Une chercheuse en sciences sociales et quatre experts en psychologie de Grenoble et de Lyon ont mené une étude sur les processus psychologiques impliquées dans la pratique du trail-running et d'ultra-endurance.
A quelques jours de l'UTMB, le plus grand rendez-vous de trail de la planète, le tour intégral du mont Blanc d'une traite en moins de deux jours, le Graal de l'endurance en montagne, à tout le moins la course la plus prestigieuse du monde qui réunit le gratin des coureurs, la crème de la crème, une étude s'est intéressée à la santé mentale des ultra trailers.
Le trail peut-il être à l’origine du bien-être et de la santé mentale de ceux qui le pratique ? C'est à cette interrogation que tente de répondre l’étude Ultra Présent menée avec le CNRS et présenté par Ultra Sports Science, un fonds de dotation basé à Pierre-Bénite qui finance des études médicales pour prévenir et soigner les sportifs lors d'ultra trails ou d'épreuves d'ultra endurance.
L'étude a été menée par la chercheuse en sciences sociales angevine Mathilde Plard (entretien ci-dessous), accompagnée de Marine Paucsik, du laboratoire interuniversitaire de psychologie de Grenoble, Quentin Hallez maître de conférences en psychologie du développement à l'Université Lumière Lyon 2, Guillaume Tachon doctorant en psychologie clinique à l'Université Lumière Lyon 2 (Institut de psychologie) et Rebecca Shankland professeure des universités en psychologie du développement à l'Université Lumière Lyon 2 (Institut de psychologie).
Concrètement, qu’a mis à jour cette étude ?
L’étude nous a permis d’avoir une approche plus fine sur des ressentis psychologiques liés à la pratique du trail. Nous sommes partis du constat qu’il fallait vérifier s’il se passait des processus psychologiques pendant la pratique qui expliqueraient cet engouement autour du trail. Nous avons recueilli différents indicateurs, la perception du temps, la flexibilité, le sentiment d’efficacité personnelle, l’estime de soi pour tenter de les mesurer de manière concrète en fonction du type de pratique, harmonieuse ou obsessive. Avec les réponses collectées et analysées, nous en avons conclu qu’il y a bien une influence de la pratique du trail sur ces ressentis psychologiques.
Le trail peut-il être un outil de régulation de la santé mentale des invididus en tant que politique publique ?
Oui, la diversification des formats de course permet au plus grand nombre de découvrir ces sensations psychologiques sur 30km comme sur 80km. Les bienfaits s’observent à différents niveaux. Le trail présente des facteurs de protections mentales, il permet de se connecter à son corps, de faire partie d’un groupe, c’est aussi une activité de mobilité. A l’heure de la sédentarité et de l’isolement, il faut encourager les gens à aller à l’extérieur et à aller vers les autres. Le trail limite l’anxiété et la dépression, cela améliore l’estime de soi et son sentiment d’efficacité personnelle.
"Après un trail, on vit une espèce d’incarnation."
Mathilde Plard, chercheuse en sciences sociales
Globalement, le trail a-t-il plus d’avantages que d'inconvénients pour la santé mentale des pratiquants ?
Après un trail, on vit une espèce d’incarnation. L’échelle des frontières corporelles est plus fine. Le cerveau est plus ouvert au moment présent, c’est un facteur protecteur de santé mentale. La pratique du trail développe aussi un élément d’appartenance à la communauté. La santé mentale passe aussi par cela. Les aspects négatifs sont liés à la sphère privée. Lorsque le trail devient un cadre trop contraignant pour son entourage, qu’il conditionne tous ses loisirs et ses vacances par exemple. Il y a aussi un risque de perdre le niveau de plaisir, c’est ce qu’on appelle l’habituation hédonique. Dans tous les cas, que la pratique soit raisonnée ou obsessive, on retrouve ces aspects positifs et négatifs.
Quels sont les risques de dérive et pourquoi est-ce important d’y remédier?
Lorsque tout son monde est focalisé sur la pratique du trail, il y a un risque, en cas de blessure, que toute la socialisation s’effondre, il y a un risque d’effondrement psychique. Il faut trouver d’autres d’autres formes d’engagements, tels que le bénévolat, pour avoir un rapport plus équilibré à la pratique.
