Partie 1/3. La première moitié du XXe siècle est marquée à Lyon de l’empreinte de Tony Garnier, mais aussi par une architecture Art déco que Lyon adopte volontiers. Gare des Brotteaux, lycée du Parc, stade de Gerland, garage Citroën… des bâtiments emblématiques caractérisent cette époque, qui voit la transition entre l’emploi de matériaux traditionnels et l’avènement du béton armé. D’autres pépites plus méconnues, tels les cossues demeures du boulevard des Belges, la maison du docteur Albéric Pont, le château Sans-Souci ou encore l’escalier métallique de la Manufacture des tabacs témoignent aussi de cette époque.
À Lyon, après un XIXe siècle prudent dans le domaine architectural, le XXe siècle est une période de renouveau. Le béton armé révolutionne alors la manière de construire. Ses premiers emplois à Lyon datent du début du siècle, tel l’immeuble Cateland, érigé en 1910 au 24, quai Jaÿr, considéré comme le premier “gratte-ciel” lyonnais.
Au cours des premières années, l’Art nouveau influence peu Lyon (voir Lyon Capitale hors-série été 2021) qui, en revanche, embrasse allègrement entre les deux guerres l’Art déco, ce qui l’éloigne, avant la Deuxième Guerre mondiale, du Mouvement moderne.
Le développement urbain est marqué par des hommes politiques comme Édouard Herriot, député-maire de Lyon de 1905 à 1957, qui permet à l’architecte Tony Garnier, grand prix de Rome, de mettre en œuvre ses principes d’urbanisme par le biais de nombreuses réalisations tels les abattoirs et le marché à bestiaux (actuelle halle Tony-Garnier), le stade de Gerland, l’hôpital de Grange-Blanche, etc. (voir prochain numéro). C’est également à cette époque qu’est construit le palais de la Mutualité (1910-1913). L’instruction publique n’est pas en reste. L’augmentation de la population et l’affirmation républicaine d’un enseignement laïc conduisent à multiplier les écoles primaires. Le premier lycée de jeunes filles de province, place Edgar-Quinet, est construit en 1901, suivi par le lycée du Parc, pour les garçons, en 1911. En 1900, sont inaugurées les cinq facultés de l’époque, quai Claude-Bernard.
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Les immeubles du boulevard des Belges
Le déclassement d’une grande partie de l’enceinte fortifiée (voir Lyon Capitale mars 2022), en 1890-95, dégage un vaste espace offert au lotissement aux abords du parc de la Tête-d’Or. Mais l’opération traîne en longueur – la voirie n’est achevée qu’en 1895 – et ce n’est qu’en 1899 que le nouveau boulevard des Belges voit naître les premières constructions : villas, hôtels particuliers et châteaux s’élèvent côté impair et témoignent de l’ambition de “paraître” tandis que le côté pair voit la construction d’immeubles de rapport. Parmi les plus imposants édifices du boulevard, citons l’immeuble construit par l’architecte Barthélemy Delorme au n° 1 (1900-1901), l’hôtel-château Laurent-Vibert construit par François Rostagnat au n° 15 (1906). La villa construite au n° 45 par l’architecte Georges Bouilhères en 1908 offre un rare exemple de décor Art nouveau. Enfin, aux 31 et 33, les deux hôtels dessinés par Antoine Sainte-Marie-Perrin en 1902 pour l’industriel Auguste Isaac méritent une mention particulière en raison de leurs bossages.
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L’immeuble du 15, quai Sarrail
Il s’agit, avec l’immeuble Barioz, de l’un des derniers immeubles construits quai Sarrail par les architectes Jean Lanier et Gabriel Bonnamour en 1914. Ses jolis bow-windows, son élégante façade de pierre et moellon, ponctuée d’étonnantes figures sculptées et de motifs végétaux, concourent à distinguer l’immeuble dans l’alignement du quai.
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L’immeuble du docteur Albéric Pont
Au n° 9, avenue du Maréchal-Foch, un autre immeuble présente de remarquables décors de façade : têtes stylisées de lions rugissants, mésanges dans leur nid, frise de “putti” joueurs. Cet immeuble de cinq étages a été érigé par Albéric Pont en 1914. Directeur de l’école dentaire de 1899 à 1943, il fonde en 1914 un centre maxillo-facial pour les mutilés de la face de Lyon, les tristement célèbres “gueules cassées”. Son service traite plus de 7 000 blessés sur toute la durée de la guerre. L’établissement faisait partie des trois centres spécialisés, avec Paris et Bordeaux, créés en France à cet effet. La ville de Lyon accueillit plus de 200 000 blessés et malades durant la Grande Guerre.
Le saviez-vous ?
