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La CCI et le Conseil général, dans le viseur de la justice

Michel Mercier, président du Conseil général, et Guy Mathiolon, président de la CCI

Le marché public de la ligne de tramway rapide Rhônexpress, anciennement dénommée Leslys, intéresse de près la justice. Les conditions dans lesquelles s’est déroulée l’enquête préalable à la déclaration d’utilité publique intrigue également la brigade financière.

D’après nos informations, le parquet financier de Lyon a ouvert une enquête préliminaire pour favoritisme, détournements de fonds et corruption dans le dossier de la future ligne de transport Rhônexpress qui doit relier la Part-Dieu à l’aéroport Saint-Exupéry. Une très grande discrétion a été observée dans un dossier qui occupe les limiers de la brigade financière depuis un peu plus d’un an désormais. L’enquête préliminaire devra dire si les soupçons et les accusations portées dans ce dossier sont totalement fantaisistes ou s’ils reposent sur des éléments probants.

Plusieurs personnes ont été convoquées et interrogées par les enquêteurs dans une affaire complexe qui présente au moins deux volets. L’un se joue au Conseil général du Rhône et l’autre à la Chambre de Commerce et d’Industrie de Lyon. Le tout sur fond de manipulation dans une atmosphère pourrie et polluée par la guerre intestine que se livrent le Medef et la CGPME en vue des élections patronales prévues à la CCI cet automne.

Dans cette affaire, nombreux sont ceux qui ont intérêt à instrumentaliser la justice en orientant l'enquête ou en lui faisant parvenir des documents accusatoires. Si bien que l'alternative est simple : soit l'enquête préliminaire débouche sur la plus grande affaire politico-financière de ces dernières années, soit elle conclut à une grande mascarade.

QUEL EST LE FOND DE L'AFFAIRE?

Selon une source judiciaire, le parquet de Lyon s'interroge sur les conditions d'attribution de la concession de la ligne de tram Leslys au groupement Rhônexpress conduit par Vinci. Le président du Conseil général, Michel Mercier, et Pierre Jamet, son fidèle directeur général, sont soupçonnés de favoritisme et de détournements de fonds. D'après nos informations, les investigations ne porteraient pas sur un cas d'enrichissement personnel. Entendu par la brigade financière ainsi que d'autres fonctionnaires du Conseil général, Pierre Jamet indique que ce volet de l'enquête est aujourd'hui clos. Pourtant, l'attribution de la concession du tramway au groupe Vinci continuerait d'intriguer les milieux judiciaires.

Volte-face

Les enquêteurs s'interrogent sur les motifs qui ont conduit le Conseil général à changer les règles de l'appel d'offres en cours de route et de façon précipitée. La première procédure d'appel à candidature a été ouverte lors de l'été 2004. Deux candidats travaillaient pour décrocher la délégation de service public de Leslys : Elyse -un groupement composé d'Eiffage, de Keolis et de la SNCF- et Rhônexpress, le second groupement conduit majoritairement par Vinci. Les deux candidats ont élaboré leur offre en fonction du tracé historique et déjà existant du Chemin de Fer de l'Est Lyonnais (CFEL), tracé qui selon le cahier des charges du marché public n'était pas soumis à variante. L'intérêt du CFEL (outre le fait que l'infrastructure préexiste) est qu'il autorise une liaison future avec le Nord-Isère, perspective qui a toujours été prévue dans les schémas de développement de l'agglomération lyonnaise. Mais au printemps 2006, volte-face de Michel Mercier alors que les entreprises avaient déposé leurs offres.

