38 ans après les Jeux olympiques d’hiver d’Albertville, les Jeux d’hiver pourraient revenir dans les Alpes françaises en 2030. (Photo by Mike FIALA / AFP)

Le probable retour des Jeux olympiques d'hiver fracture les Alpes françaises

À l’heure où la France est entrée en négociations exclusives avec le CIO, les Jeux olympiques d’hiver durables promis pour 2030 par les responsables politiques ne convainquent pas dans les Alpes françaises.

"Quand on annonce des jeux durables et sobres en 2030, c’est aller au-delà du greenwashing", peste Valérie Paumier, fondatrice de l’association Résilience Montagne, l’une des figures médiatiques de l'opposition aux Jeux olympiques d’hiver dans les Alpes françaises. Depuis Annecy, en Haute-Savoie, elle ne décolère pas après le choix du CIO d’entrer en négociations exclusives le 29 novembre avec la France pour l’organisation des Jeux d’hiver 2030. 

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Le grand flou

Surtout, à l’instar d’autres opposants à la candidature de la France, cela la met hors d’elle lorsque le président LR de la région Auvergne-Rhône-Alpes, Laurent Wauquiez annonce un projet "sobre et économe", grâce à la réutilisation de 95% d’infrastructures existantes, ou qu’Emmanuel Macron, le président de la République, se félicite déjà de "Jeux innovants, durables et inclusifs, qui vont faire rayonner la France et sa montagne". "Parier d’organiser du propre pour avoir les JO 2030 c’est se mentir et mentir à la France et au monde entier", assène-t-elle en confiant ressentir une véritable amertume.

Plus que l’amertume, c’est une vive inquiétude qui gagne certains élus locaux confrontés au flou qui serait entretenu par l’exécutif de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Claudie Ternoy-Léger, élue EELV au sein du conseil régional et de la commission montagne, assure avoir demandé, en vain, le dossier de cette candidature. De quoi nourrir son inquiétude d’un point de vue économique, alors que les Jeux pourraient coûter autour de 1,7 milliard d’euros, comme ceux de Milan-Cortina en 2026. "Ils ne savent pas nous dire qui va payer quoi. Quelles vont être les répartitions de financement entre les deux régions, combien l’État et le CIO vont mettre et si les collectivités locales vont devoir mettre la main à la poche", explique l’élue. 

"Ce n’est pas être contre le sport ou faire du ski bashing que d’annoncer que les JO d’hiver ne sont plus en ligne avec les objectifs de neutralité carbone"

Valérie Paumier, Résilience Montagne

L’autre point d’inquiétude émis par Claudie Ternoy-Léger porte sur l’impact environnemental que pourraient avoir ces Jeux, en cas d’attribution officielle à la France. "On a demandé des garanties sur le Zéro artificialisation nette, la préservation de la ressource en eau et les mobilités, qui nous ont toutes été refusées", déplore l’élue écologiste originaire d’Albertville, la dernière ville française à avoir accueilli les JO d’hiver en 1992.

En 1992, la cérémonie d'ouverture des Jeux d'hiver s'était déroulée à Albertville. Pour l'heure le nom de la ville devant accueillir celle de 2030 n'a pas été dévoilé, mais elle se trouve en Auvergne-Rhône-Alpes, Nice ayant été retenue pour la cérémonie de clôture. (Photo de JUNJI KUROKAWA / AFP)

"Faire des jeux différents"

Ces fameux Jeux d’Albertville, dont Laurent Wauquiez dit vouloir faire remonter le souvenir, le skieur Franck Piccard s’en souvient comme si c’était hier. "Il y avait un supplément d’âme dingue. La vraie valeur des choses je l’ai connu quand j’ai été médaille d’argent à Albertville", témoigne l’enfant du pays de Savoie, qui reste pourtant à ce jour le seul champion olympique français de Super-G. C’était à Calgary en 1988. 

"On se doit pour la montagne et pour la vision qu'on aura de nos montagnes demain de faire des jeux différents"

Franck Piccard, champion olympique de Super-G en 1988

Désormais installé aux Saisies, en Savoie, où il possède plusieurs magasins de ski, l’ancien athlète a conscience d’avoir vécu et profité de l’âge d’or du tout ski, que véhicule l’image des Jeux et contre lequel il milite aujourd’hui. Pourtant, non sans un certain paradoxe, il se dit "plutôt heureux" de voir revenir les Jeux dans les Alpes, qu’ils présentent comme une "opportunité inimaginable pour les athlètes français". "Je ne prône pas de mettre la montagne sous cloche, personne ne le souhaite", se justifie celui qui ne cache pas s’être parfois mis à dos une partie du milieu de la montagne en raison de ses positions engagées. 

