Rue89 et France Inter ont enquêté sur les menaces planant sur les Chambres régionales des comptes, en grève mardi.
Le procédé est inédit chez les juges financiers : à l'appel de leur syndicat, les magistrats des Chambres régionales des comptes (CRC) n'ont pas travaillé mardi 17 novembre. Leur deuxième grève en vingt-cinq ans d'existence. L'enjeu ? Une réforme du gouvernement qui, si elle est votée, fera voler en éclat le contrôle de légalité des finances publiques. Après la mort annoncée du juge d'instruction, la fin des CRC risque d'enterrer toutes les affaires…
Quel est le point commun entre ces différentes affaires ?
- les détournements d'argent public par le maire PS d'Hénin-Beaumont
- la gestion hasardeuse des investissements par le maire UMP d'Asnières-sur-Seine
- la triche avérée du maire UMP de Corbeil-Essonnes
- les pots-de-vin versés par l'Office des postes et télécommunications de Polynésie
Tous ces dossiers, désormais dans une phase judiciaire, ont démarré sur la base des contrôles menés par les Chambres régionales des comptes. « Un travail besogneux et ingrat », dit Sylvain Huet, en fonction dans le Nord-Pas-de-Calais.
Mais pour le président du Syndicat des juridictions financières (SJF, représentant 70% de la profession), il est temps de se faire entendre. Car depuis deux ans, et le lancement de cette réforme lors du bicentenaire de la Cour des comptes, aucune des grandes orientations défendues par le gouvernement n'a fait l'objet d'amendement significatif.
En résumé, l'idée est de transformer le contrôle a posteriori des dépenses en mission d'évaluation et d'audit, « exactement comme dans les cabinets anglo-saxons ». « Du rôle de gendarmes, nous allons passer à un rôle d'examinateur qui compare des performances », précise Sylvain Huet.
Pour l'instant, le rapport de force n'est pas vraiment en faveur des Chambres régionales des comptes. Pour plusieurs raisons :
- les effectifs : les CRC rassemblent 320 magistrats, contre 300 à la Cour des comptes, le « club anglais » des juridictions financières dont le rôle va moins évoluer
- la position du gouvernement, très volontariste (il n'a pas fallu cinq jours pour que le gouvernement revoit sa copie, après l'avis conforme du Conseil d'Etat) et déterminé sur le sujet
- l'entourloupe faite à Philippe Séguin (il n'a pas donné suite à nos questions), qui souhaitait promouvoir la responsabilité de gestion des élus, mais que le gouvernement a vidé de sa substance
Une disposition totalement inopérante
Officiellement, il est donc question de renforcer l'évaluation des politiques publiques. Un souhait consensuel, mais qui cache deux dispositions contradictoires.
Tout d'abord, les 10 Chambres interrégionales (qui remplaceront les 22 Chambres régionales) n'auront plus d'autonomie dans le choix des collectivités à contrôler. Au lieu de se fier à leur flair et à leur connaissance du terrain, les magistrats financiers devront faire du « benchmarking » sur tel ou tel sujet. Sylvain Huet :
« En début d'année, Paris nous dira : “ faites une analyse sur la politique du transport, la gestion du RSA… etc ”, et à la fin on pourra dire : “ là, ils sont très bons, là très mauvais ”, sans mise en cause de situation particulière.“”
Pire : pour que la responsabilité d'un élu soit mise en cause, il faudra que cet élu ait été dument informé qu'il risque de réaliser une infraction, puis qu'il donne l'ordre écrit de la commettre. “ Une disposition totalement inopérante ”, estime le président du SJF.
Evidemment, Sylvain Huet a conscience du chemin à parcourir. Les magistrats financiers n'ont pas de stars médiatiques, comme les juges d'instruction. La cause ne mobilise que quelques députés spécialisés. Et en plus, les “ justiciables ” n'ont qu'une lointaine idée de leur travail… sauf à évoquer Hénin-Beaumont, Asnières-sur-Seine, Corbeil-Essonnes, etc.