Variante

Le président du Conseil général décide soudainement d'abandonner la procédure en cours pour en relancer une nouvelle. Un nouveau cahier des charges sera élaboré dans lequel l'obligation d'utiliser le CFEL disparaît. Apparaît alors une variante au tracé initialement prévu, un nouveau tracé sorti du chapeau qui se déploie plus au sud et sur lequel les deux groupements doivent plancher sans néanmoins rallonger le calendrier de désignation du lauréat. Mercier a donc obligé les entreprises à étudier un nouveau tracé en quelques mois alors qu'elles ont construit leur offre dans la première procédure en fonction du tracé du CFEL pendant au moins deux ans ! L'apparition de cette variante étonne d'autant plus que le bureau d'études TTK, choisi par le Conseil Général pour l'accompagner sur les aspects techniques, a toujours préconisé de passer par le CFEL en raison des liaisons envisagées avec le Nord-Isère. Le cabinet TTK a d'ailleurs réalisé des notes techniques confidentielles défavorables au nouveau tracé. Ces notes auraient été ignorées par les équipes du Département et le cabinet TTK n'aurait plus participé à l'instruction de la deuxième procédure d'appel d'offres.

Un tracé proposé par Vinci

De plus, dans son rapport d'enquête publique, le commissaire enquêteur avait, à l'époque, émis un avis défavorable au projet en contestant le tracé choisi jugeant que "la notion d'utilité publique de ce projet sous cette forme n'était pas établie". Selon les dires de nombreuses personnes ayant travaillé sur Leslys, ce nouveau tracé plus au sud a été proposé par Vinci qui, in fine, a obtenu la concession de la ligne en décembre 2006. (Vinci obtiendra également du Département le marché de 175 millions d'euros du musée des Confluences après de multiples procédures de retards et d'annulation avec une offre de Vinci qui était supérieure à celle de son concurrent Léon Grosse). En contrepartie de la construction de 7km de ligne entre Meyzieu et Saint-Exupéry, Vinci pourra exploiter commercialement la ligne de tram qui relie la Part-Dieu à l'aéroport (c'est le Sytral qui a construit la portion de ligne entre la Part-Dieu et Meyzieu) pendant 30 ans. Vinci a touché une subvention d'équipement de l'ordre de 30 millions d'euros de la part du Conseil Général et bénéficiera d'une subvention annuelle de 3,5 millions d'euros le temps de la concession. En comptabilisant les recettes commerciales (prix exorbitant d'un aller simple à 14 euros et de 25 euros l'aller-retour), on comprend bien que le projet ne sera pas très difficile à rentabiliser pour Vinci, dont l'investissement global était estimé à 60 millions d'euros en 2006.

Vinci, 20% plus chère

D'après le témoignage d'une source proche du dossier, recueilli par les enquêteurs de la brigade financière et qui a été confirmé à Lyon Capitale, il semblerait que Vinci n'aurait pas pu gagner le marché dans le cadre de la première procédure : "Vinci était 20% plus cher que Keolis qui avait la meilleure offre technique. Keolis aurait dû être lauréate dans la première procédure mais ne convenait pas au Conseil Général. Alors les critères du projet ont été modifiés. Il peut y avoir des motivations politiques, comme la volonté de casser le monopole de Keolis qui possède déjà les TCL à Lyon. Mais il peut y avoir également des raisons moins respectables".

Une rame de Rhônexpress

LES SOUPCONS QUI PÈSENT SUR LA CCI ET SON PRÉSIDENT GUY MATHIOLON

Cette enquête sur la concession attribuée à Vinci est née au détour d'un autre volet concernant Guy Mathiolon. Le président de la CCI aurait en effet mandaté un intermédiaire, Yann Gaillard, pour influencer l'enquête d'utilité publique concernant le tram Leslys. Cet intermédiaire n'aurait pas obtenu le paiement de ses commissions pour cette mission. Il a alors décidé de se mettre à table en alertant, début 2009, le doyen des juges d'instruction sur toute l'affaire Leslys.

