Nicolas Hourcade, 37 ans, sociologue, est professeur agrégé de sciences sociales à l'Ecole Centrale de Lyon. Il est l'un des grands spécialistes français des supporters dans le monde du football.
Lyon Capitale : Qu'est-ce qu'un supporter ?
Nicolas Hourcade : On peut dire qu'il existe trois motivations pour aller au stade : l'intérêt du jeu, l'intérêt pour une équipe et l'intérêt pour l'ambiance des tribunes. Ces trois motivations se mêlent à des degrés divers : chaque amateur de foot est plus ou moins spectateur et plus ou moins supporter. Une idée répandue veut que le supporter soit actif et que le spectateur soit passif : le spectateur s'intéresserait au jeu avant tout. Ainsi, à la fin du Lyon-Bayern (2-3) de 2008, le spectateur était content car il a pu assister à un beau match. Le supporter, lui, a retenu que son équipe a perdu.
Quel place ont les supporters dans le monde du foot ?
Il s'agit d'une question fondamentale. Depuis les années 70, notamment avec l'émergence des supporters du «Chaudron» de Saint-Etienne, on attend que le public participe et s'engage. Dans tous les stades, le speaker harangue les foules avant match, les joueurs et les entraîneurs appellent le public à soutenir leur équipe. De fait, les supporters sont constitués en éléments du spectacle et sont positionnés comme acteurs. L'ambiguité vient du fait que, d'un côté on leur dit qu'ils jouent un rôle primordial mais, de l'autre côté, ils ne doivent pas critiquer les dirigeants ou les joueurs. Autrement dit, leurs possibilités d'expression restent très encadrées.
Quelle est la culture du supportérisme en France ?
La France s'est longtemps caractérisée par des affluences dans les stades moins importantes que dans les pays voisins et, donc, par une passion du supportérisme moins importante. Le cliché est celui que la France n'est pas un pays de football. Pourtant, le magazine France Football décerne le Ballon d'Or, reconnu internationalement, la Coupe du Monde a été imaginée par les Français, les Coupes d'Europe sont une idée de L'Equipe. Autrement dit, la France a un rôle moteur dans le football international.
Aujourd'hui, les affluences dans les stades français avoisinent les 22 000 spectateurs par match, alors que dans les années 80, elles tournaient autour de 12 000 spectateurs. Si vous regardez les tribunes des stades français, jusqu'aux années 70, à par quelques stades assez réputés à l'image de Marseille, de Nice, de Paris ou de Nantes, il n'y avait pas beaucoup d'ambiance. Tout commence avec les Verts de Saint-Etienne qui mettent en avant les types de comportements de supporters étrangers.
L'une des raisons qui permettrait d'expliquer que la France a une passion moins forte pour le football que d'autres pays, c'est le développement de la culture européenne en France, beaucoup plus récent qu'ailleurs. A l'origine, le foot est un sport de villes. Or, la France n'est devenue une société réellement urbaine que dans les années 50.
Qu'est-ce qui a conduit à l'émergence d'un supportérisme radical ?
En premier lieu, les transformations internes au football, en second lieu, des changements sociaux comme l'émergence de la jeunesse qui se veut autonome et l'avènement d'une culture de masse qui se caractérise aussi par le sport. La médiatisation du football et le développement des compétitions européennes ont permis à ces supporters d’être plus visibles et de faire des émules partout en Europe. Résultat : les tribunes ont changé : chaque stade a aujourd'hui son kop, son secteur réservé aux visiteurs, alors qu’auparavant les supporters des deux camps se mêlaient dans les gradins.
Le supportérisme est devenu, du moins pour certains, un enjeu à part entière, autonome par rapport à la compétition sportive. Au match entre joueurs s'est superposé celui entre supporters. En parallèle, la violence se développe. Un nouveau type de violence a émergé à partir des années 1960, d’abord en Grande-Bretagne puis dans toute l’Europe. À l’ancienne violence spontanée, provoquée par une défaite ou une erreur d’arbitrage, s'est greffée une violence préméditée, plus systématique et plus indépendante du match à proprement parler. C'est celle qu'on appelle hooliganisme.
Dans les stades français, quels sont les types de supporters ?
En France, deux types de supporters apparaissent : d'un côté, les hooligans s'inspirant des bandes anglaises, celles qui cherchent avant tout la violence et qui le revendiquent. De l'autre, des associations d'ultras à l'italienne dont l'objectif est d'assurer le soutien au club de football. Les ultras sont beaucoup plus ambigus dans leur rapport à la violence que les hooligans. Pour eux, la violence n'est pas un objectif en soi, mais ils ne la refusent pas. Le problème, c'est que le grand public n'a qu'une image en tête, celle du hooligan, en référence au drame d' Heysel, en1985 à Bruxelles où 39 personnes périrent en raison de mouvements de foule causés par des supporters de Liverpool.
