Le risque du "despotisme doux" de la loi antiterroriste de Collomb

Mireille Delmas-Marty, juriste et professeure au Collège de France, s'en est pris, dans une tribune au projet de loi antiterroriste porté par Gérard Collomb qui est examiné ce mardi au Sénat.

Alors que le projet de loi antiterroriste est présenté ce mardi au Sénat, Mireille Delmas-Marty, juriste et professeure au Collège de France, a écrit dans une tribune publiée ce lundi dans le journal Libération que "ce projet s’inscrit, à l’inverse du discours de Versailles, dans une dynamique sécuritaire marquée par l’abandon des principes qui devaient garantir les individus contre l’arbitraire".

Une rupture politique, philosophique et anthropologique

Selon la juriste, en "autonomisant les instruments de prévention", en les "séparant de la punition pour en faire un objectif répressif en soi" ce projet marque une rupture "conduisant d’une société de responsabilité à une société de suspicion". "En séparant la dangerosité de toute culpabilité, et en détachant les mesures coercitives de toute punition, cette réécriture sécuritaire du droit administratif, comme du droit pénal, risque de remettre en cause la notion proprement humaine de responsabilité au profit d’une dangerosité qui effacerait peu à peu les frontières entre les humains et les non-humains, et ferait disparaître la présomption d’innocence, a écrit Mireille Delmas-Marty. On en viendrait, selon un processus qui ressemble à une déshumanisation, par retirer de la communauté humaine les individus suspects, comme on retire des produits dangereux du marché".

Une rupture politique, philosophique et anthropologique pour la chercheuse qui y voit finalement, comme le film d'anticipation Minority Report, une application du droit pénal "qui imposé à des personnes non pas pour punir les crimes qu’elles ont commis, mais pour prévenir ceux qu’elles pourraient commettre". En alourdissant dans le temps et en élargissant dans l’espace les tâches de surveillance et de contrôle, Mireille Delmas-Marty estime aussi que la justice ne pourrait pas répondre aux nouvelles charges qui lui incomberaient. "Paralysée", celle-ci pourrait alors connaître "un transfert de pouvoirs à des partenaires privés", écrit la juriste.

Du "despotisme doux"

"En somme, il est nécessaire de lever l’état d’urgence, mais il ne serait ni légitime ni d’ailleurs efficace (voir les avis convergents des organisations de défense des droits de l’homme et des instances de contrôle parlementaire), de le remplacer par une contamination permanente du système pénal", écrit la professeure au Collège de France. "Le risque serait d’aboutir par les voies moins visibles du contournement des principes et du détournement des pouvoirs à ce "despotisme doux" que prophétisait Tocqueville. 'Le despotisme en démocratie serait plus étendu et plus doux et dégraderait les hommes sans les tourmenter.' Couvrant la société d’un réseau de petites règles compliquées, minutieuses, uniformes, il tendrait à fixer les humains dans l’enfance et à réduire chaque nation à 'n’être plus qu’un troupeau d’animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger'", conclut la juriste en proposant quelques alternatives "une meilleure ’indépendance des institutions judiciaires", "améliorer la coordination des services de renseignement", "renforcer les forces de police et de gendarmerie" et en "développant les coopérations contre le financement du terrorisme au niveau international".

Le Sénat examine ce mardi ce projet de loi. 65 amendements ont été déposés. Ce sera le seul passage du texte au Palais du Luxembourg puisque le gouvernement a demandé une procédure accélérée avec une seule lecture par chambre. Il s'agit d'un texte équilibré pour Gérard Collomb. Un projet validé par le Conseil d'État dans son avis rendu le 15 juin dernier.

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