Façon de parler, puisqu'à vrai dire, le récit relève plus de l'amertume que de la turlupinade.
Christophe Gros est un boulanger de 36 ans. Son père, qui lui a transmis le métier, s'était installé, comme locataire, au numéro 7 de la rue Jean de Tournes en 1989. En 2004, au décès de ce dernier, Christophe Gros reprend la Boulangerie des Jacobins. L'affaire tourne bien, et quelques grands chefs font appel au tour de main du jeune talemelier* : Mathieu Vianney, Jean-Paul Lacombe (feu Léon de Lyon), Joseph Viola (Daniel et Denise) ou, plus récemment, Frédéric Berthod (33 Cité). Jusqu'ici, tout va bien.
C'est sans compter les copropriétaires de l'immeuble : d'aucuns se plaignent de traces de farine dans la cour, de détritus entreposés dans la cave, d'encombrement des poubelles par des sacs de croûtes, etc. Certains vont même jusqu'à jérémiader des odeurs de croissant chaud ! La situation s'envenime, les copropriétaires s'en prennent régulièrement au boulanger. Les noms d'oiseau fusent, les menaces s'étalent comme de la mauvaise pâte. Le pauvre boulanger, lui, continue de pétrir, malgré tous ses efforts pour arranger la situation. Qu'importe, le syndic exhorte les huisiers qui "procèsverbalisent" à tout va ; et va jusqu'au TGI pour déloger purement et simplement le boulanger. Débouté en 1ere instance, le syndic récidive. Le 29 janvier 2008, la 8e chambre de la cour d'appel déclare que "le simple exercice d'une activité commerciale est insuffisant pour caractériser des troubles anormaux de voisinage". La boulangerie est saine et sauve.
La disparition des petits commerces
Sauf que le syndic aura eu raison du boulanger. Il migre dans le 3e "Je suis à bout ! Ils m'ont épuisé. C'est intenable". Dans le passé, le syndic avait déjà tenté de déloger le charcutier de l'immeuble. Ce dernier, devenu copropriétaire, avait tenu bon. Le boulanger aura eu moins de chance. A priori, les viennoiseries de Christophe Gros seront prochainement remplacées par des fringues et des chaussures. Bref, une histoire au goût amer . Depuis quelques années, les petits commerces ferment les uns après les autres en centre-ville. C'est le cas de la Boulangerie des Jacobins. Ce pourrait prochainement être le cas, à proximité, du Petit Casino de la rue des Archers (2e) qui, lui aussi, pourrait se transformer en friperie chic. C'est le syndic qui va être content : plus d'odeur de croissants, juste celle de l'argent. Bling-bling !
* Nom que portaient les boulangers au XIIe siècle, époque à laquelle leur corporation, l'une des premières en France, s'est formée.
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