“Toutes les fois que de jeunes gens me demandent conseil sur les lectures à faire pour se préparer à l’enquête criminelle, je leur indique toujours Sherlock Holmes”. Le courrier, daté de janvier 1927, est adressé par le Dr Edmond Locard à Conan Doyle, père du plus célèbre détective de l’histoire. Edmond Locard, médecin et spécialiste en criminalistique, a la conviction qu’il faut regrouper en un même lieu tous les services techniques pouvant être utiles dans une enquête policière.
En 1910, il fait alors une demande auprès de la Sûreté lyonnaise pour créer un service spécialisé de recherche. La requête aboutit à la création du laboratoire de police technique de Lyon installé dans les combles du Palais de Justice, 35, rue Saint Jean. C’est la première fois au monde qu’un laboratoire de police scientifique voit le jour. La même année, pour la première fois en France, un homme est condamné sur la preuve unique d’une empreinte digitale. Il s’agissait d’un vol avec effraction commis au 31, rue Ravat, à quelques pas des Archives Municipales de Lyon. la police scientifique fait définitivement son entrée dans le prétoire.
Aujourd’hui, la police technique et scientifique de Lyon est installée à Ecully. Il y a trois ans, Lyon Capitale avait passé plusieurs journées dans les coulisses du laboratoire lyonnais. Reportage.
Les experts du crime.
Article du 10 avril 2007.
Depuis plusieurs mois, la police technique et scientifique suscite un engouement sans précédent. Fini le temps des loupes grossières de Sherlock Holmes, place aux fluoroscopes et aux microscopes électroniques à balayage, dans les coulisses du laboratoire d’Écully.
Rarement série télé aura battu de tels records d’audience. Tous les mercredis, Les Experts de TF1 (qui opèrent un coup à Manhattan, un autre à New-York, mais aussi à Miami) rassemblent près de 9,4 millions de téléspectateurs, tandis que R.I.S Police Scientifique prend le relais, dès le lendemain, avec entre 6,5 millions et 7,4 millions d’aficionados. “Avec ces feuilletons, on observe une flambée de candidatures pour travailler chez nous” explique, de son bureau d’Écully, Bernard Trenque, le grand patron de la police scientifique française*. Principalement pour la section balistique, d’ailleurs.
Les indices “parlent” de plus en plus
C’est ici que les armes ayant servi à un meurtre, à un braquage ou à une attaque de fourgon blindé sont analysées. “On estimera la position du tireur, la trajectoire de la balle et la distance de tir” explique Lakdar Attar, jeune responsable de la balistique lyonnaise. En quelques jours, les 8 experts du labo dressent la carte d’identité de n’importe quelle arme (origine, nature de la fabrication industrielle ou artisanale, trafic, âge, modèle original ou copie) et établissent, grâce à une gigantesque base de données imaginée à Écully, des comparaisons avec des éléments de tir retrouvés un peu partout en France. C’est ainsi que récemment, une centaine d’armes de guerre a pu être rapprochée d’un réseau de proxénètes qui sévissaient dans la région.
Les traces de tir sur les mains d’un mort sont, quant à elles, traitées au service physique-chimie, juste à côté. “Notamment pour savoir s’il ne s’agit pas d’un homicide déguisé en suicide. Ou l’inverse” nous explique-t-on. Équipés du fin du fin (microscope électronique à balayage, micro-analyseur à rayons X) et de techniques ultra pointues (spectrométrie de fluorescence X à dispersion d’énergie ou d’absorption atomique, chromatographie en phase gazeuse, diffractométrie de rayons X...), les “rats de labo” peuvent tout faire parler, ou presque : la moindre fibre ou un ruban adhésif ayant servi à baillonner, la plus petite écaille de peinture automobile qui permet de remonter jusqu’au modèle et l’heure de fabrication d’une voiture, un bout de verre optique gros comme un ongle qui autorise à identifier un véhicule-bélier (braquages).
Strychnine, tsunami et cocaïne
On notera que sur un cadavre, la peau rouge cerise sera provoquée par le monoxyde de carbone, les brûlures autour de la bouche et des narines par l’acide nitrique, le visage et le cou noircis par la strychnine, une diarrhée aiguë par l’arsenic, une odeur de pêche par le cyanure. Lors du tsunami indonésien de décembre dernier, grâce aux traces ADN prélevées sur les brosses à dents des victimes françaises, les scientifiques d’Écully ont pu les identifier et permettre aux familles de faire leur deuil. Ce sont eux également, à la section “incendies-explosions”, qui ont travaillé sur l’explosion des discothèques à Bali (Indonésie), qui avait fait 202 morts en 2002. Et puis il y a les “stupéfiants”, qui “font la moitié de l’activité en France” confie Fabrice Besacier, le boss. C’est aussi à Écully que sont édictées les statistiques nationales sur la composition et la pureté des produits stupéfiants saisis.
Au total, à Écully, ce sont 91 personnes qui prélèvent, questionnent, répertorient, décèlent, analysent, qualifient, attribuent, comparent et mesurent 7 jours/7 le détail qui tue. Bref, des as du détail, des cracks de l’invisible et de l’imperceptible, des spécialistes du microscopique. La PTS a permis le passage de la culture de l’aveu à la culture de la preuve. “On ne se substitue pas à l’enquête, on donne des indices et des fils” concluent d’une même voix Michel Savart, directeur du laboratoire d’Écully et Dominique Gaillardon, sous-directeur de la police scientifique. Et à la différence des héros de séries télé, ici, personne ne roule en gros 4x4 bien rutilant.
* En 2006, seuls 44 postes ont été pourvus pour 7048 candidats.
PRATIQUE
Les manifestations du 8 avril
> 11h30 : Inauguration aux archives municipales de Lyon de l’exposition “Empreinte d’Edmond Locard”
1, place des Archives. Lyon 2e.
> 15h30 : Commémoration
Jean-Olivier Viout, procureur général près la cour d’appel de Lyon, Jean Lobry, directeur du laboratoire de police scientifique de Lyon, professeur Daniel Malicier, directeur de l’Institut de médecine légale de Lyon, Patrick Joubert, directeur de l’Ecole nationale supérieure de la police, Frédéric Dupuch, directeur de l’Institut national de police scientifique...
Grand Salon de l’Hôtel du Département. 29, cours de la Liberté, Lyon 3e.
> 18h00 : Dévoilement, à l’emplacement du laboratoire du Dr Edmond Locard, d’une plaque commémorative
Façade arrière du palais de justice, rue Saint-Jean, Lyon 5e.
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