Léonarda a-t-elle été livrée aux “chiens” ?

La concurrence commerciale de l’information n’a-t-elle pas conduit à ce que le traitement du fait divers cède devant une inquiétante dérive du sensationnalisme médiatique ?

L’arrestation de la jeune Léonarda a profondément bouleversé le paysage médiatique. Chacun pouvait s’y attendre. C’est une jeune fille mineure qui ressemble à n’importe quelle adolescente de notre entourage. Elle pourrait être notre fille ou notre nièce. La portée de cette arrestation a rapidement dépassé la médiatisation de la réalité des expulsions quotidiennes. Pourquoi ?

D’abord parce que les médias traditionnels, concurrencés par les réseaux sociaux, ont poussé les détails de ce fait divers à se répandre comme une traînée de poudre sur tous les plateaux de télévision. Même les élus de la République se sont engouffrés dans la brèche médiatique en commentant massivement l’événement, qui est rapidement devenu LA nouvelle de la semaine.

En l’espace de quelques heures, non seulement le père de l’adolescente avait accordé des interviews dans la plupart des médias, mais on connaissait aussi tout son passé et ses mensonges supposés dans la constitution de son dossier de demande de nationalisation. Le coup de grâce de cette affaire : la mobilisation des lycéens en faveur du retour de cette mineure en France.

Il n’y a pas à regretter la médiatisation de l’affaire Léonarda, elle était inévitable. Cependant, en frappant de plein fouet la scène médiatique nationale, elle pose une série de questions. Si l’Audimat compte, qu’en est-il de l’analyse de l’information ? L’utilisation de scènes de douleur et de dispute familiale n’a-t-elle pas été déplacée ? Ces scènes étaient-elles nécessaires à la compréhension de ce fait divers ? Le temps de parole laissé au père de la jeune fille comme à Léonarda n’ont-ils pas été exagérés ? Les journalistes n’ont-ils pas manqué au devoir de rigueur journalistique qui prescrit de rapporter les faits avec exactitude et de les interpréter convenablement ? N’ont-ils pas trop insisté sur l’aspect émotif de cette expulsion ? Les journalistes ont-ils eu tendance à trop vite anticiper les conséquences de l’événement plutôt qu’à en fournir le contexte juridique ? La modération et l’analyse n’ont-elles pas meilleur goût que ce sensationnalisme dépassé ?

Un traitement de l’information médiatico-émotif

Les journaux télévisés du week-end ont battu tous les records dans la dérive médiatico-émotive en ouvrant pendant de longues minutes sur l’affaire dite “Léonarda”. Cette dérive médiatique est inquiétante, car elle semble nier le rôle social majeur du journaliste dans la hiérarchisation de l’information. Cette primauté des faits bruts sur l’analyse de l’information est particulièrement nuisible. Les communicants que nous sommes* mesurons bien le fait que le risque de crise médiatique est plus élevé au début de la couverture médiatique d’une affaire, car la demande d’information des Français y est considérablement plus élevée alors que l’information factuelle est justement très difficile à obtenir à ce moment précis. Toutes les chaînes d’information continue n’ont-elles pourtant pas contribué à la dramatisation extrême de cette affaire par le choix des lancements, des titres, des photos notamment lors des duplex et des images choisies dans les reportages ? Pourquoi l’ont-elles fait ainsi ? L’ont-elles fait consciemment ? En faisant ressortir certains éléments plus que d’autres, les chaînes ont cherché à attirer l’attention des téléspectateurs. Les journalistes ont cherché à faire ressortir le caractère exceptionnel – prétendu ou réel, telle n’est pas ici la question – de cette affaire.

L’analyse des images et des commentaires révèle que les journalistes ont essentiellement axé le traitement de ce fait divers sur les émotions du public. En effet, en maximisant la valorisation de la parole de la jeune “victime” au détriment de l’analyse et du décryptage, les chaînes ont délivré des informations peu rigoureuses. Et, inutile de se le cacher, sur le terrain médiatique, les premières minutes de traitement d’une crise sont essentielles. Vous êtes coupable ou victime. Les rôles sont très, parfois trop, rapidement distribués.

Évidemment, chacun comprend que la diffusion de telles images est encouragée par un système médiatique hypercompétitif, concurrencé par les médias sociaux et en particulier Twitter. Sauf qu’en l’occurrence le traitement médiatique de cette affaire est particulièrement disproportionné par rapport à l’engagement des internautes sur ce contenu sur les réseaux sociaux.

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* Florian Silnicki est expert en stratégies d’informations, gestion de la réputation et de crises digitales.

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Marketing télévisuel

Les longues heures d’information spectacle évacuant l’information sérieuse au profit de contenus bruts, diffusés en direct et en continu pour présenter ces événements comme dramatiques, révèlent l’application d’une stratégie de marketing télévisuel encourageant les journalistes à susciter l’attention du public pour augmenter leurs audimat.

Aussi six caractéristiques se dégagent de l’analyse du traitement journalistique audiovisuel de cette affaire :

1) La couverture massive d’un sujet qui paraît nouveau : en l’espèce, un problème social a été mis au jour, celui des délais juridictionnels et administratifs en matière d’immigration.

2) Des facteurs empathiques et humains importants : une mineure sans papiers, un cadre scolaire, une arrestation, une jeune femme.

3) Un événement majeur inattendu a déclenché cette couverture intense : l’arrestation de la jeune fille dans un cadre scolaire.

4) Une décision politique attendue a entretenu cette couverture médiatique : le rapport suivi de l’intervention du président de la République.

5) La confirmation d’une séquence politique : les divisions de la majorité gouvernementale.

6) Des traces d’inquiétude sur leur profession exprimées en direct par les journalistes alors qu’ils traitent l’information.

Com’ présidentielle risquée

Le traitement de cette crise a fait la démonstration de deux principes médiatico-politiques que les membres de la communication du staff présidentiel ont ignorés, au détriment de son image à long terme.

Le premier, c’est que le président de la République doit communiquer sur les enjeux qui sont en lien avec le rôle qui est le sien. En faisant intervenir le président de la République sur ce fait divers, ses communicants n’ont manifestement pas mesuré le fait que le président incarne l’autorité de l’État. Il est le plus haut niveau de pouvoir sous la Ve République.

Le second, c’est qu’il ne faut jamais créer de “martyr médiatique”. Alors qu’elle est renvoyée dans un pays dont elle ne maîtrise pas la langue, et en lui proposant de quitter sa famille pour pouvoir construire sa vie en France alors qu’elle n’a que 15 ans, les “spin doctors” du président de la République ont pris un risque majeur : celui d’en créer un. En cédant à la tentation du spectacle, ils ont aussi fait prendre au président de la République le risque d’affecter encore un peu plus la noblesse de sa parole politique.

Le problème de communication posé par cette affaire n’était pas simplement de prendre une décision politique ou de l’expliquer, comme la stratégie du président de la République s’y est attachée. Il s’agissait avant tout de créer une forme d’attachement au personnage présidentiel. C’est loupé.

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