Les étrangers du centre de rétention en grève de la faim

Un mouvement inédit de grève de la faim a éclaté jeudi 15 octobre au centre de rétention de Lyon. Pour la première fois depuis l'ouverture du centre en 1995, une cinquantaine d'étrangers ont décidé d'arrêter de s'alimenter jusqu'à nouvel ordre. Ils réclament plus de justice dans le traitement de leur dossier et dénoncent la main mise du gouvernement sur la justice administrative.

"Bonjour, monsieur quinze jours"

C'est une première à Lyon. Entre 43 et 68 étrangers du centre de rétention sont entrés collectivement en grève de la faim depuis le 15 octobre. Retenus près de l'aéroport de Lyon Saint-Exupéry, en attente d'être reconduits par avion dans leurs pays d'origine, ils ont cessé de s'alimenter jusqu'à nouvel ordre. Jeudi, ils ont fait parvenir une lettre ouverte au directeur du centre de rétention pour lui expliquer leur geste. Il lui demande de satisfaire à dix revendications. Premièrement, les retenus demandent au directeur de " laisser la Cimade faire son travail " (revendication numéro 1).

L'association oecuménique chargée de faire respecter le droit des étrangers au centre de rétention serait selon eux, handicapée du fait de l'absence d'indépendance des juges, chargés d'étudier les dossiers des étrangers. Ces derniers ont du coup surnommé le juge des libertés monsieur "Bonjour, quinze jours", comme la durée légale de leur enfermement, inlassablement reconduite par les juges des libertés sans distinction. "Le juge nous reçoit au tribunal, il ne nous écoute jamais. Il nous dit seulement bonjour, puis il prolonge automatiquement notre rétention de quinze jours, jusqu'à ce que la reconduite à la frontière soit effective, déplore Murat Dulut, 33 ans, jeune turc enfermé au centre de rétention et joint par téléphone".

Murat, ainsi que ces co-retenus, demandent au contraire que soient étudiées "au cas par cas, les situations individuelles " (revendication numéro 7). Ils contestent " les décisions du juge qui sont basées seulement sur une politique du chiffre, 28 000 expulsés par année " (revendication numéro 2). Ils protestent toujours contre "les prolongations automatiques, sans examiner du tout nos situations administratives " (revendication numéro 3) et demandent "l'intervention d'une organisation neutre pour revendiquer [leurs] droits selon la Justice, la Liberté, l'Egalité et la Fraternité. Dans la plupart des cas : nous sommes jugés sur la forme pas sur le fond ", déplorent enfin les retenus (revendication numéro 6).

Renvoyés dans des pays où ils ne veulent pas aller

Murat, le Turc, attend son transfert au centre de rétention de Lyon, vers la Turquie, son pays d'origine. Mais il se défend de vouloir y vivre. " Je suis arrivé en France à l'âge de trois ans, explique-t-il au téléphone. En Turquie, comme c'est le cas pour beaucoup de retenus ici, je suis comme un débile, je ne connais pas la langue ni la culture, je suis Français, toutes mes attaches sont ici ". Mais le jeune homme a fait de la prison en France, la préfecture ne lui a pas renouvelé son titre de séjour et il doit partir. Une situation qu'il vit très mal, la prison et l'éloignement, il ne mange plus depuis deux jours.

Des retenus frappés par les policiers ?

D'autres revendications plus éparses et plus graves font partie de la lettre ouverte envoyée par les 68 retenus au directeur du centre de rétention jeudi. "Certains retenus [auraient] été frappés par la PAF [ndlr : police de l'air et des frontières] d'autant plus qu'il y avait des mineurs, et nous trouvons cela inhumain, humiliant, il y a de quoi se révolter face à ces actes", notent les retenus dans leur lettre (revendication numéro 8). Interrogé là dessus, Hassan Ndaw de la Cimade, présent dans le centre, répond : " je ne peux pas témoigner de tels actes ". Selon Murat, le jeune turc "certains policiers se prennent pour des cowboys". Mais le coordinateur de la Cimade précise qu'une seule affaire de maltraitance a eu lieu, il y a trois ans. " A l'aéroport. Un Camerounais s'est fait tabasser à la montée dans l'avion. Il est revenu tout ensanglanté au centre de rétention. La Cimade a lancé une procédure contre lui ".

Des revendications pas claires

Pour finir, les retenus se plaignent (revendication numéro 9) avec leurs mots : "des soins, des médecins. Nous sommes dans un pays laïc, tandis que nos repas ne sont pas 'cachères' (ndlr : halal, sans doute), le racisme règne aux centres de rétention. La laïcité n'est pas respectée".
Le directeur, selon les étrangers, aurait de son côté essayé de casser la grève jeudi. "Ils nous a demandé si on forçait les autres à faire grève, témoigne Murat par téléphone. On a répondu non, chacun fait ce qu'il veut. Bien sûr, on a de la violence en nous, mais on n'est pas fous, on a choisi de se faire entendre par la non-violence. Ce midi, on a même dit aux femmes d'aller manger".

Un mouvement prévu pour durer

Le coordinateur de la Cimade, Hassan Ndaw, précise enfin que "les Maghrébins sont très motivés par cette grève", mais que "d'autres retenus de confession catholique ont aussi signé la lettre ouverte". "C'est une somme de situations individuelles", analyse le coordinateur de la Cimade. Depuis l'ouverture du centre en octobre 1995, c'est la première fois qu'un tel mouvement de grève a lieu. Une grève de la faim collective d'une journée avait bien eu lieu l'année dernière et une grève de la faim individuelle avait donné lieu, il y quelques années, à l'hospitalisation d'un Algérien. le retenu avait ainsi évité l'expulsion. Espérons que les grévistes d'octobre n'en arrivent pas à une telle extrémité pour se faire entendre.

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