Vogue des Marrons
Affiche de la Vogue des Marrons de 1851

La véritable histoire (méconnue) de la "vogue des marrons"

La dernière grande fête foraine lyonnaise, qui remonterait au 17e siècle, a débuté le 5 octobre et se poursuivra jusqu'au 11 novembre.

C'est une institution à Lyon, au même titre que les Pennons ou les lampions sous les fenêtres. Mais à la différence des deux autres, la Vogue des Marrons n'a pas d'origine précise ni de date patentée.

Si la date du 4 octobre 1851 est souvent mentionnée (en raison d'un arrêté du maire Auguste Cabias, dont une copie se promène sur la toile (lire plus loin), en réalité, il semblerait que les origines soient plus lointaines.

Un article de (feu) Robert Luc, mémoire vivante de l’histoire des canuts et de la Croix-Rousse, écrivain, historien, conférencier, guide et reporter au Progrès mentionne la monarchie. C'est le Guichet du Savoir (le service gratuit de la bibliothèque municipale de Lyon) qui a débusqué l'article.

"150 ans ? Allons donc ! C'est bien trop jeune. Il faut remonter au XVIIe siècle pour assister à sa naissance." souligne l'auteur. "Il faut attendre la destruction des remparts et leur remplacement par l'actuel boulevard de la Croix-Rousse, en 1866 pour avoir une vogue proche de l'actuelle."

La Croix-Rousse "lieu incontesté du loisir"

On parlait alors de "fête baladoire". La Croix-Rousse est alors "le lieu incontesté du loisir avec ses 24 fêtes baladoires" écrit Alexandre Nugues-Bourchat dans sa thèse Représentations et pratiques d'une société urbaine : Lyon 1800-1880. L'expression de fête baladoire était alors le plus couramment employé dans la première moitié du siècle avant d’être supplanté par celui de vogue.

 "La fête populaire lyonnaise par excellence était la fête baladoire ou vogue, variante régionale de la fête foraine. A l’origine organisée par la population et notamment les jeunes, elle était l’expression festive d’un quartier accueillant pour quelques jours toute la ville. En déshérence au milieu du siècle, elle fut remise au goût du jour par le pouvoir impérial et fut désormais de plus en plus organisée par des professionnels ; malgré tout, elle restait entièrement investie par le peuple qui ne se lassait pas du spectacle. Nous dirons également un mot du carnaval et des brandons, qui tinrent une place importante dans la cité avant de disparaître peu à peu après 1848."

> Alexandre Nugues-Bourchat, Représentations et pratiques d’une société urbaine. Lyon, 1800-1880, thèse déposée à l'Université Lumière Lyon 2, 2004, page 199)

Et d'expliquer qu' "il ne pouvait en être autrement car accueillir une vogue nécessitait de l’espace, et ce n’étaient pas les ruelles médiévales de Saint Jean ou de Saint Paul, pas plus que le lacis enchevêtré courant de Bellecour aux Terreaux qui pouvait s’en charger. Il fallait donc s’excentrer dans les périphéries à l’urbanisation incertaine, laissant de larges plages de vide où les forains pouvaient venir planter leurs baraques."

La Croix-Rousse est alors une ville suburbaine à la ville centre, Lyon (elle fusionnera avec Lyon, par décret de Louis-Napoléon Bonaparte, en mars 1852).

La Croix-Rousse - dont le nom provient du nom d'une croix en pierre jaune-rouge (la pierre de Couzon, au pied des monts d'Or, a cette couleur), qui s'élevait sur l'emplacement du carrefour actuel formé par la rue Coste, la rue de Margnolles et la montée de la Boucle - compte alors 19 000 habitants (177 000 dans Lyon)

La "vogue", attestée dans le Lyonnais depuis 1552

Vogue. Le mot est attesté dès 1552 dans les Alpes et le Lyonnais. Il désignait la fête annuelle patronale d'une localité. Selon le Dictionnaire de la société des amis de Lyon et de Guignol - dont le but consiste à œuvrer pour la conservation et la protection du patrimoine et de ses traditions, à perpétuer l'enseignement du parler lyonnais -, le terme viendrait du bas allemand wogon, variation de wagon signifiant littéralement "se balancer". Selon d'autres, vogue signifierait "abondance", "affluence".

