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Le plan Juncker : “une belle opportunité” à “accompagner de réformes”

Le directeur général de la Banque de France chargé des études et des relations internationales, Marc-Olivier Strauss-Kahn, analyse pour les Journées de l’économie (dont Lyon Capitale est partenaire) le plan du président de la Commission européenne pour relancer l’investissement dans une Europe post-Brexit.

“Le plan Juncker : dernière chance pour la croissance européenne* ?” Ce plan est surtout une belle opportunité, désormais doublée en durée (6 ans) et en montant (630 milliards d’euros). Pour assurer une croissance durable et multiplier son impact en mobilisant l’épargne disponible, il faut l’accompagner de réformes structurelles, dans divers pays, et institutionnelles, au niveau de la zone euro, ce qui motivera au besoin les pays appropriés à le compléter par un soutien budgétaire national.

Le plan Juncker représente un flux annuel moyen d’environ 100 milliards d’euros par an, près de 0,7 % du PIB européen. Il intègre de nombreux éléments permettant de relancer dans la durée la croissance en Europe : il est axé sur un critère d’“additionnalité” afin de ne pas se substituer à des investissements qui auraient de toute façon été financés par ailleurs ; il allie fonds publics et privés ainsi qu’effets d’offre et de demande, notamment quand il renforce les infrastructures.

Des réformes structurelles pour accompagner le plan

Pour autant, le plan Juncker doit être accompagné de réformes structurelles qui augmenteront son effet multiplicateur. Ces dernières apparaissent indispensables pour augmenter le potentiel de croissance, trop faible dans la plupart des pays avancés, notamment européens, après la Grande Récession ; elles rehausseront ainsi la demande anticipée et, partant, l’investissement et son effet accélérateur. La liste de ces réformes est longue, qu’il s’agisse par exemple de fluidifier les marchés des biens et services ou du travail, de simplifier les créations d’entreprises et de limiter les ententes ou de renforcer l’éducation des jeunes (apprentissage) et la formation professionnelle. Cette liste est d’autant plus longue dans les pays qui ont tardé à mettre en œuvre des réformes et croissent d’autant moins aujourd’hui, notamment en zone euro.

Du surplus d’épargne à l’union de financement et d’investissement

Ces réformes structurelles ont parfois un coût à court terme, qu’il convient de pallier par un soutien spécifique. Or, le Royaume-Uni mis à part – non pas tant du fait du Brexit que de ses déficits, d’ailleurs croissants –, l’Europe (ou la zone euro) dispose d’un surplus d’épargne sur l’investissement, qui finance le reste du monde et qui représente en 2015 près de 400 milliards d’euros par an.

Réorienter une partie substantielle de ce surplus en intra-zone euro, disons un quart, soit environ 100 milliards d’euros par an également, doublerait encore le flux annuel du plan Juncker par des capitaux privés. C’est possible en combinant ce plan à l’union bancaire européenne (UBE) en cours et à l’union des marchés de capitaux (UMC) en gestation ainsi qu’en promouvant leurs synergies, notamment par des financements transfrontières d’investissement. Ces trois éléments constitueront alors une véritable union de financement et d’investissement (UFI) qui relancerait l’union économique.

Cette UFI doit aussi aider à réorienter les types de financement vers l’actionnariat plutôt que la dette : en Europe, la part dans le PIB du financement des entreprises par fonds propres est moins de la moitié de celle aux États-Unis. Or le financement par action joue un rôle d’absorbeur de chocs comme l’a montré la crise récente. En outre, en Europe, la “disette d’investissement” (investment dearth) plus encore que l’excès d’épargne (savings glut, mis en avant par B. Bernanke) reflète aussi le passage d’un investissement de capacité à un investissement d’innovation, plus facilement financé par une part accrue en fonds propres vu sa composante risquée, sans même parler du financement de petites entreprises.

Le rôle des politiques de soutien de la demande

Les réformes structurelles et institutionnelles prennent certes du temps à porter leurs fruits et doivent être accompagnées, quand c’est possible, par des politiques de soutien de la demande. La politique monétaire ayant été extraordinairement sollicitée et favorisant déjà des conditions financières sans précédent, elle ne saurait être encore surchargée, notamment en zone euro. Dans la panoplie des politiques économiques, une fois considérées les mesures monétaires, financières et structurelles, restent les politiques budgétaires. Certains en appellent donc à un soutien complémentaire à court terme des politiques budgétaires nationales.

