Grand Orient de France franc-maçon

Emmanuel Macron au Grand Orient de France : entretien avec son nouveau Grand Maître

Alors que le président de la République doit se rendre au 250e anniversaire du Grand Orient de France, quelle réalité recouvre la première obédience maçonnique de France ? Quels sont ses liens avec le pouvoir ? Quelles causes défend la franc-maçonnerie ?

Guillaume Trichard, Grand Maître du Grand Orient de France

Guillaume Trichard, 47 ans, fils de viticulteur, originaire de Villefranche-sur-Saône - où il revient fréquemment - est le nouveau Grand Maître du Grand Orient de France, la première obédience maçonnique en France et plus importante d'Europe, d'une sensibilité généralement classée à gauche.

A Lyon, le Grand Orient de France peut compter sur 32 loges et 1 400 "frères et soeurs". Sous les trois mandats de Gérard Collomb, lui-même franc-maçon au Grand Orient, de nombreux adjoints de premier plan étaient également initiés.

A l'occasion des 150 ans de la loge maçonnique Fraternité Progressive de la "capitale du Beaujolais", et des 250 ans du Grand Orient de France - évènement auquel se rend mercredi 8 novembre le président de la République - nous avons rencontré la tête pensante du "plus vieux laboratoire d’idées de la République", selon ses termes. Entretien.

Apparue dans l’Europe des Lumières la franc-maçonnerie se fondait sur les idéaux de l’honnête homme et de la morale chrétienne. Elle entendait tourner le dos à la médiocrité des comportements humains et fonder une fraternité d’amis véritables dépouillés des artifices conférés par le statut social. Et aujourd'hui ?

Vous faites référence aux Constitutions d'Anderson de 1723, l'un des textes fondateurs de la franc-maçonnerie moderne qui font référence à la Loi Morale. Je rappelle que le Grand Orient de France, en 1877, supprime l'obligation de croire en Dieu et retire de sa constitution "l'existence de Dieu et l'immortalité de l'âme", se réclamant désormais de la "liberté absolue de conscience". Elle devient ainsi la première obédience libérale et adogmatique. Les hommes et des femmes s'engagent en franc-maçonnerie, qui est un ordre initiatique, pour à la fois construire leur propre temple intérieur, s'améliorer, avoir une réflexion sur leur place dans la société et contribuer à l'extérieur du temple à améliorer l'homme et la société à agir positivement dans la société. Depuis la naissance du Grand Orient de France cela n’a pas changé.

Quels sont les éléments qui ont poussé la franc-maçonnerie à renoncer en partie à sa culture du secret et à s'ouvrir à la communication disons institutionnelle?

Il faut faire un petit retour en arrière dans l'Histoire pour comprendre pourquoi les francs-maçons ont cultivé la culture de la discrétion. Sous la Troisième République, les francs-maçons dévoilaient leur appartenance maçonnique sans difficulté. Sous le régime scélérat de Pétain, les francs-maçons ont été persécutés et déportés dans les camps de concentration. Par la force de l'Histoire, je dirai qu’il y a eu ce retour contraint à la discrétion. Mais, en réalité, rien n'est secret en maçonnerie. Le seul secret qui existe est celui de son propre parcours initiatique.

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Pourquoi ne peut-on pas néanmoins assister à la tenue d'une loge ?

Parce qu'il faut être initié. Depuis maintenant plusieurs années, le Grand Orient de France ouvre les portes de ses temples à l'occasion par exemple des Journées européennes du patrimoine de tenues "dites ouvertes". Il est de notre rôle de faire découvrir ce qu'est une obédience maçonnique, la façon dont une loge fonctionne. D’ailleurs la franc-maçonnerie attire au-delà de la curiosité de plus en plus d'hommes et de femmes qui candidatent spontanément pour nous rejoindre.

"En monarchie absolue de droit divin, le pouvoir en place estimait que c'était des lieux où, potentiellement, se fomentaient de mauvaises choses contre lui"

Iriez-vous jusqu'à parler d'engouement pour la franc-maçonnerie ?

En tout cas, il y a un regain d'intérêt notamment chez les jeunes parce qu'ils sont demandeurs de trouver des espaces de réflexion et de débats apaisés. C'est ce qu'on fait dans nos loges. Une loge, c'est à la fois un travail sur soi-même sur les symboles, mais c'est également travailler sur des sujets sociétaux mais toujours sous l'angle maçonnique. C'est un lieu de confrontation d'idées. Et ça se fait dans le respect de celui qui porte les idées et dans le respect des idées elles-mêmes.

Quel est au juste cet "angle maçonnique" que vous évoquez ?

