Alors que la colère des agriculteurs ne retombe pas, pour Xavier Fromont, agriculteur et porte-parole de la Confédération Paysanne en Auvergne-Rhône-Alpes, cela provient surtout d'un marché de libre-échange incompatible avec notre modèle agricole français.
Les agriculteurs continuent de se mobiliser pour faire entendre leurs revendications. Alors que plusieurs points de blocage sont attendus dans la journée dans la région lyonnaise, notamment à Limonest et Givors, la colère, elle n'est pas nouvelle.
Dans un entretien accordé à Lyon Capitale, Xavier Fromont, agriculteur et porte-parole régional de la Confédération Paysanne, affirme que cette tension se faisait déjà ressentir depuis plusieurs années et que le marché libéral en est le responsable.
Lyon Capitale : Quelles sont les raisons pour lesquelles les agriculteurs sont en colère aujourd'hui?
Xavier Fromont : On n'est pas du tout surpris de la situation et cette tension se voit dans les campagnes depuis quand même un petit moment. En fait c'est une tension qui est dû à cette logique de libéralisation qui fait que l'ensemble des marchés des produits agricoles sont en concurrence avec le monde mais y compris à l'intérieur de l'Union Européenne. Et puis il y aussi le sujet des normes environnementales qui sont imposées aux agriculteurs. Les marchés agricoles ne sont pas des marchés comme les autres. Les productions agricoles sont périssables. Elles sont très variables selon l'année en fonction des conditions météorologiques. Donc elles nécessitent une organisation différente des produits industriels.
"On n'est pas du tout surpris de la situation et cette tension se voit dans les campagnes depuis quand même un petit moment"
Xavier Fromont, porte-parole régional de la Confédération Paysanne AURA
En fait, ce que vous demandez c'est une meilleure stabilité des prix...
Tout à fait. On demande une stabilité, une garantie de prix. C'est pour ça que nous avons fait des propositions très concrètes sur des prix minimum d'entrée sur le marché pour que des produits comme, par exemple, la pêche qui est produite dans la vallée du Rhône ne soit pas en concurrence avec la pêche espagnole parce que les conditions de productions et les salaires n'ont rien à voir. Mais on pourrait prendre des exemples sur la production céréalière qui est aussi faite d'échanges plus mondialisés. Par exemple, le soja brésilien qui se fait à coups de déforestation et à grands coups de glyphosate, c'est absolument aberrant qu'il soit en concurrence avec la production intérieure de soja européen qui répond à des normes bien particulières et qui ne se fait pas au détriment de la forêt d'Amazonie.
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Qui est responsable de cette situation ?
Les producteurs sont pris dans une contradiction énorme qui est d'autant plus difficile à vivre que le principal syndicat agricole, qui est la FNSEA (ndlr : Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles), a été co-gestionnaire de cette situation depuis 60 ans en misant sur la compétitivité. Ils ont beaucoup défendu la compétitivité agricole mais c'est un non-sens. Par exemple, les légumes qu'on consomme aujourd'hui en France, ils ne sont plus produits sur notre sol, ou en tout cas, ils ne sont que partiellement produits sur notre sol. On les importe notamment du sud de l'Espagne et là-bas, se sont des conditions de production sous serre massive et une consommation d'eau qui n'est pas durable dans le temps. On sait que l'Espagne est en difficulté aujourd'hui par rapport à l'agrégation, par rapport à la disponibilité de l'eau. On a construit un système transitoire où l'on a mis en concurrence des agriculteurs français qui ne pouvaient plus vendre leurs produits parce qu'ils étaient trop chers par rapport aux produits espagnols qui sont cultivés dans des conditions de production qui ne sont pas renouvelables et qui ne sont pas durables d'un point de vue environnemental.
"Pour nous, il ne fait aucun doute que l'extrême droite est l’allié du libéralisme"
Xavier Fromont, porte-parole régional de la Confédération Paysanne AURA
Qu'est-ce que vous attendez de la part du gouvernement ?