Or, il est primordial de différencier ultras et hooligans car la gestion policière n'est pas la même. Aujourd'hui, dès qu'on voit un peu d'agitation dans les stades, on colle immédiatement l'image du hooligan. Prenez l'affaire du supporter marseillais Santos Mirasierra : il a écopé de trois ans et demi de prison, accusé de faire partie de l'extrême-droite alors que le club de supporters auquel il appartient est connu pour mener des actions anti-racistes. Le type est arrêté, il est un peu chevelu, il a un look un peu bizarre, c'est un facho. Non. Il y a même, au sein des ultras, des tendances clairement anti-racistes, car leurs membres en ont marre qu'on leur colle cette étiquette de fachos sur le maillot. Après ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas de fachos dans les stades.
Jusqu'où aller pour lutter contre la violence dans les stades ?
La difficulté c'est que compte tenu que les supporters ont une image très négative, on va avoir une politique d'effets d'annonce, une politique spectacle. Souvenez-vous de la rencontre entre la France et la Tunisie du 14 octobre dernier pendant laquelle La Marseillaise a été sifflée. Le lendemain, on nous disait qu'il fallait évacuer tous les stades dès qu'il y avait des sifflets.
Or, tous les acteurs de terrain, y compris les policiers, savent que c'est impossible. Vu que les hooligans sont particulièrement stigmatisés, on pense qu'il suffit de réprimer. Oui, il faut réprimer les comportements dangereux mais pas à l'aveugle en accordant la même peine à celui qui a allumé un fumigène et à celui qui se bat à coups de barres de fer autour du stade. Il faut une répression bien ciblée, bien pensée et des mesures de prévention et de dialogue. En dialoguant avec les associations de supporters, on débloque pas mal de situations.
Le dialogue, c'est justement ce que prône un récent rapport d'information du Sénat sur les associations de supporters...
C'est exact. Mais ce rapport préconise d'autres mesures sur lesquelles j'apporte un bémol. Par exemple, les interdictions de stade.D'un côté, il y a les interdictions judiciaires, prononcées par un juge suite à une condamnation, de l'autre il y a les interdictions administratives prises par le préfet qui peut juger que telle personne est indésirable dans un stade.
Ces interdictions administratives sont pratiques en théorie, notamment avant un match dit « à risque », mais elles peuvent parfois engendrer des abus. On peut interdire de stade tous ceux qui ont un look un peu louche. En France, on a énormément d'interdits de stade. Dans le lot, il y a des gens véritablement dangereux, d'autres qui ne le méritent absolument pas.
Par exemple ?
Le supporter qui jette un fumigène dans un stade sans qu'il y ait de victimes, je ne vois pas l'intérêt de la peine judiciaire. En revanche, l'individu qui déclenche une bagarre et lynche quelqu'un , là la sanction doit être ferme et lourde. Le rapport du Sénat parle de dissoudre les clubs de supporters en cas d'infractions. Le danger c'est que ce genre de mesure s'applique beaucoup mieux aux associations d'ultras. Or si ces associations ont un côté un peu sulfureux, elles sont aussi un rempart contre la violence.
La contradiction des ultras qui veulent être reconnus mais rebelles est intéressante car elle va attirer des jeunes un peu en marge qui vont avoir l'impression de s'y épanouir. Et si ces groupes derrière ont suffisamment d'auto-contraintes pour éviter qu'il y ait des gros incidents, alors ils peuvent être un rempart pour lutter contre la violence. Les groupes ultras doivent s'institutionnaliser et accepter de discuter avec les autorités, définir leurs droits et leurs devoirs. Mais s'ils perdent leur coté sulfureux, ça risque d'avoir un effet pervers. Trop d'aseptisation risque d'entraîner la création d'autres clubs de supporters plus radicaux.
Le modèle des socios, en Espagne, est-il applicable en France ?
Le système est intéressant car il montre comment on peut définir précisément la place et le rôle des supporters dans un stade. Ils cotisent dont sont partie intégrante du club, on tient compte de leur avis et on le formalise par une élection. A mon avis c'est vers cela qu'on doit tendre, vers le fait que les supporters sont partie intégrante du club, sont considérés comme des acteurs et on se préccupe de la manière dont ils peuvent émettre leur avis. Dans d'autres cas, cela pourrait être des associations représentatives à qui on donne une voie au conseil d'administration du club.
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> Cet entretien a été réalisé en janvier 2009, dans le cadre du dossier de Lyon Capitale, "Peut-on résister au dieu foot?"