L'étude relève que la pratique du trail procure un sentiment d’efficacité personnelle et en même temps, le trail c'est aussi un lien très fort à la communauté. Est-ce compatible ?
Le trail, c’est un entre-soi. La préparation c’est presque du micro management. Il y a un rapport aux données, aux tableaux Excel qui est hyper important. Et cela n’empêche pas d’avoir un rapport collectif à ce sport. Il y a ce sentiment d’appartenance au groupe, une chaleur humaine qui est difficile à décrire scientifiquement. Le départ d’une course c’est presque le départ d’une meute, d'un tout. Pendant une course, on accepte d’être vulnérable et de le montrer, de pleurer parfois. Le sentiment de collectif est essentiel et très particulier à ce sport. Il n’y pas d’autres sports qui mêlent, hommes, femmes, élites et amateurs.
"Le trail apporte de la gratitude et un sentiment de reconnaissance envers soi et son corps."
Mathilde Plard, chercheuse en sciences sociales
Le trail procurerait du sens dans une société en perte de repères ?
Le sens arrive par le corps dans la pratique du trail. Ce sentiment d’avoir des perceptions fines, d'être attentif à la température, à l’air. Dans le milieu professionnel, on peut se sentir désincarné. Le trail apporte de la gratitude et un sentiment de reconnaissance envers soi et son corps. Le trail c'est aussi un sentiment de reconnaissance envers les autres. C’est ce que j’appelle, un shoot de gratitude, envers les bénévoles par exemple. Le trail, c’est l’éloge de la dépendance. Cela fait du bien dans une société où l’on demande plus d’indépendance et d’autonomie. Tu as aussi un sentiment de gratitude envers le monde qui nous entoure de manière plus forte. Nous avons l’impression de se sentir un peu petit et de se sentir appartenir à un tout.
L’étude questionne aussi le rapport entre l’UTMB Index et le type de pratique (raisonnée ou obsessive), qu’en est-il ?
Plus les personnes ont un niveau de pratique soutenu moins elles ressentent ce sentiment de reconnaissance. Comme pour la drogue, il y a une forme d’accoutumance. Le shoot de bien-être diminue en intensité pour beaucoup. La question est de savoir comment maintenir cet état d’émerveillement tout au long de sa pratique. Il s’agit souvent de trajectoires individuelles. Les stars de la discipline gardent ce rapport intense à la pratique. Ce sont les premiers militants des formes assez roots de la pratique. Ils vont faire autre chose, du vin par exemple, ce sont des personnes qui ont un rapport passionné avec la pratique mais ce ne sont pas des personnes rigides.
Quelles sont les pistes d’études qui pourraient révolutionner l’approche de la pratique selon vous ?
Le trail peut être un outil d'accompagnement des personnes en souffrance. C’est un retour les pieds sur terre. Un short, un t-shirt, des baskets, la solution est radicale mais elle marche.
Amusant.
Pourquoi il n'y a pas d'évocation que le sport génère de l'adrénaline (drogue anti douleur) et que certains sportifs en deviennent dépendant ? (même si cette "drogue" est naturelle et ne sert pas les trafics, donc est "positive" à condition de garder conscience des limites).
Comment des personnes qui "vont mal" pourrait aller mieux juste en courant ainsi alors que cela exige avant toute chose d'avoir une super hygiène de vie (qui généralement n'est pas un paramètre présent chez les personnes qui vont mal) ?
Pourquoi vous dites que ça réunit les amateurs et les pro alors que les pros vont si vite dès le départ qu'ils laissent loin la masse des amateurs (même s'il y a quelques exceptions), et qu'il n'y a donc aucun développement de la moindre "solidarité" entre ces groupes ?
Sans oublier que ce sont "des courses" donc qui privilégient le "moi d'abord, le moi je suis champion !" et la culture du "toujours plus vite toujours plus fort" qui n'apprend pas à respecter les limites mais à "les dépasser".
Notre monde a besoin de limites, du respect de l'organisme. Non ?
Mort de rire!
Toujours plus dans le ridicule M. 0,36% 🤣
Vos contre-arguments sont à la hauteur de vos capacités ?
🙂
M. 0,36% sur 1% à peine de la population au courant de ces idées, ça fait finalement un super score ! 😉
On comprend pourquoi tous les médias censurent ces idées... elles auraient trop d'impact si elles étaient connues ! 😉