Marc Billaud
Marc Billaud, directeur de recherche au CNRS et membre du conseil scientifique de la Fondation Arc

"La prévention est le parent pauvre de la cancérologie"

A l'occasion de la Journée mondiale contre le cancer, dimanche 4 février, l'accent est mis sur la prévention "insuffisante" à l'échelle des politiques de santé publique.

Marc Billaud est directeur de recherche au CNRS et membre du conseil scientifique de la Fondation Arc. Il insiste sur la stratégie de prévention que doivent intégrer les politiques de santé publique en France.

"L'enveloppe budgétaire consacrée au cancer aujourd'hui en France, explique-t-il, c'est-à-dire les hospitalisations, le coût des médicaments, etc., c'est de l'ordre de 18 milliards d'euros. Le budget qui est consacré à la prévention est de l'ordre de 150 millions d'euros (...) C'est le parent pauvre de la cancérologie."

Aujourd'hui, disait le généticien Axel Kahn, 1 personne sur 2 qui naît en France sera, au cours de sa vie, atteinte d'un cancer.

Aujourd'hui, en France, 4 millions de Français vivent avec un cancer. Le nombre de nouveaux cas de cancer, chaque année en France, est de l'ordre de 400 000. Les décès par cancer représentent 150 000 de nos concitoyens.

L'Institut national du cancer a pour défi de pouvoir prévenir 60 000 cas de cancers d'ici 2030.


Retranscription intégrale de l'entretien avec
Marc Billaud

Bonjour à tous et bienvenue dans ce nouveau rendez-vous de 6 minutes chrono. Nous accueillons aujourd'hui Marc Billaud, directeur de recherche au CNRS et membre du conseil scientifique de la Fondation Arc. Bonjour.

Bonjour.

Le 4 février, comme chaque année, sera la Journée mondiale contre le cancer. Le cancer est aujourd'hui la première cause de mortalité prématurée en France, devant les maladies cardiovasculaires. Le généticien Axel Kahn disait qu' 1 personne sur 2 qui naît aujourd'hui sera, au cours de sa vie, atteinte d'un cancer. Marc Billaud, quel est le nombre de personnes diagnostiquées d'un cancer, aujourd'hui en France ?

Le nombre de nouveaux cas de cancer, chaque année en France, est de l'ordre de 400 000. Les décès par cancer représentent 150 000 de nos concitoyens et on sait qu'aujourd'hui, en France, il y a 4 millions de français qui vivent avec un cancer. Donc c'est effectivement une maladie très fréquente comme vous le signaliez. C'est donc un peu important de revenir sur ces chiffres. Si vous me permettez, en tant que biologiste, je suis souvent sollicité pour savoir s'il y a des progrès qui sont faits sur le cancer, sur sa prise en charge thérapeutique et sur la recherche. C'est une question légitime au vu de la fréquence de cette maladie. La bonne nouvelle c'est que, oui, des progrès importants ont été faits puisqu'aujourd'hui on guérit 1 cancer sur 2, alors qu'il y a 30 ans on en guérissait 1 sur 3.

Ce n'est pas anodin. Est-ce de la science-fiction d'imaginer une société sans cancer, c'est à dire qu'est-ce qu'on peut imaginer que la médecine pourrait venir à bout de tous les cancers ?

C'est utopique. Pourquoi pas. C'est envisageable. Je pense que beaucoup de progrès sont à faire sur la prévention, c'est-à-dire comment intervenir avant que les cancers se développent, et là, je pense qu'il y a une marge de manoeuvre très, très importante. Une fois que le cancer existe comme maladie, ça reste une maladie pour beaucoup de cancers, difficile à soigner. Vous voyez, 150 000 décès par an c'est quand même un lourd tribut qui est payé à cette maladie. Donc, je pense que la perspective que vous évoquez est une perspective très utopique. J'aimerais que ça soit le cas mais j'en doute.