Le skieur français Franck Piccard lors des Jeux d'Albertville en 1992. (Photo de DON EMMERT / AFP)

Pour lui, ces "Jeux 2.0 avec des sites très éclatés" doivent justement être l’opportunité de "montrer des solutions pour la montagne de demain". "Je ne veux pas que l’on grignote plus notre montagne qu’elle ne l’est aujourd’hui", prévient néanmoins Franck Piccard, qui veut croire qu’une telle olympiade peut profiter au développement des territoires de montagne, "sans faire de lits nouveaux, sans recréer du domaine skiable et sans puiser dans les ressources pour fabriquer de la neige artificielle". "S’il faut fabriquer 15 retenues collinaires pour une piste on a tout faux", admet l’ancien champion olympique, qui ne croit pas, lui non plus, à la promesse de jeux durables.

Des Jeux avec quelle neige ?

Cette question de l'enneigement, qui faiblit d'année en année, est sans surprise centrale dans la voix de l’opposition à ces Jeux. "Il n’y a plus de neige, je suis moniteur de ski de fond, l’année dernière je n’ai pratiquement pas travaillé parce qu’il n’y en avait pas en moyenne altitude", déplore Stéphane Passeron depuis le Champsaur, où il est installé, au-dessus de Gap dans les Alpes du Sud. Membre de l’équipe de France de ski de fond pendant près de 20 ans, avec qui il a participé aux JO de Vancouver, cet ancien athlète de haut niveau porte aujourd’hui la parole et le combat de NoJo. Monté dans les Alpes du Sud, le collectif est en première ligne de l’opposition à une candidature qui "se fait aux forceps, en ne posant aucun débat public", alors que  l’on "parle de l’orientation de la montagne pour les 30 ans à venir". "Il ne faudra pas s’étonner que les Alpes se soulèvent face à ce manque de démocratie", prévient-il, tout en confiant avoir ouvert les yeux sur l’impact des Jeux dans l’avion qui le conduisait à Vancouver en 2010. 

"Tout le monde s’est bien moqué des pistes de Pekin en neige artificielle, mais en 2030 c’est l’image que l’on donnera à voir chez nous"

Valérie Paumier, Résilience Montagne

De manière générale, comme Stéphane Passeron, ils sont nombreux à craindre de voir fleurir des "mégabassines pour fabriquer de la neige artificielle, qui refondera le lendemain parce qu’il pleuvra". "On est sur des JO qui vont avoir comme principale ressource l’eau et ils ont été incapables de nous assurer qu’il n’y aurait pas de nouvelle construction de retenues collinaire", rappelle Claudie Ternoy-Léger. "On est en situation de stress hydrique quasi constant sur six mois maintenant et on nous dit qu’il faut pondre ces JO-là, c’est-à-dire obligatoirement augmenter les taux de couverture en neige artificielle sur quasi tous les domaines. On sait que c’est le plan de Laurent Wauquiez depuis un moment", souligne Valérie Paumier. Au-delà de savoir combien de retenues pourraient être créées, elle s’interroge aussi sur leur remplissage. "Comment on peut dire, on ne sait pas si on peut remplir les retenues aujourd’hui, mais en 2030 on aura de la neige pour skier", questionne-t-elle. À en croire la Haut-Savoyarde, certaines stations des Alpes du Nord rencontreraient ainsi déjà des difficultés à ce sujet.

JO 2030 d'hiver
Le président du comité olympique français David Lappartient (à gauche), la présidente du comité paralympique français Marie-Amelie Le Fur et le président de la région Auvergne-Rhone-Alpes Laurent Wauquiez ont présenté mardi la candidature de la France pour les Jo d'hiver 2030 au CIO. (Photo de FRANCK FIFE / AFP)

L'espoir d'un référendum vite douché

Les Jeux ne sont pas encore faits et les interrogations semblent être légion, mais un rejet de la candidature de la France est désormais peu probable. Si la candidature de la France venait à être confirmée en juillet 2024, le retour en arrière serait alors quasi impossible. Dans l’histoire de l’attribution des JO d’hiver, on retrouve un seul précédent, les Jeux olympiques de 1976. Initialement attribuée à Denver, aux États-Unis, l’olympiade est finalement réattribuée à Innsbruck, en Autriche, en 1972, lorsque les habitants du Colorado votent un référendum refusant d'accueillir les Jeux.

Les opposants aux Jeux d’hiver dans les Alpes espèrent bien reproduire ce scénario et faire céder la France et le CIO en obtenant l’organisation d’un référendum, mais l’espoir est mince. "Le fait que la France soit la seule éligible veut dire que l‘on a balayé de la main les candidatures des deux autres pays [Suisse et Suède, NDLR], où le sujet aurait probablement été soumis à referendum ou votation", relève amère Valérie Paumier. D’autant qu’au conseil régional d’Auvergne-Rhône-Alpes, le référendum demandé par les élus écologistes a vite été écarté par Laurent Wauquiez, qui a adressé une fin de non-recevoir à son opposition.

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