La Duchère à Lyon : une mosquée pour tourner la page du salafisme

L’inauguration de la nouvelle mosquée Et-Tawba de la Duchère (9ème arrondissement) a eu lieu ce vendredi matin en présence d’officiels et de nombreux fidèles. L’événement se veut la confirmation d’une nouvelle étape dans la vie de ce quartier populaire, longtemps pointé du doigt comme un refuge d’extrémistes.

La foule est dense ce midi dans la cour de la mosquée flambant neuve, il faut dire que ce jour est historique pour le quartier. Presque trente ans après la fondation de l’Association des musulmans de la Duchère, les fidèles peuvent enfin prier et honorer leur foi dans un lieu décent. Sur un terrain de 1000 mètres carrés cédé par la municipalité, la nouvelle mosquée remplace les locaux préfabriqués et le chapiteau où la communauté se réunissait dans des conditions précaires, "sous la pluie, la neige et le soleil ardent" selon le président de l’association depuis 2013, Salah Bayarassou. Le bâtiment accueille désormais les fidèles dans sa salle de prière d’une capacité de 900 personnes, ses huit salles de classe, sa bibliothèque et ses salles polyvalentes qui permettront d’élargir les enseignements prodigués par l’association.

La difficulté à surmonter les années Bouziane

L’inauguration de la mosquée est surtout l’occasion pour les officiels de réaffirmer leur soutien à l’imam Baba Hicham et à la nouvelle direction de l’association. La mosquée doit permettre selon eux de tourner définitivement la page du salafisme, cette lecture rigoriste du Coran dont sont issus la majorité des mouvances djihadistes. Jusqu’à l’arrivée de la nouvelle équipe dirigeante en 2013, la Duchère est associée à l’extrémisme et le repli sur soi, notamment à cause des prédications de l'imam Abdelkader Bouziane. Il officiera à la Duchère du milieu des années 90 à 2000, avant d'être expulsé en Algérie en 2004 après avoir justifié les châtiments corporels contre les femmes – tout en condamnant le terrorisme - dans un entretien au feu mensuel Lyon Mag. L'affaire tourne à la bataille judiciaire car le mensuel lui a fait dire qu'il défendait la lapidation des femmes adultères, sur la base d'une traduction malhonnête. Après son départ, l'imam Mohamed Al Madini continuera son œuvre de prédication radicale pendant douze ans à la Duchère avant de rentrer au Maroc. Les traces laissées sur la communauté par ces années de radicalisme avaient poussé l’an dernier la préfecture à placer la mosquée sur la liste des sites "menacés par les salafistes".

"Ce qui s’est passé ici c’est une révolution !"

Dans ce quartier populaire, une bataille interne a déchiré la communauté musulmane, tiraillée entre les salafistes et les partisans d’un islam du "juste milieu". En 2013, l'élection de l'équipe actuelle à la tête de l'association, appuyée par le conseil régional du culte musulman, avait donné lieu à une véritable lutte de pouvoir. S’ensuivent trois années de lutte d’influence entre les partisans d’un islam progressiste, respectueux des valeurs républicaines, et les salafistes qui tentent de dissuader les fidèles de suivre une voie qu’ils considèrent comme impie. Il y a quelques mois, le nouvel imam Baba Hicham expliquait à Lyon Capitale, que "ce qui s’est passé ici, c’est une révolution! Ils [les fidèles] les ont clairement foutu à la porte en leur disant: "votre islam on n’en veut pas ici." Devant l’échec de leurs campagnes de dénigrement à l’égard de la nouvelle équipe, les noyaux radicaux, "une cinquantaine de personnes" selon les responsables de l’association, passent aux menaces. L’imam Hicham et sa famille sont menacés de mort, il se fera cracher au visage par des individus. "Certains fidèles au courant salafiste sont revenus à la mosquée de la Duchère après le changement d'imam, quand d'autres se sont dispersés dans l'agglomération" précise Benaïssa Chana, président du conseil régional du culte musulman.

Les officiels saluent le courage de Baba Hicham

Face aux menaces, l'imam Baba Hicham a longtemps voulu raccrocher le métier, même s'il affirme être venu à la Duchère en connaissance de cause, et qu’il s’attendait à rencontrer ces difficultés. Les soutiens reçus de la part des membres de la communauté et des responsables de l’association le convainquent à rester et à continuer son travail de fond. Refusant d’être présenté comme un combattant contre le salafisme, il préfère se voir en rassembleur, prêchant un islam ouvert à tous : "la mosquée doit s’adresser à tout le monde, j’invite les plus radicaux à venir discuter avec nous, nous devons unir la communauté". Gérard Collomb, Michel Delpuech, le préfet du Rhône, ainsi que le maire du 9ème arrondissement, Hubert Julien Lafferière, loueront chacun à leur manière le courage de l'imam Hicham et de la communauté de croyants présente à ce jour dans différents discours.

À la fin des allocutions, à la question de savoir si cette mosquée symbolise le changement, Salah Bayarassou, répond "le changement a déjà commencé, il nous faut maintenant tourner la page et nous tourner vers l’islam du juste milieu, le seul qui ait sa place en France".

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