par les parlementaires - et notamment par les sénateurs - a été mise en place pour traiter ces problématiques. Elle booste le Comité Consultatif des Jeux (CCJ), lui adjoint un observatoire des jeux (ODJ), deux commissions spécialisées et coordonne son action avec l’Arjel, l’autorité de régulation dirigée par Jean François Vilotte. La représentation nationale a semble-t-il compris qu’une saine régulation doit s’appuyer sur la recherche et l’expertise, séparer les compétences, si elle ne veut pas être accusée d’être partisane ou sous la pression des opérateurs ou d’autres acteurs du champ.
La légalisation des jeux d’argent sur Internet ne peut en effet que renforcer l’acuité des questions sociétales qu’entraîne l’économie du hasard (conséquences sociales , santé publique…). Comme ces problématiques (et notamment la question du jeu «excessif ») ont largement été mises en avant pour justifier l’ouverture « maîtrisée » des jeux en ligne, il convient que les conséquences du gambling ne soient pas instrumentalisées.
En aucune manière les opérateurs de jeux ne peuvent diligenter et financer des recherches sur l’impact de leur activité comme c’est le cas actuellement. Cela entraînerait un conflit d’intérêt intolérable. L’observatoire des jeux doit donc jouer un rôle central. Si c’est une coquille vide, il sera rapidement qualifié d’observatoire croupion. A l’heure ou certains questionnent le rôle ambigu joué par les experts dans d’autres dossiers (réchauffement climatique, grippe A H1N1, tabagisme passif…) il convient que l’observatoire des jeux possède les moyens de ses ambitions, afin de réaliser des mesures scientifiques et des recherches pluridisciplinaires indépendantes. Si l’Etat a le courage de jouer franc jeu dans ce dossier, il sera gagnant au bout du compte et évitera bien des critiques, contentieux et polémiques ultérieures.