Le diagnostic sans complaisance du patron des médecins

Entretien sans langue de bois avec Pierre-Louis Druais, organisateur du congrès de Lyon, et président du Collège National des Généralistes Enseignants (CNGE).

Lyon Capitale : Quelle est la réalité du phénomène "burn-out" chez les médecins ?
Pierre-Louis Druais : Je préfère parler de surmenage. Ils ont tout simplement de plus en plus de travail. Le vieillissement de la population implique une augmentation des demandes de soins. Et le médecin généraliste prend cette pression-là de plein fouet puisqu'il est le premier point de passage, ce qui a été renforcé encore par le système du médecin traitant.

Quelles seraient les solutions ?
Il faut améliorer l'éducation pour que les patients gèrent mieux leur santé. On a beaucoup trop de consultations précoces, par exemple pour la rhino-pharyngite ou la gastro-entérite. Ça fait rire tous les médecins hollandais que les Français aillent consulter pour une diarrhée de 48 heures... La maman hollandaise sait ce qu'il faut faire pour la gérer, qu'il faut vérifier les pertes de poids et consulter au bout de 48 heures... Mais surtout, il faut une meilleure organisation du système de soins. Par exemple dans le domaine cardiaque, on doit mieux détecter les insuffisances et bien éduquer le patient sur les soins. Une étude américaine a montré qu'une bonne éducation permettait une économie de 2500 dollars en moyenne sur six mois par patient insuffisant cardiaque, car on évite des complications, des hospitalisations... L'éducation, c'est rentable ! D'autant qu'une population qui va mieux, c'est aussi une population plus riche...

La médecine générale pratique des soins dont la visibilité est bonne. Mais la visibilité du travail éducationnel est nulle, y compris pour les patients. Il faut une reconnaissance de ce travail, donc une rémunération. En Angleterre, le système du primary care montre une efficience dans le soin, la prévention et le dépistage.

Le système anglais est décrié !
Pas sur les premiers soins. En Angleterre, le médecin est la porte d'entrée qui gère l'immédiat, fait de la prévention et dirige vers les soins secondaires (spécialistes), tertiaires (hôpitaux) ou quaternaires (plateaux hi-tech). Ça marche. C'est ensuite qu'ils ont de gros problèmes. Mais il ne s'agit pas de faire l'apologie de l'Angleterre. On veut garder notre système, mais l'améliorer.

Quelle est l'efficacité du système du médecin traitant ?
Quand mes patients viennent me voir pour me demander une consultation "dermato" "pour regarder mes grains de beauté", je leur réponds que je peux le faire. Je suis formé pour. Evidemment, ça fait moins de demandes pour les dermatologues, qui peuvent se consacrer à des pathologies plus complexes. Et il faut avoir le courage de dire qu'on n'a pas besoin d'autant de spécialistes. En France, la moitié des médecins sont des spécialistes. C'est un cas unique ! Dans tous les pays d'Europe, avant 50 ans, pour se faire prescrire des lunettes, on va chez l'opticien. Il est compétent pour ça. Par contre, l'ophtalmologiste est incontournable par exemple après 50 ans pour le dépistage des glaucomes...

Vous souhaitez que des dermatos redeviennent généralistes?
Non, mais je demande à la fac de former moins de dermatos. Les phlébologues ont réfléchi aux besoins de la population pour leur discipline et défini un numerus clausus. Ça c'est cohérent. Aujourd'hui, on examine la distribution entre les disciplines selon les besoins de fonctionnement des hôpitaux, pas des populations. Il faut fermer certains services ! Le chirurgien qui pratique quelques césariennes par an ne peut pas être compétent ! Vous confierez votre véhicule à un garagiste qui ne voit que trois voitures par mois ?

On dit que les médecins ont obtenu "un smic supplémentaire", avec l'augmentation de la consultation. Ont-ils besoin d'être mieux payés ?
La rémunération à l'acte a montré ses limites. Ça coûte très cher et nourrit une course folle à l'acte. Ce qui provoque des burn-out. Il faut investir dans l'éducation, la prévention. On l'a vu avec la CMU : cela a permis à des femmes de sortir de chez elles et de ne plus déprimer, parce qu'elles ont pu avoir un dentier... Elles ont pu reprendre une activité sociale, voire professionnelle, donc créer de la richesse. La CMU, c'est évidemment rentable ! D'ailleurs, ceux qui la refusent, ce ne sont pas les généralistes !

"Les caisses sont vides" dit le gouvernement. Faut-il consacrer plus de moyens à la médecine générale ?
Il faut faire des choix. On a dépensé 150 millions d'euros pour le dossier médical personnalisé, qui n'a rien prouvé pour l'instant. Notre grand problème, c'est que l'Etat gère des populations et une politique de santé. L'Assurance Maladie, qui dispose d'un budget plus important que l'Etat, a d'autres options. Nous, on cherche la cohérence entre les deux. Il y a une note d'espoir : suite aux Etats-Généraux de la Santé, il va être inscrit dans la loi que le médecin généraliste est le médecin du premier recours. L'objectif commence à apparaître, mais on attend les moyens. Moi, je réclame aussi trois professeurs titulaires de médecine générale dans chacune des 38 facs de médecine. Il n'y en a aucun aujourd'hui. Je demande aussi de vraies évaluations, de vraies recherches sur les soins primaires. Les résultats risquent de nous gêner, mais c'est comme ça qu'on progresse.

En fait, les médecins souhaitent travailler moins pour gagner plus...
Demain, les médecins ne travailleront pas forcément 75 heures par semaine. Mais leur revendication, ce n'est pas de gagner plus, mais de gagner autant en travaillant mieux.

Comment peut-on réorganiser le travail des généralistes ?
Le travail individuel du médecin, c'est fini ! Dans 5 ou 10 ans, on n'en parle plus. Les cabinets pluridisciplinaires ou les maisons médicales de garde sont une solution. Dans une organisation bien structurée, le médecin peut trouver un équilibre de vie sociale, professionnelle et familiale. Ça augmente le coût, mais ça améliore l'efficience des soins et la qualité de vie des soignants. Ces structures peuvent devenir des espaces de formation, et pourquoi pas de recherche. Quant aux patients, ils votent avec leurs pieds : ils y vont, parce qu'ils y trouvent une cohérence.

L'Etat a-t-il compris vos revendications ?
J'ai une vraie inquiétude : est-ce que demain on continuera de rembourser les soins primaires ?

La question est-elle vraiment posée ?
Bien sûr ! Puisqu'on parle régulièrement du déremboursement des "petits soins".

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