Patrick Artus est membre du comité scientifique des Journées de l’économie, dont Lyon Capitale est partenaire média. Il est conseiller économique de Natixis et professeur à l’École d’Économie de Paris.
Lyon Capitale : Quelle photographie faites-vous des économies française, européenne et mondiale après quinze mois de crise sanitaire ? Patrick Artus : Premier point, il y a une énorme hétérogénéité : d’un côté, les pays qui vont bien, de l’autre ceux qui vont mal. L’état de santé de la France est plutôt bon, quand celui de la Chine n’est pas terrible et ceux, par exemple, de la Turquie ou du Brésil très mauvais. Plusieurs biais séparent les pays émergents des pays de l’OCDE. Ces derniers ont plus de facilité pour lancer des politiques expansionnistes, faire du déficit public ou avoir des taux d’intérêt très bas car le marché financier est plus solide. Dans un pays émergent, lorsque vous baissez les taux d’intérêt fortement, la monnaie se déprécie immédiatement. Les économies ont été beaucoup plus réactives dans l’OCDE. Deuxième point, les systèmes de santé ont été beaucoup plus capables de réagir dans les pays de l’OCDE, il suffit de regarder le taux de vaccination très bas dans les pays émergents. Dans ces pays, une distinction est cependant à faire entre ceux qui produisent des matières premières, favorisées par la hausse des prix, et ceux qui importent. En définitive, cette crise n’a fait qu’accentuer les inégalités existantes ? En réalité, avant la crise, les émergents croissaient plus vite, de façon assez régulière, que les pays de l’OCDE. La crise fabrique, au contraire, une situation où les pays de l’OCDE croissent, globalement, plus vite que les émergents, c’est très spécial. Certains pays ont étonné par la résilience de leur économie, leur capacité à se redresser après la crise. Curieusement, dans cette liste, il y a la France. Si l’on prend une vue strictement photographique de la situation à un instant T, la France d’aujourd’hui va mieux qu’avant la crise : le chômage est à un niveau plus bas qu’avant le début de la crise, les entreprises sont plus profitables et l’effort de recherche et d’innovation plus élevé. Qu’est-ce qui explique que la France va mieux qu’avant la crise ? D’abord, l’État a été particulièrement efficace. Les aides financières – probablement trop massives d’ailleurs – ont été injectées là où il fallait. Ensuite, il faut souligner l’agilité spectaculaire des entreprises à se réorganiser, à réduire leurs coûts, à trouver de nouveaux marchés, à lancer de nouveaux produits. Le soutien massif à l’activité économique a plongé le pays à un niveau d’endettement historiquement élevé. Comment va-t-on traiter de la question de la dette publique ? C’est la seconde partie de la question : on voit que ça va mieux mais quelle sera la facture de cette résilience ? Avant de vous répondre, il faut avoir à l’esprit qu’un point d’interrogation porte sur la situation des enfants : le risque d’une prise de retard dans leurs études est bien réel. On risque donc d’être confronté à une perte de savoir chez les jeunes. Pour revenir sur l’endettement très élevé du pays, il faut rappeler que cet endettement a été financé par la Banque centrale européenne (BCE). Elle rachète des dettes souveraines, en échange de quoi elle crée de la monnaie injectée dans les circuits financiers. Or, la BCE, c’est l’État. Ainsi, quand la BCE rachète de la dette d’État, ça devient une dette de l’État vis-à-vis de lui-même. Et, au final, elle n’existe plus. Les déficits publics ont été financés par la création monétaire, et non par la dette.Il vous reste 79 % de l'article à lire.
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