Dans L'Encyclopédie de D'Alembert et Diderot (1751), les danses baladoires sont "les danses contre lesquelles les saints canons, les Peres de l’Eglise & la discipline ecclésiastique se sont élevés avec tant de force : les Payens mêmes réprouvoient ces danses licencieuses. Les danseurs & les danseuses les exécutoient avec les pas & les gestes les plus indécens."

Le terme de fête baladoire sont les fêtes où se pratiquent les danses baladoires, en vogue au 17 et 18e siècle.

Bref, contrairement à ce qu'il se dit, la Vogue des Marrons n'est pas née un samedi 4 octobre 1851, à la Croix-Rousse.

En fait, d'aucuns se basent sur une copie d'un document de l'époque, signé du maire (le dernier de la commune de la Croix-Rousse) Pierre-Auguste Cabias, et daté du 4 octobre 1851. On y apprend que "toutes les places et promenades publiques où se tiendra la Vogue seront complètement illuminées au gaz, avec des appareils d'une invention toute nouvelle".

Arrêté du maire Auguste Cabias pour la "Vogue des marrons" de la Croix-Rousse, du 4 octobre 1851

Preuve en est que la vogue des marrons (alors encore appelée fête baladoire de la Croix-Rousse) existait avant 1851, un arrêt du prédécesseur de Cabias, Jean Moyne, (avant dernier maire de la commune de la Croix-Rousse) date du 28 septembre 1849.

Arrêté du maire JeanMoyne Cabias pour la "fête baladoire" de la Croix-Rousse, du 28 septembre 1849

Tirs à la cible, à l’épée et à la boule, courses en sac, casse-pot...

Les autorités on souhaité faire les choses en grand : le jour de l'ouverture des festivités sont prévues "des salves de ballons tirées au déclin du jour".

La vogue se tient alors sur six jours, mais pas en continu. Elle démarre le dimanche 5 octobre se poursuit les lundi et mardi pour reprendre le dimanche, lundi et mardi suivants.

Au programme : tirs à la cible, à l’épée et à la boule, courses en sac, casse-pot, tirs à l’oiseau, avec pour prix "une timbale d'argent" ou "une bague chevalière en or".

Le tout était entrecoupé de "danses publiques", de "promenade des jeunes gens, avec tambours et musique" et agrémentés de "spectacles de curiosités" et "autres amusements". Des illuminations étaient aussi prévues.

De quoi attirer la foule. D'autant qu'un grand bal était donné en ouverture de la vogue, d'où le nom de "fête baladoire"

Dans son édition du 13 octobre 1869, Le Progrès raconte d'ailleurs "la prodigieuse quantité de visiteurs" du dimanche, "à tel point que sur le boulevard de l'Empereur comme sur la grande place la circulation était presque impossible". Le lendemain, poursuit le quotidien, "l'affluence était tout aussi considérable que la veille", ajoutant que la compagnie du chemin de fer de la Croix-Rousse avait "dû faire de belles recettes".

Pelures de marrons

D'après le webzine de la bibliothèque municipale de Lyon, en 1896, la ville totalisait 207 jours de vogues qui s'étalaient de Pâques à Toussaint. "La première était programmée en avril et se tenait quai Claude Bernard. Il y en avait ensuite dans tous les quartiers . La dernière de l’année était celle de la Croix-Rousse sur le plateau. On y dégustait les premiers marrons de l’année et le premier vin blanc. D’où son nom de "Vogue des marrons". Les baraques des forains envahissaient l’espace publique." Les trottoirs étaient jonchées de pelures de marrons.

La Vogue des Marrons est la dernière grande fête foraine historique de Lyon.

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