La ministre de la Culture, Fleur Pellerin, dit vouloir “ouvrir une discussion” sur l’indépendance des journalistes et le pluralisme de la presse face à la concentration actuelle des médias en France, a déclaré aujourd’hui le porte-parole du Gouvernement. Des pistes réglementaires et législatives sont envisagées pour élargir les missions du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) et renforcer les garanties dans ce domaine.
Avec le scandale de la chaîne Numéro 23 (lire ici), la censure exercée à Canal+ par Vincent Bolloré en personne ou encore la fièvre acheteuse de Patrick Drahi (Altice) vis-à-vis des médias français (L’Express, BFM, RMC, Numéro 23), le CSA semble se réveiller et prendre la mesure du problème.
L’institution présidée par Olivier Schrameck, devenue, par la volonté de François Hollande, “autorité administrative indépendante”, a déjà vu sa marge de manœuvre augmenter, et l’audition de Pascal Houzelot hier, dans le cadre de la demande d’agrément de la cession de Numéro 23 à NextRadioTV (donc à Altice) a été d’une rare pugnacité, et parfois d’une véhémence inédite dans cet univers généralement assez feutré.
On regrette toutefois qu'une première audition de Pascal Houzelot se soit déroulée le même jour au CSA à huis-clos, au nom du sacro-saint "secret des affaires", qui couvre tant de dérives. Incompréhensible, surtout pour ce qui relève de l'attribution de fréquences publiques et par conséquent des intérêts patrimoniaux de l'État.
Rappelons que le pacte d’actionnaires que Pascal Houzelot a conclu avec un oligarque russe entré au capital de sa société, quelques mois à peine après le lancement de la chaîne, prévoit que Numéro 23 sera revendue... en 2015 ! Comme l'écrit Laurent Mauduit dans Mediapart, "il atteste donc que l'investisseur russe n’est venu que dans le cadre d’une opération de portage et que Pascal Houzelot n’avait dès le début qu’un seul projet : obtenir une fréquence à titre gratuit et, sitôt passé le délai des 2 ans et demi prévu par la loi, revendre la chaîne le plus cher possible".
"Les discussions sont ouvertes"
Il s’agit de “regarder la situation que nous rencontrons aujourd’hui” et de “garantir la liberté [et] l’équilibre de la presse dans tous les secteurs”, a indiqué Stéphane Le Foll. “Sur ce sujet, précise-t-il, les négociations, les discussions sont ouvertes.”
Le député socialiste Patrick Bloche, président de la commission des affaires culturelles de l’Assemblée, a quant à lui précisé que les mesures envisagées n’étaient “pas des dispositifs anti-concentration, [ni des] mesures anti-Bolloré, cela vaudra pour tout le monde”. “Il s’agit essentiellement d’élargir les missions du CSA pour lui permettre d’interpeller les actionnaires” des grands groupes multimédia, “en cas de mise en danger de l’indépendance des rédactions et du pluralisme”, a conclu le député.
Une des pistes étudiées consiste ainsi à intégrer aux conventions liant les groupes audiovisuels et le CSA des dispositions visant à garantir l’indépendance des rédactions vis-à-vis des intérêts économiques des actionnaires et des annonceurs. Cela comprendrait la mise en place obligatoire de comités éthiques, l’élaboration de chartes déontologiques et l’extension du statut de lanceur d’alerte, pour protéger les journalistes qui signaleraient d’éventuels manquements à la convention. Mais rien n'est dit sur le secret des affaires.
Ces pistes doivent encore être “travaillées avec le CSA et les journalistes” et arbitrées par le chef de l’État et le Premier ministre, indique une source proche du dossier. Elles concernent surtout à ce stade les médias audiovisuels, qui ont avec le CSA un organisme régulateur, alors qu’il n’en existe pas pour la presse écrite, où les restructurations se soldent pourtant par d’importantes coupes dans les effectifs (voir l’exemple de L’Express aujourd’hui) ou encore des actionnaires assez exotiques, aux motivations inconnues (illustration ici).
Autant de pistes que nous défendons à Fiducial Médias de façon constante (cf. notre récente audition au CSA), tant l’indépendance des journalistes et le pluralisme de la presse sont des piliers essentiels de notre démocratie. Mais ne nous emballons pas... et attendons des mesures concrètes, qui devront être gravées dans le marbre de la loi et dont nous espérons qu’elles seront unanimement soutenues par la représentation nationale.
Reporters sans frontières (RSF) est aussi là pour nous rappeler que la France, qui n’est que 38e dans le classement annuel de la liberté de la presse, est l’une des plus mauvaises élèves en Europe, loin derrière des pays comparables comme l’Allemagne (12e) ou la Belgique (15e). Paraphrasant François Hollande, on pourrait dire que "le véritable adversaire de cette liberté, n'a pas de nom, pas de visage, pas de parti, il ne présentera jamais sa candidature, il ne sera jamais élu et pourtant il gouverne. Cet adversaire, c'est le secret des affaires".
MAJ 20:28
MAJ 23:08 Le CSA vient de retirer l'autorisation d'émettre à Numéro 23, une première dans l'histoire de la télévision