À partir de 1910, la modernité architecturale à Lyon se manifeste par l’apparition du béton armé, dont l’emploi se généralise rapidement. Stade de Gerland, théâtre de la Croix-Rousse, hôtel des Postes… de grandes réalisations emblématiques ponctuent la ville. D’autres pépites moins connues témoignent aussi de l’entrée de Lyon dans la modernité, tels les villas oubliées de Tony Garnier, la coupole de la chapelle de l'ancienne clinique Saint-François-d’Assise ou encore l’abri antiaérien de la Grande Poste.
La première moitié du XXe siècle coïncide presque exactement avec le mandat de l’emblématique maire de Lyon, Édouard Herriot, qui arrive à la tête de l’hôtel de ville en 1905, à l’âge de 33 ans, et y demeure jusqu’en 1957. Dès les premières années de son mandat, Édouard Herriot engage d’importants investissements dans les domaines du logement, de la santé, de l’accès à l’eau potable, de l’école publique pour tous et de la création d’édifices culturels populaires. Sensible à la question sociale, il fonde, en 1920, l’office public municipal HBM – habitations à bon marché – et met en œuvre la construction de plus de 4 000 logements destinés aux classes populaires. Afin de mener à bien cette politique municipale interventionniste, qui donne naissance à un urbanisme moderne et social, il s’entoure d’une équipe de spécialistes rassemblant Jules Courmont, professeur de médecine hygiéniste, Camille Chalumeau, ingénieur en chef, et l’architecte Tony Garnier. D’autres bâtisseurs comme Michel Roux-Spitz et Charles Meysson façonneront aussi le visage de la ville.
L’entrée de Lyon dans la modernité est marquée par la généralisation de l’utilisation du béton armé, dont Tony Garnier assume l’esthétisme brut, mais aussi par une architecture à fonction sociale. À partir des années 1930 notamment, les considérations utilitaires prennent le pas sur le style et la décoration.
Le saviez-vous ?
La fée électricité
Développée à la fin du XIXe siècle, l’énergie électrique supplante progressivement le gaz pour l’éclairage public. Grâce à la force motrice, elle favorise l’essor des grandes industries. À partir de 1905-1910, les foyers urbains sont dotés d’une lampe unique éclairant la pièce de vie principale de l’habitation : la “lampe populaire”.
Les grandes réalisations de l’ère Herriot
Dans les années 1910, Tony Garnier entame une longue collaboration avec Édouard Herriot, qui permet à l’architecte de mettre en œuvre ses principes d’urbanisme au travers de grands édifices : les abattoirs de la Mouche (1908-1928), actuelle halle Tony-Garnier ; l’hôpital de Grange-Blanche (1911-1933), composé de trente-deux pavillons reliés par un système de galeries souterraines, actuel hôpital Édouard-Herriot, le stade de Gerland (1913-1919), le quartier des États-Unis (1920-1934) ou encore l’École de tissage sur les pentes de la Croix-Rousse, aujourd’hui lycée Diderot.
Mais d’autres architectes participent à la politique d’urbanisme du maire de l’époque tel Michel Roux-Spitz, qui construit en 1929 une salle municipale des fêtes et réunions (actuel théâtre de la Croix-Rousse), une salle similaire à Vaise en 1932 (actuel théâtre Nouvelle-Génération) et l’hôtel des Postes, place Antonin-Poncet en 1937. Parmi les autres architectes attachés à la ville, Charles Meysson est l’auteur du vaste ensemble du Palais de la foire, bâti entre 1920 et 1930. Si ce bâtiment a été en grande partie détruit lors de la création de la Cité internationale de Renzo Piano, ce dernier en a néanmoins sauvé l’entrée, devenue la façade du musée d’Art contemporain. C’est à Meysson que l’on doit également la Bourse du Travail, réalisée en 1936, à l’architecture inspirée du Bauhaus et du constructivisme russe. À Gerland, les architectes Victor Robert et Auguste Chollat créent en 1922 la cité-jardin, contemporaine du quartier des États-Unis de Tony Garnier. Ils conçoivent également, en 1932, le groupe scolaire Aristide-Briand, 293-295, avenue Jean-Jaurès, pour répondre à la croissance démographique de Gerland.
La “Cité industrielle” de Tony Garnier
Tony Garnier est connu pour sa “Cité industrielle” théorisée à la villa Médicis, après son obtention du prix de Rome en 1899. Ce projet utopiste présente une ville contemporaine industrielle de 35 000 habitants avec des solutions d’infrastructures nouvelles. Ici, l’architecture a une fonction sociale ; dans sa ville on ne trouve ni église ni prison, mais de vastes assemblées, des écoles, des gymnases et des piscines. Si ses idées novatrices ne trouvent pas de réels aboutissements, sa collaboration avec Herriot ouvre néanmoins le champ de l’urbanisme et de la planification contemporaine mais fait surtout du béton le véhicule visuel de la modernité.