Une obédience maçonnique n’est pas un "think-tank", un club de pensées politiques ou une organisation syndicale. Aussi les thèmes abordés doivent l’être à la lumière du parcours initiatique de chacun. C’est l’éclairage symbolique sur les thèmes qui est intéressant. Le thème de l’eau peut, par exemple, être traité de plusieurs façons. On peut l'évoquer sous l’angle du développement durable, sous l’angle scientifique, on peut également le faire au plan de la pensée philosophique. C’est ce que j’appelle "l’angle maçonnique".

L'un des principes maçonniques est la triangularisation. De quoi s'agit-il ?

La franc-maçonnerie est effectivement une méthodologie de travail. Dans une tenue présidée par un Vénérable Maître, le franc-maçon doit demander la parole à son surveillant de colonne et doit s’adresser au Vénérable Maitre. C’est ce qu'on appelle la triangularisation de la parole. Vous vous adressez au président de séance. C'est assez utilisé aussi dans le monde profane : dans un tribunal, par exemple, les parties ne s'interpellent pas les unes les autres, elles s'adressent au président du tribunal. Ce qui évite d'avoir potentiellement trop de tension dans le débat. On reste sur le débat d'idées, sur la confrontation d'idées, toujours dans le respect de son frère ou de sa sœur.

Depuis longtemps bien avant Le Symbole perdu de Dan Brown, les francs-maçons ont été accusés de tout et de rien : de conspirer avec des extraterrestres, d'être des déviants sexuels de se livrer à des rituels occultes de diriger le monde ou d’essayer d’y mettre fin. Parmi leurs détracteurs, on trouve des passionnés de théories du complot ainsi que des organisations religieuses, dont l’Église catholique. Comment expliquer une telle défiance voire une telle hostilité ?

Dès sa naissance, il y a trois siècles, la franc-maçonnerie a été un lieu de débats à couvert, c'est-à-dire un lieu de débats dans des temples dans des moments où la démocratie n'était pas dans les états la règle. Soyons clairs : au XVIIIe siècle, quand vous aviez des loges dans lesquels vous trouviez des hommes d’origines et de professions différentes, peu importe leur métier ou leur situation dans la société, ils pouvaient débattre à égalité les uns avec les autres sur les sujets. En monarchie absolue de droit divin, ces lieux où se réunissaient à couvert des sujets étaient mal considérés. Le pouvoir en place estimait que c'était des lieux où, potentiellement, se fomentaient de mauvaises choses contre lui. Dans une histoire où l'église catholique était très puissante, les francs-maçons étaient considérés comme coupables de "complots". C’est bien là l’origine de la bulle du Pape Clément XII en 1738 "In eminenti apostolatus specula" . Je crois que, contrairement à tout ce qui peut être dit, la franc-maçonnerie est un formidable laboratoire d'innovation démocratique. C'est justement ce qui dérangeait : qu'il puisse y avoir, dans ces sociétés-là, un espace de débat démocratique.

"Pour Lyon, 80% des candidatures spontanées que nous recevons, ce sont des jeunes qui ont entre 20 et 30 ans"

Jusqu'en 2001, sous le mandat de Raymond Barre, les francs-maçons étaient peu nombreux à Lyon. Quand Gérard Collomb est élu en 2001, initié quelques années plus tôt, il va encourager ses adjoints francs-maçons à se dévoiler en donnant lui-même l’exemple. Et dans sa nouvelle équipe, 7 des 21 adjoints au maire sont francs-maçons. Lyon est-elle encore une place forte de la franc-maçonnerie ?

Remontons à l'origine de la franc-maçonnerie en France. Plusieurs grandes villes principales ont contribué à la naissance et à l'essor de la franc-maçonnerie au XVIIIe siècle : Paris, Lyon, Toulouse, Bordeaux et Marseille. Lyon a toujours été très dynamique au niveau de la franc-maçonnerie. La première loge lyonnaise est créée en 1740. Aujourd'hui, nous avons, au Grand Orient de France, 32 loges à Lyon qui regroupent 1 400 frères et soeurs. C'est très important. Concernant les élus, certains souhaitent divulguer leur appartenance maçonnique et d'autres qui ne le souhaitent pas ce qui ne veut pas dire pour autant qu'ils ne le sont pas. Sur ce point, il y a plutôt une stabilité dans l'engagement social et sociétal des francs-maçons. De plus en plus de jeunes nous rejoignent. Pour Lyon, 80% des candidatures spontanées que nous recevons, ce sont des jeunes qui ont entre 20 et 30 ans. Ce sont des jeunes qui s'intéressent à la société, s'engagent, militent d'ailleurs dans des associations, des ONG, des syndicats. Ils s'engagent également en maçonnerie parce que, finalement, la franc-maçonnerie c'est à la fois un ordre initiatique, on travaille son temple intérieur et agir positivement pour la société.