En fait très clairement, il faut soustraire le secteur agricole aux marchés mondiaux. Ça suppose d'arrêter de signer des accords de libre-échange et ils sont pléthores aujourd'hui. Et il faut que l'Etat français se désengage clairement. Pour être plus précis, en novembre dernier, il y a eu un vote au Parlement européen qui a entériné un accord de libre-échange avec la Nouvelle-Zélande impliquant de nouvelles importations de lait, de viande ovine et de viande bovine sur le territoire français. On est dans l'aberration complète. On dit aux agriculteurs qu'il faut produire moins de viande et dans le même temps, on signe ce genre d'accord. Et au niveau national, il y a aussi des choses à faire. La loi Egalim qui visait à rééquilibrer la chaîne de valeur entre les différents maillons de la production alimentaire, c'est-à-dire, les agriculteurs et la grande distribution, c'est un échec total. Les agriculteurs ont besoin de long terme, de sécurité et d'organisation de leur marché. À ce titre, il y a une attention particulière par rapport au discours de l'extrême droite notamment qui récupère le mouvement. On dénonce tout cela parce que le Rassemblement National a un double discours. Les députés européens d'extrême droite ont largement voté le projet d'accord avec la Nouvelle-Zélande. Pour nous, il ne fait aucun doute que l'extrême droite est l’allié du libéralisme.
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N'avez-vous pas peur que sortir des marchés mondiaux est l'effet inverse ? Si l'on regarde, presque tous les pays se basent sur le modèle libéral...
Nous on dit ça depuis très longtemps et on a produit un rapport dans les années 2000 qui proposait de se protéger des marchés à l'échelle des grands ensembles régionaux comme l'Europe. Ils ont refusé, donc je pense que c'est non seulement souhaitable, mais inévitable qu'on en arrive là. Le protectionnisme est nécessaire et c'est en cela que l'on est opposé au discours de la FNSEA qui nous dit que pour retrouver de la compétitivité, il ne faut plus de normes chez nous, qu'il faut abaisser notre niveau d'exigence pour être autant compétitifs que d'autres pays comme la Chine par exemple, et ça c'est complètement mortifère et c'est complètement aberrant, encore une fois.
"Les réponses politiques ne sont pas facile à trouver pour un gouvernement qui a enfourché le cheval du néo-libéralisme (...)"
Xavier Fromont, porte-parole régional de la Confédération Paysanne AURA
Est-ce qu'il va y avoir de nouvelles actions de ce type très prochainement ?
On n'est pas du tout opposé à ce type d'actions parce qu'en fait, c'est très important de se faire voir et de faire entendre ces revendications. Les agriculteurs et les paysans ont besoin de clarté il faut faire entendre ça. Et cela va continuer parce que les réponses politiques ne sont pas facile à trouver, et à prendre, pour un gouvernement qui a enfourché le cheval du néo-libéralisme comme Emmanuel Macron le fait depuis 2017.
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Peut-on imaginer des actions plus dures de la part des paysans si leurs revendications ne sont pas entendues ?
À la Confédération Paysane, nos paysans et agriculteurs sont plutôt des alliés des consommateurs et des écologistes. On est en phase avec la société donc plutôt dans une logique d'explication, de lien direct plutôt que la mobilisation. Mais il est fort possible que l'on en vienne à des actions plus dures effectivement. Localement, nos confédérations sont totalement autonomes. On a nos agendas, nos actions, mais s'il y a un appel, le cas échéant, on sera présent.
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Il a bien résumé : la FNSEA fait croire qu'elle lutte contre le massacre de l'agriculture, mais dans les faits elle adore le libre échange, elle adore les exploitations de plus en plus grande, elle déteste tout ce qui peut nuire au chiffre d'affaires (donc surtout de haies avec de la biodiversité parce que ça fait des m2 en moins), et elle a un lobby hyper puissant au niveau de l'Europe (la majorité gouvernante étant le PPE c'est à dire les partis de droite).
Sinon, ce Monsieur se leurre sur "le fonctionnarisme" de l'agriculture avec des prix "stables". L'usage de monnaie déteste les "prix fixes" mais pour le comprendre, il faut avoir eu des cours d'économie.
Donc, aucun n'a de solution sereine, ce sera toujours "la guerre pour le fric".