Le conseil de Paris va donner son feu vert ce lundi matin pour l'organisation des JO en 2024. Denis Trouxe, ancien président de l’office de tourisme et ancien adjoint à la culture de Lyon, s’inquiète de la candidature parisienne pour l’accueil des Jeux olympiques 2024. Un engagement qui aura des conséquences financières non négligeables pour le reste de la France, selon lui.
“Inconsciemment, nous sentons tous que nous allons nous laisser faire. Cocorico ! Oui pour les Jeux olympiques à Paris en 2024. Comme les Canadiens, comme les Grecs, comme les Chinois, les Espagnols… qui ont entonné Cock-a-doodle-do (cocorico en anglais) pour leur obtention et hurlé par la suite au fiasco contre les organisateurs pour le remboursement des jeux. Les Montréalais mirent plus de trente ans pour rembourser les leurs, des pertes colossales dues à un surcoût de 800 % ! Ne parlons pas de ceux d’Athènes, qui ont battu le record mondial de profondeur du trou financier.
Une exception dans ce fiasco généralisé : les JO de Los Angeles. Mais c’est une autre question. Elle est unique. Celle d’un maire, Tom Bradley, lequel, fort du fiasco des JO de Montréal, confia à un privé, Peter Ueberroth, l’organisation de JO totalement financés par des privés et qui réaliseront un bénéfice de 150 millions de dollars. À comparer avec les gouffres de pertes que furent Moscou, Pékin, Montréal, Barcelone, Sotchi, Athènes… (cette dernière atteignant – sans les infrastructures – une perte de 13 milliards, avec seulement 2 milliards de rentrées).
Paris, à l’instar d’Ueberroth, vend le fait que certaines structures existent déjà ; aux différences près que toutes existaient vraiment à L.A., sauf la piscine, qui fut construite par… McDo. Là-bas, c’était très clair, d’autant plus que ce n’étaient pas des politiques qui conduisaient le projet, mais des entrepreneurs privés. Pas question de dépasser les budgets. Chez nous, c’est souvent une intention louable qui ne se réalise pas. Cela n’est pas dans la pratique de nos institutions, qui vont plutôt au centralisme politique à responsabilités diffuses, ni de nos entreprises qui vont jusqu’à multiplier par 2, 4, 6… les devis initiaux.
Pour l’instant, des estimations parisiennes sont établies autour de 4,5 milliards. Mauvais présage. C’était le montant prévu par les Grecs pour leurs JO. Lorsque l’on prend en compte toutes les infrastructures, le déficit grec n’est plus à 13 mais atteint 35 milliards d’euros ! L’ex-président du CIO Jacques Rogge a reconnu son impact sur la faillite de la Grèce. En revanche, nous nous préparons à entendre la musique du pipeau national sur l’image de marque. Allez parler de ce genre de concert à tous les contribuables qui l’ont écouté et qui ont payé pendant des décades la partition salée des déficits sans voir leur situation économique s’améliorer.
Étant donné que l’État participera directement ou indirectement en cas de déficit, car il y sera plus ou moins impliqué, nous paierons la note par un impôt ou par un autre. Et cela en fonction de la sacro simple règle que ce qui est fait pour Paris est essentiel pour la France. Il en est ainsi des grands travaux, des transports, de la culture…, secteurs payés par tout le pays et non par les Parisiens.
Au-delà de ces problèmes de coût, se tient en fait une vraie interrogation : quel arbitrage de fond conviendrait-il d’adopter si on avait le choix ? Grossir encore le potentiel et l’image de Paris comme si elle n’était pas assez connue dans le monde ? Ou, en fonction d’une stratégie globale d’aménagement du territoire, conduire des projets de première nécessité très en retard pour le développement des autres régions ? Cette dernière hypothèse paraît la plus logique, la plus souhaitable à réaliser compte tenu de nos problèmes. Dans la première, empreinte d’une logique de voracité qui sera soutenue par un raisonnement, bien entendu “incontestable”, le destin des régionaux ne se situera que dans un exode déjà bien amorcé vers la région parisienne surpeuplée ou l’international.
Le domaine de la culture ne nous donne-t-il pas déjà un triste exemple de voracité et d’impuissance ? 80 % des investissements culturels de l’État vont à la seule région parisienne, soit à 12 millions d’habitants, et les 20 % restants à 54 millions de “régionaux” ! Pour être encore plus exact, il conviendrait d’observer la seule commune de Paris avec seulement 2 211 000 habitants qui capte la quasi-totalité des 80 % (dans mes calculs, je n’ai pas pris cette dernière base qui aggraverait encore plus le déséquilibre) ! L’estimation de la retombée des investissements culturels et de ses bienfaits dans les deux cas par tête d’habitant donne le rapport suivant : pendant que le régional en bénéficie de 10, le Parisien en bénéficie de 180 ! Et même si l’on introduit epsilon de provinciaux privilégiés qui profitent des équipements culturels parisiens, cela ne change pas grand-chose à ces chiffres.
Cette voracité structurelle semble être une ligne de conduite. Elle ne va pas épargner l’organisation des JO éventuels de Paris. Nous aurons droit bien entendu à une tournée promotionnelle de concerts de pipeaux avec plusieurs formations en faveur de la candidature : “une chance pour la France”, “pour l’emploi”, “pour l’implantation de capitaux étrangers”, “pour le mieux vivre ensemble”, “pour une fierté nationale”, “un financement du Grand Paris” ou, mieux, “Nous sommes tous des Parisiens”…
J’ai peur du pipeau.”