Est-ce que la prévention fait partie des grands défis dans la recherche contre le cancer ?

Absolument. Vous le savez probablement, on a eu trois grands plans cancers en France. Le premier a été initié par Jacques Chirac, en 2003, et aujourd'hui on a ce qu'on appelle une stratégie décennale qui a été donc initiée par Emmanuel Macron et qui va de 2021 à 2030. Cette stratégie reprend les grands axes qui vont permettre de développer à la fois la recherche et la médecine en cancérologie. Et parmi ces axes, il y a celui de la prévention. L'Institut national du cancer souhaiterait pouvoir prévenir 60 000 cas de cancers d'ici 2030. Donc c'est un vrai défi, très ambitieux. La prévention est un sujet extrêmement important et qui me tient particulièrement à coeur, en tant que chercheur impliquant en cancérologie.

De quoi dépend cette prévention ?

La prévention va dépendre d'au moins trois éléments. Le premier, c'est le changement des comportements des individus : on est exposé à des facteurs de risque. Ce sont d'ailleurs des facteurs qu'on peut modifier, par exemple le tabagisme, on peut réduire, ou complètement arrêter, le tabac. Je vous rappelle que les cancers dus au tabac c'est 20% des cancers donc ça reste un facteur de risque absolument majeur. Mais il y a d'autres facteurs de risque qu'on connaît, l'alcool, l'alimentation déséquilibrée, la prise de poids, l'obésité, les facteurs infectieux etc. La prévention est donc un élément absolument essentiel.

Et pourtant, la prévention est le parent pauvre de la cancérologie puisque l'enveloppe budgétaire qui est consacrée au cancer aujourd'hui en France, c'est-à-dire si on prend en compte les hospitalisations, le coût des médicaments, c'est de l'ordre de 18 milliards d'euros. Or, le budget qui est consacré à la prévention est de l'ordre de 150 millions d'euros, alors que c'est vraiment un des éléments absolument essentiels pour intervenir et prévenir l'apparition de cette maladie. Donc le comportement est une chose, et beaucoup de la politique de prévention est basée sur le changement de comportement des individus - moins fumer, réduire sa consommation d'alcool, bouger plus, manger plus équilibré.

Très bien mais ça ne suffit pas. La politique de prévention aussi doit être accompagnée par des interventions qui sont des arbitrages de politique publique et de santé publique, qui viennent donc directement du gouvernement. Si on prend l'alcool, par exemple, aujourd'hui, 40 000 cas de décès en France et dont 15 000 sont sont des cancers. C'est aussi un vrai sujet de santé publique et on sait qu'une partie appréciable des Français, plus de 20 %, dépassent les repères habituels de consommation d'alcool qui sont de l'ordre de 10 verres d'alcool par semaine. A cet égard, il faut bien reconnaître que la politique de prévention telle qu'elle est menée par le gouvernement n'est pas à la hauteur des enjeux. On est au mois de janvier : il y avait par exemple le "janvier sec" ou "dry january" dans lequel on aurait pu attendre que le gouvernement soit directement impliqué. Il ne l'a pas fait, c'est regrettable parce que la prévention, aussi, de la consommation d'alcool est un des sujets importants et on peut comme ça décliner d'autres sujets qui sont importants : l'exposition aux polluants, l'exposition aux phytosanitaires. Je vous rappelle que l'agence européenne de l'environnement a estimé que 10 % des cancers serait dûs à la pollution et à l'environnement. 10 % c'est extrêmement important

C'est aujourd'hui le plus grand défi pour la prévention contre les cancers : la prévention. Merci en tout cas Marc Billaud d'être venu sur le plateau de 6 minutes chrono à l'occasion de la Journée mondiale contre le cancer.

Les commentaires sont fermés

réseaux sociaux
X Facebook youtube Linkedin Instagram Tiktok
d'heure en heure
d'heure en heure
Faire défiler vers le haut