Certes, plusieurs pays n’ont pas ou peu de marges de manœuvre budgétaires, au risque sinon d’alourdir encore le fardeau des générations futures, surtout si les marchés sanctionnent leurs dérapages. Pour autant, sans aggraver les déficits, la composition de la dépense publique peut jouer : 2 % de la dépense publique en zone euro représente un flux annuel à nouveau approchant les 100 milliards d’euros du plan Juncker. Rendre cette dépense plus productive doublerait aussi l’effet du plan, par exemple en réduisant les millefeuilles administratifs au bénéfice d’investissement en infrastructures, y compris dans le cadre de projets transnationaux.

Quant aux pays de la zone euro qui disposent de marges de manœuvre budgétaires (certains parlent d’“espaces budgétaires”), pour qu’ils acceptent une relance à court terme qui bénéficierait aussi à la croissance de leurs voisins en fort déficit, il faut rétablir leur confiance dans les efforts de ces derniers. Seule une stratégie collective au niveau de la zone euro et dans la durée peut restaurer la confiance indispensable entre deux types de pays : ceux qui peinent traditionnellement à se réformer et ceux à qui on demande de favoriser une relance budgétaire nationale aux retombées bénéfiques sur leurs voisins et, partant, sur toute la zone et eux-mêmes en retour.

Pour un ministère des Finances de la zone euro

Pour être crédible, cette démarche doit donc s’accompagner aussi d’évolutions institutionnelles, sans attendre un véritable budget européen et des réformes plus lourdes et donc lentes des traités européens ; la création d’un ministère des Finances (ou de l’Économie) de la zone euro est souhaitée par plusieurs, dont la Banque de France. Et les défis migratoires comme ceux du Brexit ne la rendent pas moins nécessaire, même si cela suppose beaucoup de pédagogie. Car, pour reprendre la formule célèbre de Jean Monnet, “rien ne se crée sans les hommes, mais rien ne dure sans les institutions”.

Le rôle de ce ministère, institution symétrique de la BCE, ne serait certes pas d’appliquer une politique fédérale unique (comme la politique monétaire), mais il n’en serait pas moins ambitieux en coordonnant – cette fois pleinement – des politiques nationales, que ce soit en matière financière, budgétaire ou structurelle, au lieu de simplement les surveiller comme maintenant. Il viserait une combinaison optimale des politiques économiques nationales pour atteindre des cibles communes définies au niveau de la zone euro.

Au-delà des résistances politiques et de l’euroscepticisme montant, que relativisent d’ailleurs les résultats positifs d’enquête quant au soutien à l’euro et au souhait d’intégration, l’enjeu n’est donc pas “Plus de Bruxelles”, mais bien “Plus de croissance et d’emplois”.

Faire de la zone euro plus que la somme de ses composantes

En termes économiques, une telle institution s’appuyant sur l’UFI (dont le plan Juncker) contribuerait à internaliser les externalités négatives résultant des chocs asymétriques qui touchent les différents pays de la zone euro ; elle optimiserait aussi les externalités positives entre politiques budgétaires et structurelles nationales. En termes politiques, la combinaison du plan Juncker au sein de l’UFI et d’une telle institution viserait à faire de la zone euro plus que la somme de ses composantes. Face aux avancées de l’union monétaire, elle pallierait les déficiences de l’union économique.

La décision d’agir reviendra évidemment aux dirigeants politiques, mais cela n’empêche pas les banquiers centraux de contribuer dès maintenant aux débats pour que la politique monétaire ne reste pas “la seule partie à jouer” (the only game in town, selon l’expression anglaise).

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* Cette question est l’intitulé de la table-ronde à laquelle participera Marc-Olivier Strauss-Kahn dans le cadre des Journées de l’économie, avec Jérôme Creel, Bruno Farber et Natacha Valla

Mardi 8 novembre de 17h à 18h30, au centre culturel St-Marc, 10 rue Ste-Hélène, Lyon 2e

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