"Le monde selon K." : Docteur Kouchner et Mister Bernard

Revue des menus avantages du pouvoir.

S'il n'est pas le plus lucratif, le dossier birman est le plus moralement discutable

Le sujet a surgi du site Internet de Total, en 2003, au moment où le groupe pétrolier est confronté à une intense polémique sur son rôle en Birmanie. Constructeur et exploitant du gisement gazier de Yadana, Total a usé des services de l'armée birmane pour conduire le chantier terrestre. Au menu: mauvais traitements, déplacements de population et surtout, travaux forcés pour les paysans, une habitude ancestrale des autorités.

Le rapport de 23 pages signé Bernard Kouchner -'Relation d'un voyage et de la découverte d'une industrie muette'- est une claque pour les aficionados du French Doctor. Non seulement il dédouane l'exploitant de toute responsabilité dans le chantier, mais en plus il critique le boycottage occidental visant Rangoon, contre l'avis de l'opposante Aung San Suu Kyi, dont il se réclame!

BK conseil, son entreprise, a été mandatée par Me Jean Veil, l'avocat de Total, moyennant 25 000 euros d'honoraires. Face à la polémique, le médecin-conseil reversera cette somme à trois associations humanitaires, mais il ne se déjugera jamais, convaincu d'avoir raison. L'affaire se terminera par un arrangement à l'anglo-saxonne, entre avocats: Total accepte d'indemniser les plaignants birmans en échange de l'abandon des poursuites pénales.

Dans un entretien au Nouvel observateur, Bernard Kouchner persiste et signe aujourd'hui:

'Mon avantage a été d'aller sur place, où personne ne s'était rendu. Lorsqu'après plusieurs jours d'enquête, j'ai vu le fonctionnement des 9 dispensaires créés par Total, j'ai trouvé que ça marchait bien et qu'il fallait que Total élargisse le périmètre de son action en matière de santé. Pour le reste, ma conclusion était que je n'avais pas constaté de travail forcé chez Total. Quant à ma rémunération pour ce rapport je l'ai donnée à trois ONG: Emmaüs, Aide médicale internationale et la Chaîne de l'Espoir.

N.O.- Il est notoire -les envoyés spéciaux du Nouvel observateur l'ont constaté sur le terrain -que l'armée birmane rafle des gens pour les faire travailler pour son compte. Et qu'elle l'a fait sur le chantier de Total comme ailleurs...

B. Kouchner. - Il est probable que l'armée l'ait fait lors de la construction du chantier. Lorsque je m'y suis rendu, les travailleurs de Total m'ont garanti qu'ils n'employaient pas de travailleurs forcés et que la compagnie avait dédommagé ceux qui l'avaient été et qui ont été retrouvés.'

L'Afrique, terre de conquête... surtout chez les dictateurs

Deuxième épisode: les pérégrinations africaines. Là aussi durant la période de vache maigre du second mandat présidentiel de Chirac. Bernard Kouchner n'a alors plus de responsabilités publiques. Il vit essentiellement de ses conférences publiques (largement rémunérées, selon lui) et d'un poste de professeur associé au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), payé 5000 euros.

Visiblement, cela ne suffit pas. Le 1er juillet 2004, la confidentielle Lettre du continent se fait l'écho des missions décrochées par BK Conseil et Imeda, société fondée par deux proches, Eric Danon et Jacques Baudoin, sous le titre 'Opération santé électorale au Gabon'. En particulier de cet audit du système de santé gabonais qui doit déboucher sur la création d'une sécurité sociale. Nos amis de Bakchich ont publié le 13 janvier dernier les montants de cette mission, dont le solde a finalement été payé par Omar Bongo: 817 000 euros réglés en 2008.

En 2004, cette information ne soulève pas d'indignation publique particulière. Aujourd'hui dans le Nouvel Obs, Bernard Kouchner se justifie de la manière suivante:

'Mais enfin de quoi m'accuse-t-on? J'ai toujours agi dans la légalité et la transparence, déclaré mes revenus, payé mes impôts. Je n'ai jamais signé un seul contrat avec un Etat africain. Jamais. J'ai été un des consultants d'une entreprise française -Imeda- dans un domaine que je connais: celui de la médecine et de la santé publique. J'ai travaillé à un projet auquel je tiens: l'assurance maladie pour les Africains, qui permettra aux indigents d'être pris en charge. Au Gabon, une loi de janvier 2007, votée à la suite de mon travail qui a duré trois ans, instaure un 'régime obligatoire d'Assurance maladie' et j'en suis fier. J'ai aussi travaillé au Nigeria, au Bénin, mais également en Ukraine, en Roumanie, en Pologne.'

Du Biafra au salon Murat, léger glissement de train de vie...

Dans son enquête 'Le monde selon K.', Pierre Péan dresse la liste des passe-droits utilisés par Bernard Kouchner: nomination aux forceps à l'hôtpital Cochin, alors qu'il est secrétaire d'Etat à la Santé sous Mitterrand, nomination au Cnam, sur le contingent du ministre de l'Enseignement supérieur, nomination à la tête d'Esther, un réseau d'aide sur la santé publique, par Jean-Pierre Raffarin...

L'ensemble dessine le portrait d'un homme public qui s'habitue au train de vie du pouvoir. Au point de ne plus pouvoir vraiment s'en passer. Il le reconnaît d'ailleurs à demi-mots:

'Y-a-t-il quelque chose de choquant qu'un ancien ministre de la Santé, qui a fait pendant des dizaines d'années des missions humanitaires pour Médecins sans Frontière -Prix Nobel de la Paix je le rappelle-, Médecins du Monde et bien d'autres sans toucher un centime, rédige des rapports permettant à des pays africains d'améliorer leur système de santé? Pour ce travail, j'ai été rémunéré à un tarif inférieur à ceux pratiqués, à l'époque, par les consultants de la Banque mondiale ou de l'OMS.'

A-t-il été entraîné sur ce chemin par les multiples activités de son épouse? L'enquête de Péan montre à quel point Christine Ockrent est une fan des ménages en tout genre: Caisse des dépôts à Bordeaux, Microsoft, SFR, université d'été du Medef, Carrefour, Women's forum, Assises de la décentralisation en février 2008... Autant d'abus dénoncés à plusieurs reprises par la SDJ de France3. Sans résultat.

Interrogé sur l'affaire par le député PS Jean Glavany, le ministre des Affaires étrangères a lu une réponse à l'Assemblée, accusant à demi-mot Pierre Péan d'antisémitisme: Le livre 'm'accuse de personnifier la contre-idée de la France, c'est-à-dire l'anti-France, le cosmopolitisme. L'accusation de cosmopolitisme, en des temps difficiles, ça ne vous rappelle rien? Moi si, et je vais vous le dire, ça dépasse très largement ma personne.' (Voir la vidéo.)

A lire aussi sur Rue89
- Les articles sur Bernard Kouchner
- Bernard Kouchner, un ministre galère pour les journalistes
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Ailleurs sur le Web
- L'article de Bakchich sur les affaires africaines de BK
- Le rapport Kouchner sur Total en Birmanie
- La réponse de Bernard Kouchner dans le Nouvel observateur

- Addendum le 05/02/2009 à 00h25 avec la réaction de Bernard Kouchner à l'Assemblée nationale.

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