Terminus

C'est en sa qualité de président du conseil de surveillance des Aéroports de Lyon que Guy Mathiolon est inquiété. Telle qu'elle était prévue, l'arrivée de Leslys à l'aéroport ne convenait pas totalement à Guy Mathiolon ainsi qu'à d'autres responsables de Saint-Exupéry. C'est dans le but de modifier l'emplacement du terminus de Leslys que Mathiolon aurait mandaté Yann Gaillard, dont le rôle consistait à intervenir dans l'enquête d'utilité publique du commissaire enquêteur afin d'influencer ses conclusions en vue de modifier la station terminale de Leslys. Et justement, lorsque le commissaire enquêteur a rendu un avis défavorable en raison du tracé sud, il a émis quatre réserves qui devaient être traitées avec soin "si la nécessité de réaliser le projet sur ce tracé devait prévaloir". Parmi les éléments à corriger, il y avait le terminus de Leslys à l'aéroport. Le Conseil général a été obligé d'en modifier l'implantation.

Mercenaire-barbouzard

Yann Gaillard, qui se présente comme un mercenaire-barbouzard, a ainsi estimé que sa mission était accomplie, il a donc envoyé une facture de 370 000 euros à la CCI et aux Aéroports de Lyon depuis une société basée à Bangkok en Thaïlande. La facture était accompagnée des références d'un compte bancaire enregistré à la Bangkok Bank. Contacté à ce sujet, Guy Mathiolon s'estime victime d'un racket et se réserve le droit de porter plainte. Dans un courrier adressé à Yann Gaillard et mis en copie au Préfet du Rhône qui suit attentivement cette affaire Leslys, Guy Mathiolon explique que "lorsque la CCI souhaite faire appel à une prestation de ce type, elle suit une démarche de mise en concurrence régie par le code des marchés publics". S'estimant trahi et lâché par Mathiolon, Gaillard est devenu enragé lorsqu'il a compris qu'il ne serait pas payé. Il a prévenu la justice de certaines pratiques qui ont convaincu le parquet d'ouvrir une enquête préliminaire. Dans son courrier, Guy Mathiolon indique que la CCI n'a "passé commande d'aucune mission" à Yann Gaillard. Pourtant, ce dernier a été reçu par les collaborateurs de Mathiolon à la CCI. "Il a été reçu deux fois et nous n'avons pas donné suite parce que ça n'avait pas de sens pour nous. On a simplement discuté du fait que je trouvais le tracé à l'arrivée à l'aéroport pas forcément le plus intelligent, mais c'est tout" explique Mathiolon.

Intérêts immobiliers

Cependant, une autre accusation pèse sur Guy Mathiolon. Celle d'avoir voulu préserver des intérêts immobiliers appartenant à son ami André Roibet. Installé à Pusignan, Roibet et Mathiolon se connaissent bien puisqu'ils sont associés dans une société de travaux publics qui s'appelle MGB. Leslys traverse Pusignan mais André Roibet jure qu'il ne possède, en dehors de sa maison, aucun bien immobilier sur le secteur. Cette accusation contre Mathiolon serait une nouvelle fois liée à Yann Gaillard. Ce dernier apparaît dans l'enquête publique de Leslys en tant que représentant d'un bureau d'études, le BEDDE, qui n'est autre qu'une filiale de la société Tébior, la holding familiale d'André Roibet. Yann Gaillard détenait au nom du BEDDE plusieurs mandats avec des syndicats agricoles afin de préserver notamment leurs intérêts dans le cadre de l'enquête publique de Leslys.

Rôle du Medef ?

Cette partie de l'affaire semble cependant largement instrumentalisée par des membres du Medef qui y voient une bonne occasion de déstabiliser leur ennemi juré, Guy Mathiolon, dans la perspective des élections à la CCI en novembre. D'après nos informations, des documents accréditant la thèse d'un Mathiolon tirant des ficelles immobilières dans l'Est lyonnais auraient été envoyés par des membres du Medef à certains acteurs impliqués dans cette affaire Leslys, et notamment au Conseil Général.

Sollicité par Lyon Capitale, le procureur général, Jean-Olivier Viout, a tenu à préciser que quel que soit le nom et le prestige des personnes concernées, il irait jusqu'au bout. Avec un ministre (Mercier), un groupe mondial (Vinci) et un président de Chambre de Commerce (Mathiolon), il lui faudra de la persévérance. Pour l'heure, il semblerait que ce trio-là n'ait toujours pas été entendu par la brigade financière.

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