Près de 5 ans après avoir révélé l’affaire des bébés sans bras de l’Ain, le Registre des malformations en Rhône-Alpes (Remera) navigue à vu faute de plan de financement pérenne.
Un temps présenté comme le "gold standard" de la recherche après l’affaire des bébés nés sans bras dans l’Ain entre 2009 et 2014, près de cinq ans après ses révélations le Registre des malformations en Rhône-Alpes (Remera) peine à joindre les deux bouts. À tel point que le 1er mai, le Remera, qui ne comptait déjà plus que cinq salariés sur six, a perdu une nouvelle collaboratrice voyant son équipe se réduire à peau de chagrin. "Le registre tourne sur trois pattes et nous ne collectons plus les données dans l’Ain, la Loire et l’Isère, il n’y a plus que le Rhône", confie Emmanuelle Amar, la directrice du Remera, alors que selon les estimations 2 à 3% d’enfants naissent avec des malformations.
"Je me rends compte qu’il y a une volonté délibérée d’éteindre la surveillance, la recherche et l’alerte"
Emmanuelle Amar, directrice du Remera
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Plus de 80% du territoire français n’est pas couvert
"Il faut bien comprendre que quand un enfant naît, vivant ou pas, dans une maternité qui n'est pas surveillée par un registre, c'est-à-dire plus de 80% du territoire français, à aucun moment cette malformation n'est décelable par un système et on ne peut pas identifier de cluster", alerte l’épidémiologiste lyonnaise. Autrement dit, sans un registre des malformations, oubliez le scandale de la Dépakine dans les années 90 et plus récemment les liens fais entre une dizaine d’enfants nés sans bras ou mains près de Lyon. "Ils font un travail statistique, épidémiologique, que nous n’aurions pas le temps de faire. S’il y a une augmentation d’incidence d’une malformation dans les départements où il n’est plus, peut être que du coup on mettra plus de temps à s’en rendre compte" prévient le professeur Damien Sanlaville, chef du service de génétique aux Hospices Civils de Lyon (HCL).
Après avoir perdu un tiers de sa subvention en 2017, lorsque la région Auvergne-Rhône-Alpes a décidé de lui retirer son enveloppe de 100 000 euros, le Remera survit aujourd’hui grâce aux 250 000 euros versés chaque année par Santé Publique France (SPF) et le ministère de la Santé. Problème, si dès le mois de mars SPF et le ministère avaient confirmé leur soutien financier à la structure comme le précisait le Canard Enchaîné fin juillet, cette année le chèque de l’État s’est fait attendre de très nombreux mois. À tel point que la directrice du Remera a un temps envisagé devoir mettre la clé sous la porte en fin d’année. Un comble pour qui sait que ce registre abrite aujourd’hui 82 000 fichiers, soit la base de données la plus complète "d’Europe".
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Sept mois pour obtenir une convention de financement
"La question des malformations ce n’est vraiment pas leur souci", s’agace Emmanuelle Amar. Salariée des HCL depuis 2011, le salaire de l’épidémiologiste et de ses collègues est toutefois payé directement par l’enveloppe versée par l’État. "Nos salaires sont payés par les HCL, sous réserve qu’ils reçoivent l’argent de Santé publique France et du ministère", précise-t-elle. Finalement reçue le 3 août dernier par le Remera, la convention de financement 2023 de Santé publique France, a bien fini par arriver, mais cinq mois avant sa fin… Laissant présager de nouvelles inquiétudes pour l’année prochaine.
"L'objet de notre travail, la recherche sur les malformations en vue de repérer très vite une anomalie de façon à la signaler et essayer d'en comprendre les causes, pose problème à certaines personnes"
Emmanuelle Amar, directrice du Remera
"Nous ne sommes pas rassurés pour autant pour l’avenir de la surveillance épidémiologique qui est plus que précaire", souffle Mme Amar, alors que depuis fin 2022 les arbitrages financiers sont faits d’une année sur l’autre. De quoi faire dire à l’épidémiologiste "qu’il y a une volonté délibérée d’éteindre la surveillance, la recherche et l’alerte. J'entends, je vois des gens dire à quel point c'est important et quand on a besoin de financement il n’y a plus rien. J'ai plongé au cœur du double discours". En cause, selon elle, la "frilosité du ministère de la Santé et de Santé publique France" face à de "très puissants lobbies", "car l’anomalie qui peut faire qu'on trouve plus de malformations à un endroit peut être liée à un médicament, à un risque environnemental …". Actuellement, une étude est ainsi menée sur le lien entre procréation médicalement assistée et des malformations cardiaques.
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Une piste pour pérenniser le registre
"On peut vivre sans ce registre", reconnaît le professeur Gaucherand, "mais il nous facilite la tâche". Sans lui, imaginez-vous passer des jours à rechercher manuellement des cas de malformations dans les milliers de dossiers d’un hôpital pour dresser des liens éventuels entre plusieurs malades. Quand le registre le fait pour vous de manière informatique. "Un bébé sans bras on va le voir, mais ce registre il va pouvoir nous dire, par exemple, « dans l'Ain il y a un taux de bébés sans bras extrêmement élevé et on évoque une association avec des incinérateurs, que sais-je une centrale nucléaire ou d’autres perturbateurs endocriniens…", explique ce gynécologue obstétricien des HCL, également chef de pôle à l’Hôpital Femme mère enfant de Bron.
"Ces registres qui sont des lanceurs d’alerte, des observatoires qui permettent de relever des concentrations de malformations, ou non"
Pr Gaucherand, gynécologue obstétricien aux HCL
Conscient des difficultés rencontrées par le Remera et convaincu de son importance, le coordonnateur du réseau de santé périnatal (Aurore) verrait d’un bon oeil l’intégration du registre dans son réseau que l’Agence régionale de Santé songe à remanier "pour en faire un grand réseau périnatal régional". "C’est une piste de réflexion pour essayer de faire en sorte qu’ils ne se demandent pas chaque année, « comment on va vivre l’année prochaine ». Cela lui permettrait d’être plus organisé et plus pérenne", confie Pascal Gaucherand. Reste désormais à convaincre l’ARS.
Comme d'habitude, l'usage de monnaie est un ennemi de la science,
qui plus est, il protège les pollueurs qui répandent des saloperies.