INTERVIEW - L'organisateur des Journées de l'économie qui ont commencé ce mercredi à Lyon, Pascal le Merrer, professeur à l'ENS Lyon, répond à nos questions sur la crise financière européenne. A sept mois de la Présidentielle, il espère que les conférences organisées durant ces trois jours, aideront les citoyens lyonnais à se faire une idée du programme du prochain Président de la République
Lyon Capitale : 6500 personnes sont attendues cette année aux Journées de l'économie à Lyon. Comment expliquez-vous cet engouement ?
Pascal Le Merrer : Les partenaires, ceux qui hésitaient encore il y a quelques années à nous rejoindre, viennent de plus en plus aux Journées de l'économie : des chefs d'entreprise, des experts de l'administration, des associations, des universitaires, mais pas seulement. Laurence Parisot, la patronne du Medef sera là cette année, ce n'est pas anodin. L'économie à cette particularité d'être une science transversale et depuis 2008 le journal télévisé s'ouvre une fois sur trois sur un sujet économique. Tout le monde à un avis sur comment faire baisser le chômage, comment créer plus de croissance, etc. L'économie n'est donc pas cette science universitaire lugubre qu'on a tendance à nous décrire.
A l'heure où Arnaud Montebourg fait 20 % à la primaire socialiste avec son concept de démondialisation, vous proposerez cette année des conférences sur le thème de la mondialisation. Ne pensez-vous pas qu'il soit temps de changer de paradigme ? Tout au moins reconnaissez vous que certains aspects de la mondialisation peuvent poser problème ?
Je le reconnais d'autant plus volontiers que l'on sait depuis très longtemps que la mondialisation a des effets très contrastés. Mais je dois dire que le débat qui consiste à demander aux gens s'ils sont pour ou contre est totalement stérile. On ne fait plus aujourd'hui du commerce de produits finis, mais du commerce d'étape de processus de production. Si on veut faire un iPhone par exemple, la Chine exporte l'assemblage, mais tout le contenu technologique de l'iPhone se fait en dehors de la Chine, dont une partie chez nous. Cela signifie que si l'on veut mettre des barrières commerciales à la mondialisation économique, des barrières douanières par exemple, ce sont nos exportations que l'on pénalisera avant tout. On bloquera, par exemple, des composants pour fabriquer l'iPhone. Les pays sont devenus tellement inter-dépendants que la vraie question est plutôt celle des orientations de la mondialisation.
Justement, vous posez la question "Peut-on domestiquer la mondialisation ?", c'est le thème de l'une de vos conférences. Mais les Européens attendent depuis de nombreuses années qu'une réponse soit trouvée au problème. Vous comprenez qu'une certaine lassitude se fasse jour ?
C'est peut-être quelque chose qui est dans la trame de toutes les journées de l'économie. Ces économies de marché se transforment au fil du temps, elles ont besoin des institutions publiques quand il y a des crises. Les marchés se tournent vers les Etats. A tel point qu'aujourd'hui les Etats se trouvent très endettés pour avoir aidé les marchés. Dans les années 30, c'était la même chose. Les changements ne se sont pas faits du jour au lendemain après la crise de 1929. Ils ont mis du temps à intervenir. Les nouvelles institutions sont nées 15 ans après la crise et nous n'avons pas fait l'économie d'une guerre.
Aujourd’hui le monde est dans une situation différente, mais on sait que les changements prendront aussi du temps. La crise européenne bouscule les acteurs qui doivent négocier pour créer des institutions nouvelles, plus efficaces. A l'échelle mondiale, c'est le même problème. Ce sont les crises qui obligent les responsables politiques, économiques et sociaux à imaginer de nouvelles règles, de nouvelles institutions. Toutefois, le rythme auquel évolue les institutions est très lent.
Ces changements peuvent prendre plusieurs directions : soit on modifie le rôle des institutions existantes, le rôle de la BCE par exemple; soit on créé des institutions nouvelles, comme le Fond européen de solidarité financière (FESF). On peut aussi modifier le périmètre d'action des institutions déjà en place. On peut créer des institutions qui dégagent les Etats de la dette. Il faut réfléchir aux meilleures solutions et ce n'est pas si simple !
A l'heure des fonds spéculatifs qui menacent l'économie réelle et des paradis fiscaux qui lui soustraient 10 000 milliards de dollars selon les évaluations, vous aborderez aussi cette année le thème de la crise financière lors des journées de l'économie. A Lyon, les acteurs économiques vous semblent-ils conscients de l'ampleur de ces problèmes ? Sont-ils prêts à agir ?
Votre question est intéressante dans la mesure où l'on oublie souvent que l'économie fonctionne d'abord au niveau des territoires. A Lyon, par exemple, les banques font essentiellement du crédit au niveau régional. Elles financent les activités des entreprises et des particuliers. Donc, quand on dit que c'est la faute des banques, c'est très simplificateur. Les banques, au niveau local, ne jouent pas ce jeu du "shadow banking", elles sont plutôt pénalisées. Ce phénomène de "banque de l'ombre" ne concerne pas les banques telles qu'on les entend (on estime qu’à travers les fonds spéculatifs, les banques d’affaires dans les paradis fiscaux, les sociétés financières écran, c’est plus de 16 000 milliards de $ de placements qui sont gérés contre 13 000 milliards de $ d’avoirs bancaires dans le réseau officiel). Il faut donc distinguer les banques traditionnelles qui gèrent les dépôts et les crédits, les compagnies d'assurance qui sont en train de changer leur métier, le shadow-banking essentiellement anglo-saxon qui finit par peser plus lourd que l'économie traditionnelle et les fonds souverains (arabes, norvégiens, etc) qui occupent une place croissante dans la finance internationale. Ces derniers gèrent une masse de plus de 4000 milliards de capitaux.
La taxation des mouvements financiers sera à l'ordre du jour du G20 à Cannes du 3 au 4 novembre prochain. Or James Tobin, prix Nobel d'économie en 1972, évoquait déjà cette possibilité il y a quarante ans pour éviter de déconnecter sphère réelle et sphère financière, qu'attendez-vous du G20 de Cannes sur cette question ?
Le G20 est une illustration de ce que l'on évoque depuis le début, la nécessité d'adapter l'économie aux nouvelles contraintes qui sont les siennes. Mais le G20 n'est pas permanent dans sa forme actuelle ni dans son fonctionnement. Il se réunit régulièrement mais on a du mal à mettre en place des formes de gouvernance, au niveau mondial, qui permettent de réglementer l'économie. On le voit bien, les pays, et en particulier les pays anglo-saxons, n'ont aucun intérêt à réglementer le "shadow-banking".
En quoi les journées de l'économie peuvent-elles participer à une prise de conscience ?
Le véritable enjeu aujourd'hui, ce n'est pas de faire des Davos de l'économie pour quelques élites, mais bien d'associer les citoyens, qu'ils s'emparent des questions économiques pour faire fonctionner la démocratie le mieux possible. On le voit avec la Grèce actuellement, c’est en amont des réformes à engager qu’il faut construire la réflexion et le dialogue. A la veille d'une période électorale importante pour notre pays, les initiatives qui peuvent nous aider à évaluer les propositions des candidats sont particulièrement bienvenues Si les journées de l'économie peuvent servir en partie à cela, alors j’en serai heureux.
Retrouvez le programme détaillé des Journées de l'Economie en cliquant ici.