Mondialement connu avec son frère Louis pour le dépôt en 1895 du brevet du cinématographe, Auguste Lumière était passionné de médecine et de biologie. Pendant la Première Guerre mondiale, il invente le fameux “Tulle Gras”, pansement non adhérent, imprégné de baume du Pérou, pour soigner les plaies des grands brûlés de la guerre. Il contribue également à l’essor de la radiologie, dont il dirige le service à l’Hôtel-Dieu. Il développe gratuitement toutes les radiographies faites entre 1914 et 1918. La radiologie s’avère précieuse pour repérer les fractures, localiser les éclats d’obus et autres blessures provoquées par des armes nouvelles.
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L’opulente façade du château Sans-Souci
Sur la très passante avenue Lacassagne, le château Sans-Souci – avec son toit couvert d’ardoise, ses fenêtres de mansarde et sa façade jaune-orangé richement ornée – n’est pas sans rappeler le palais d’été de Sans-Souci, de Frédéric II, au sud-est de Berlin, dont il ne partage pourtant que l’appellation. Baptisé château Lacassagne ou château Sans-Souci, son nom vient ici du quartier Sans-Souci, loti par le baron des Tournelles au XIXe siècle.
Comme le rappelle son fronton, décoré d’opulentes grappes de raisins et frappé de l’inscription Etablissements des Grandes Caves de Lyon, il s’agit d’une ancienne entreprise de négoce de vin. Installée dans le quartier dans les années 1920, elle est rachetée en 1962 par la Société des Vins de France, propriétaire de la marque Kiravi, un vin rouge de table, dont le slogan “Kiravi me ravit” ne contenterait probablement plus les palais d’aujourd’hui.
Le site est démoli en grande partie à la fin des années 1990. Seule la partie centrale est conservée, les ailes, constituées originellement de sept travées chacune, sont réduites à trois. Depuis 2003, le lieu est devenu la Maison des associations, qui accueille des associations et met ses locaux à leur disposition à titre permanent ou ponctuel.
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Les murs inachevés de l’église du Sacré-Cœur
Rue Antoine-Charial, cette jolie église, aux volumes amples, n’a jamais été terminée. Deux pans de murs incomplets émergent de la façade ouest de l’église du côté du square, là où aurait dû prendre place la nef.
Tout avait pourtant commencé sous les meilleurs auspices. En 1916, les membres de l’association des Veuves de Guerre font le vœu que si la France sort victorieuse de la Grande Guerre, elles érigeront une église votive, consacrée au Sacré-Cœur de Jésus. Dès 1918, des fonds sont récoltés permettant l’acquisition d’un vaste terrain de 15 000 m2. L’architecte Paulet conçoit un projet démesuré, inspiré de la basilique du Sacré-Cœur de Montmartre à Paris. Avec ses 94 mètres de long et sa coupole de 63 mètres de haut, l’architecte ambitionne de créer dans l’Est lyonnais, alors en pleine croissance, un pendant à la basilique de Fourvière. Les travaux commencent en 1922 mais les fonds s’épuisent rapidement. Dès le début du chantier, la pierre de taille, trop onéreuse, est remplacée par de la pierre reconstituée. En 1934, alors que seuls l’abside, le transept et le gigantesque chœur sont construits, l’édifice est consacré. À la place de la nef, est bâti un simple mur nu, aujourd’hui percé de quatre vitraux, tandis qu’un toit de tuiles rouges est venu remplacer le dôme initialement prévu.
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L’escalier de la Manufacture des tabacs
L’actuelle université Jean-Moulin cache un escalier métallique monumental, d’un bleu éclatant. Avec sa myriade de rivets à frapper, il n’est pas sans rappeler la tour Eiffel ou la structure métallique de la halle Tony-Garnier (les anciens abattoirs de la Mouche), construite par Tony Garnier qui, par ailleurs, admirait beaucoup Eiffel. L’escalier a été construit vers 1925, d’après les plans de l’ingénieur en chef du Service central des manufactures de l’État, Joseph Clugnet, grand féru d’art. C’est lors de la transformation de la Manufacture en université en 1992 que l’architecte Albert Constantin le peignit en bleu et l’utilisa comme transition entre l’ancien bâtiment et la bibliothèque en verre, nouvellement créée. De l’autre côté de la cour, un escalier jumeau, de couleur gris pâle, est lui plus discret.
Le saviez-vous ?
Décédé en 1911, Joseph Clugnet ne vit pas la construction des bâtiments qui s’échelonna de 1912 à 1932, entrecoupée par les années de guerre et les temps difficiles qui s’ensuivirent. Construite sur l’ancienne ligne de fortification de la ville, la Manufacture des tabacs de Monplaisir remplaça la vétuste manufacture de Perrache. Dès 1933, elle se hissa au deuxième rang des vingt-deux manufactures françaises, avec la production de 380 tonnes de cigarettes. À son apogée, l’usine produisait trente millions de cigarettes par jour. Sa production s’acheva en 1987 et ses bâtiments furent reconvertis en université en 1992.