La Colonie pénitentiaire, percutante nouvelle de Kafka mise en musique par Philip Glass, devait se jouer fin janvier à la maison d'arrêt de Corbas, dans laquelle seront transférés d'ici mai les détenus des prisons Saint Paul et Saint Joseph.
"Tout était prêt, on devait accueillir environ trois cents spectateurs par soirée dans les murs de Corbas, et on avait même prévu de monter une chorale avec certains prisonniers", raconte Serge Dorny, instigateur du projet monté dans le cadre du festival Héros perdus. L'annonce avait été faite dans la présentation de saison de l'Opéra. Mais dans les derniers communiqués du festival : plus de trace de cet aspect exceptionnel de la programmation. "Un accord de principe m'avait été donné en février dernier, assure Serge Dorny, mais j'ai reçu en juin un courrier du cabinet de Rachida Dati m'informant que le projet était tout simplement annulé. Je ne comprends pas ce désistement." Au cabinet de la garde des Sceaux, "on n'a pas entendu parler de cela". C'est finalement l'administration pénitentiaire régionale qui donne des éléments d'explications : "les informations mettent souvent du temps à monter jusqu'en haut lieu, et si un accord de principe avait été donné à l'Opéra, il y a plusieurs niveaux de validation. Le temps a donc manqué pour monter ce projet, pour préparer le gymnase de la prison. Cela n'était pas la priorité, ce qui compte aujourd'hui, c'est de former le personnel et d'ouvrir la nouvelle prison dans les délais."
"Si l'on avait joué La Flûte enchantée, le spectacle aurait été maintenu"
Mais tandis que des vidéos ont récemment circulé, révélant les conditions de détention à Fleury-Mérogis, que les suicides en prison se succèdent et notamment à Villefranche, il semblait plus compliqué encore d'accueillir du public dans un lieu sur lequel, sans doute, on préfère ne plus braquer de projecteurs. Un problème de répertoire aurait également définitivement tué le projet dans l'œuf. "On m'invoque des raisons techniques, mais je pense que si l'on avait joué La Flûte enchantée, le spectacle aurait été maintenu", reste persuadé Serge Dorny. La Colonie pénitentiaire fait en effet le récit fictif et militant d'une communauté d'hommes détenus sur une île, et auxquels les droits fondamentaux ont été retirés. "Cette pièce pose une question sur le système judiciaire, on ne voulait pas en faire la dénonciation, poursuit Serge Dorny, je ne comprends pas que ces lieux se ferment à un débat qui les concerne." Pour lui, il n'était pas question non plus de faire du "tourisme voyeuriste". "Comme l'école ou l'église, la prison fait partie de la ville, et le fait qu'elle parte à Corbas ne doit pas la faire disparaître des consciences", conclut Serge Dorny, qui compte aujourd'hui poursuivre le travail social de fond réalisé par ailleurs par l'Opéra en milieu carcéral.
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