Alors que les gendarmes sont petit à petit repoussés vers l'extérieur des villes, notamment par la mise en place des polices d'agglomérations, Lyon Capitale a rencontré Christian Mouhanna. Chercheur au CNRS et au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales, il livre son analyse.
Lyon Capitale : Quels sont les objectifs et les enjeux de la future police d’agglomération voulue par Nicolas Sarkozy ?
Christian Mouhanna : L’idée est avant tout de centraliser pour faire des économies, et de mieux contrôler les troupes, au moins en théorie. Au lieu d’avoir une police rattachée à un territoire donné, on aura à l’échelle de l’agglomération une seule force de police, dirigée par un QG central. La tendance générale est à la "déterritorialisation" de la police. On passe d’un système pro-réactif, comme disent les Anglo-Saxons, c’est-à-dire une police présente en-dehors d’un événement réellement grave, à un système réactif dans lequel on envoie les policiers uniquement sur les lieux au moment où les problèmes se posent. C’est tout le contraire de la police de proximité.
Quel est le risque de ce modèle policier ?
Qu’il n’y ait plus aucun contact entre les policiers et la population. Cela risque d’accentuer le phénomène de rejet de la police dans certains endroits et de poser des problèmes d’ordre judiciaire, puisque ce sont justement les policiers qui sont en contact avec les gens qui font remonter du renseignement. Le policier va devenir de plus en plus anonyme, sur le modèle du CRS : les CRS n’interviennent jamais dans le lieu où ils habitent, on les prend et on les envoie sur toute la France. C’est le modèle traditionnel français jacobin : avoir des fonctionnaires qui ne sont pas du tout proches de la population.
Vous donnez l’impression qu’on va transformer le policier en un “Robocop” qui ne réfléchit plus....
C’est ça ! On ne veut surtout pas de policiers qui pensent, qui réfléchissent et qui discutent avec les gens. Ce que souhaite Nicolas Sarkozy, c’est une police qui intervient en force. A la limite, le modèle qui s’applique est celui de l’interpellation en masse : on embarque tout le monde et on fait du chiffre d’affaires.
Le fameux chiffre d’affaires dont vous parlez, ce sont les chiffres de la délinquance ?
Oui. Quand on regarde dans le détail les mécanismes, on s’aperçoit que ces chiffres de la délinquance ne reflètent pas la réalité de la criminalité mais plutôt l’activité des policiers et la manière dont ils enregistrent la criminalité. En réalité, depuis que Nicolas Sarkozy a été ministre de l’Intérieur, une certaine façon de présenter les chiffres a été instaurée : les policiers peuvent agir pour moduler ces chiffres à la hausse ou à la baisse, soit en enregistrant des plaintes, soit en ne les enregistrant pas. Pour certaines délits, par exemple, les taux d’élucidation sont supérieurs à 100%, c’est-à-dire qu’on a plus d’auteurs de crimes que de crimes !
La police d’agglomération risque donc d’entraîner une perte du maillage territorial de la gendarmerie, sa zone de compétence représentant 95% du territoire et 50% de la population...
Cette police d’agglomération sonne le glas d’une certaine forme de police particulière car ceux qui faisaient de la vraie police de proximité, ce sont les gendarmes. La gendarmerie a toujours été soucieuse d’entretenir des relations de proximité avec les habitants. Elle a eu un rôle véritablement social et elle en est consciente, même si ce modèle est petit à petit abandonné aujourd’hui. À l’opposé, la police nationale a davantage développé un modèle de contrôle des populations et de relations plus autoritaires. Avec cette police d’agglomération, on est en train d’abandonner les campagnes. On est sur un système où il n’y aura plus personne pour gérer les problèmes en amont avant qu’ils ne deviennent des problèmes d’ordre pénal.
Cette police d’agglomération a pour objectif de, selon Jacques Gérault, préfet du Rhône et de Rhône-Alpes, “s’adapter aux bassins de délinquance”. Qu’entend-on par “bassin de délinquance” ?
En théorie, un bassin de délinquance est un territoire sur lequel se déplacent et agissent les délinquants. Mais on sait bien que les dimensions de ce territoire varient en fonction du type de délinquant. C’est pour cela que cette notion reste floue. Au lieu de s’adapter aux réalités de terrain, la police se fonde sur des principes généraux, des moyennes, qui correspondent plus à des préoccupations d’organisation interne qu’à une adaptation à la délinquance et surtout aux préoccupations concrètes des habitants d’un secteur. En plus, qui va gérer l’information à une telle échelle ? On nous parle de fichiers, mais ceux-là, les rapports officiels le reconnaissent, sont remplis d’erreurs.
Pourquoi les polices municipales se développent-elles tant, Lyon étant un bon exemple ?
Les polices municipales occupent le terrain laissé vacant par la police nationale. Elles répondent aux demandes des citoyens auxquelles la police nationale ne fait plus face et assurent la mission de proximité abandonnée par celle-ci. Toutefois, il ne faut pas croire que la police municipale est toujours une police de proximité, soucieuse de répondre aux citoyens et de les rassurer. Certaines polices municipales cherchent trop à imiter la police nationale, et à ne faire que de la répression. Il faut que les citoyens veillent à ne pas avoir une nouvelle force de police qui ait les travers des forces nationales actuelles.
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