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"Il faut remettre la République au cœur des villages au cœur des banlieues"

L'un des axes forts de votre mandat est de "réparer la République". Cela sous-entend qu'elle est en morceaux. Avec la dislocation des grandes matrices léguées par l'Histoire, la matrice judéo-chrétienne et la matrice républicaine et laïque "de multiples lignes de failles – éducative géographique sociale générationnelle idéologique et ethnoculturelle – s'entrecroisent engendrant autant d'îles et d’îlots plus ou moins étendus" explique Jérome Fourquet dans un entretien Lyon Capitale. Réparer la République c'est "désarchipeliser" la société ?

Quand je parlais de réparer et défendre la République, je parle de la République indivisible laïque démocratique et sociale. Il y a, en effet, en France une archipélisation de la société, avec des Françaises et des Français qui se sentent abandonnés par la République, parce que pas ou plus de ramassage scolaire de transports en commun, de grandes difficultés pour accéder aux soins des services publics qui disparaissent des quartiers ou des villages. Le rôle absolu des décideurs politiques, quel que soit le niveau, c'est de faire lien, c'est-à-dire de remettre la République au cœur des villages au cœur des banlieues. Et c'est ce que moi j'appelle "réparer la République".

Jérôme Fourquet explique que le pays est "en panne d'un récit commun qui pourrait fédérer à la société". Quel pourrait être selon vous ce nouveau récit commun ?

Je partage l'idée qu'il y a effectivement une problématique de récit commun. Est-ce qu'il faut en créer un nouveau ? Je ne suis pas sûr. Je pense qu'il faut renouer avec l'idée simple de cette République universelle, fondée sur les principes de liberté, d'égalité, de fraternité et de laïcité. Cela doit évidemment être le souci premier des décideurs politiques et économiques. Il faut qu'ils fassent en sorte que ce nous passions du "vivre-ensemble" à l’ "être ensemble", parce qu'aujourd'hui, les difficultés auxquelles ils sont confrontés, font qu'il y a un risque de repli sur soi. Il ne peut y avoir d'indivisibilité de la République si la République n'est pas démocratique laïque et sociale. Et la République sociale ne l'est plus, lorsqu'autant de jeunes étudiants font la queue pour se nourrir devant les banques alimentaires. Elle n'est plus sociale, lorsque vous avez 25 millions de travailleurs pauvres, plus de 10 millions de Français sous le seuil de pauvreté. Ce "vivre ensemble" ne passe-t-il pas forcément par un récit commun ?

"La République laïque existe toujours. Simplement, elle est menacée, il faut identifier les menaces et y mettre fin"

Est-on encore une République laïque ?

La laïcité est un principe de paix et de tolérance et de vie ensemble. Ce n'est pas du tout la négation des cultures. Les cultures font la richesse de la République. Il y a une diversité culturelle qui d'ailleurs n'a rien à voir avec les religions. Il faut préserver cette richesse culturelle, en expliquant que, par exemple, l'école publique et laïque de la République doit "rester l'asile inviolable où les querelles des hommes ne pénètrent pas". C'est ce que disait Jean Zay (ministre de l'Education nationale de 1936 à 1939, NdlR).
Ce sanctuaire de calme est ce qui permet aux enseignants de transmettre des principes, des valeurs, des savoirs, des savoir-faire aux enfants. Les francs-maçons ne se résignent pas. Il y a chez eux beaucoup d'ambition pour la République, ils sont idéalistes par nature. Alors oui, la République laïque existe toujours. Simplement, elle est menacée, il faut identifier les menaces et y mettre fin. C’est ce qui s'est passé avec la circulaire interne du ministre de l'Education nationale visant à interdire le port de l'abaya. Il faut restez vigilants. J'aime à dire que le Grand Orient de France joue le rôle de sentinelle de la République, pour surveiller et défendre.

Pour reprendre l’expression d’Alain Bauer, ancien Grand Maître, le Grand Orient est-il "la boîte à outils de la République" ?

J’aime beaucoup le terme de boite à outils. Car en franc-maçonnerie, nous sommes attachés aux outils qui servent à construire le Temple de l’Humanité. Je dis souvent que le Grand Orient de France est le plus vieux laboratoire d’idées de la République. Ce sont avec nos propositions que nous contribuerons je le souhaite à réparer la République.

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