La chapelle de l’hôpital Édouard-Herriot
Largement méconnue, cette chapelle n’était pas prévue dans le plan de Tony Garnier. Elle est ajoutée à la demande des hospices civils et construite sur leurs fonds propres. La réalisation en est confiée à l’architecte Louis Thomas, qui intègre le cabinet de Tony Garnier en 1924. Le décor du fronton extérieur (une déposition de croix) est du sculpteur Georges Salendre, qui a aussi réalisé le grand Christ du chœur. Le plan de la chapelle est centré, avec une coupole octogonale. Des vitraux colorés aux tons pastel laissent filtrer une douce lumière apaisante. Quatre beaux vitraux d’Adrien Godien décorent le plafond, dans la lignée du style Art déco.
Les villas oubliées de Tony Garnier
Si les Lyonnais sont familiers des réalisations de Tony Garnier dans leur ville, bien peu connaissent l’adresse de la villa où l’architecte a fini ses jours. C’est dans une rue tranquille du quartier Saint-Rambert, au n° 1, rue de la Mignonne, qu’il bâtit sa villa en 1910-1912 et y résida jusqu’à sa mort. Celle-ci a malheureusement été amputée de près d’un tiers de sa surface lors des travaux d’agrandissement du quai Paul-Sédallian. De 1912 à 1919, Tony Garnier a aussi édifié la villa du n° 5, pour son épouse Catherine Garnier, qui y vécut avec son amant André Tessier. Une troisième villa, au n° 7, a été construite pour mademoiselle Bachelard, mystérieuse amie de l’architecte dont la légende en fait sa maîtresse ou une riche héritière qui lui aurait apporté des financements…
Lyon 1er
La coupole éclairante de la chapelle de l'ancienne clinique Saint-François-d’Assise
Cette chapelle, construite dans la deuxième moitié du XIXe siècle, est agrandie en 1923-1924 par Michel Roux-Spitz. Elle est alors dotée d’une coupole éclairante en dalles de verre, composée d’une couche de béton de huit centimètres d’épaisseur enserrant 2 000 pastilles rondes de verre de Saint-Gobain. Cette coupole en “béton translucide” a été réalisée par Pierre Dindeleux, entrepreneur spécialisé dans les travaux décoratifs en dalles de verre, à qui l’on doit également les coupoles de l’hôtel de ville de Vincennes (1935) et de la piscine olympique d’Aix-les-Bains (1933). Ce procédé architectural, apportant la lumière, a connu une large diffusion notamment pendant l’entre-deux-guerres. Suite au concile Vatican II (1962-1965) et à l’adoption de la célébration de la messe face aux fidèles, le dispositif de la coupole éclairante gêne le célébrant qui obtient la pose en 1964 de pastilles colorées sur chaque dalle de verre, afin de filtrer et limiter la luminosité. Aujourd’hui, jaune, bleu et rouge se mêlent dans un élégant motif abstrait.
Lyon 2e
L’abri antiaérien de l’hôtel des Postes
En 1937, lors de la construction de l’hôtel des Postes, place Antonin-Poncet, érigé à la place de l’hôpital de la Charité, un abri de défense passive en sous-sol est construit, sur demande explicite du ministre des PTT. Il est réservé au personnel de l’hôtel des Postes. Deux abris sont créés – l’un dans la partie sud pouvant accueillir 150 personnes, l’autre à l’angle nord-est du bâtiment avec une capacité de 600 personnes. Dès sa construction, l’hôtel des Postes se dote d’un poste central autonome de transmission alimenté par un groupe électrique indépendant, équipé de dynamos actionnées par des pédaliers en cas de panne de secteur. Sécurisées dans le premier bunker servant aussi d’abri, les dynamos sont encore présentes. Cet abri antiaérien, qui existe toujours, n’est malheureusement pas accessible au public.
Lyon 8e
Les abris antiaériens du quartier des États-Unis
Initialement au nombre de trois, les abris antiaériens du boulevard des États-Unis sont redécouverts par hasard en 1986, lorsqu’un poids lourd stationnant à la hauteur du numéro 64 passe à travers le sol. Ces refuges ont vraisemblablement été aménagés en 1939, lors de la “drôle de guerre”. Construits en béton armé, ils pouvaient accueillir, dans leurs 130 mètres de long, environ 300 personnes, assises face à face sur des bancs, avec une très forte promiscuité et dans le noir. Les abris se présentent sous la forme d’un long couloir en chicane (zigzag), tracé typique des tranchées de la Première Guerre mondiale. Au début, ils ne furent pas conçus pour résister à un bombardement mais afin de se protéger du gaz moutarde, utilisé par les Allemands durant la Grande Guerre. En 2007, le chantier du tramway T4, mené par le Sytral sur le boulevard, menace de les faire disparaître. Grâce à la mobilisation des habitants, l’un des trois abris a été conservé et déplacé quelques centaines de mètres plus loin, sous le square René-Picot. Ouvert un temps au public lors des Journées du patrimoine, ce dernier est fermé depuis une dizaine d’années. L’emplacement initial des abris est quant à lui discrètement signalé par des numéros, de 30 à 300, de chaque côté de la bordure du tramway, en souvenir du nombre de personnes qui y trouvaient refuge. La nuit, des points lumineux rouges, sur la voie du tram, matérialisent les bombardements.