Quelques jours plus tôt, et suite à une enquête sur la pollution du Rhône aux PCB, le témoignage d'un pêcheur, atteint d'un cancer de la prostate et grand consommateur de poissons, nous avait persuadé d'enquêter sur place. Conscient que notre travail ne revêtait aucune valeur épidémiologique, nous avions néanmoins rapporté le résultat de notre investigation dans les colonnes du journal, troublés par le nombre de cancers, et bien décidés à interpeller les autorités sanitaires. L'affaire était remontée jusqu'au bureau du ministre de l'écologie Jean-Louis Borloo.
La semaine dernière, suite à notre article, l'ONG Next-Up nous a demandé de l'aider à trouver des volontaires ayant consommé des poissons du Rhône. Objectif : lancer une étude sanitaire entre Valence et Lyon, comme elle l'avait menée, début mars, à Port-Saint-Louis-du-Rhône (Camargue), avec l'association de médecins ASEP (Association Santé et Environnement Provence), qui regroupe quelque 300 professionnels. "On n'a plus le temps d'attendre, explique Serge Sargentini de Next-Up. Il faut prendre le contrepied du gouvernement qui ne promet pas d'études avant deux ou trois ans".
Tredi : une usine de décontamination ultra polluante
Car aujourd'hui, la pollution a pris une ampleur démesurée : le Rhône est touché jusqu'au delta méditerrannéen, quasiment tous les affluents aussi, cinq régions sont concernées (Rhône-Alpes, PACA, Franche-Comté, Bourgogne, Languedoc-Roussillon) et les poissons sont impropres à la consommation. Ce que l'on sait moins, c'est que les sols, aussi, sont pollués. L'exemple isérois de Susville, un site industriel près de Grenoble, en est un exemple criant, les eaux souterraines étant empoisonnées.
En Rhône-Alpes, la Drire en a recensé une soixantaine, "dont on est sûr" affirme Laurent Albert, de la division environnement. Aveu à peine voilé qu'il y en a très certainement des dizaines d'autres mais que "pour en être assuré, il faudrait passer la région au peigne fin" (!). Il existe donc une pollution due aux anciens sites industriels, mais également, dans une moindre mesure, celle engendrée par tous les transformateurs électriques. La stabilité chimique et l'ininflammabilité des PCB (sorte d'huile jaunâtre, lourde, très odorante) ont conduit à les utiliser comme isolant électrique dans les transformateurs et les condensateurs. En Rhône-Alpes, 52 134 de ces appareils renferment encore du liquide toxique. Soit près de 3 100 tonnes de PCB. L'usine Tredi, à Saint-Vulbas (Ain), se chargera de les décontaminer.
Problème, les eaux de lavage des appareils contenant des PCB ont beau être traitées avant leur relargage dans le Rhône, des quantités de polluants arrivent toujours à passer à travers les mailles du filet. Et si, depuis 2008, les rejets de Tredi ne doivent pas excéder plus de 200 grammes de PCB/an, pendant très longtemps, ils dépassaient l'entendement. Ainsi, de 1985 à 1991, Tredi était autorisé à balancer 1,5 kilos de PCB par jour dans le Rhône. Le calcul est vite fait : pendant six ans, c'est plus de 3 tonnes qui ont été déversées dans le Rhône. Et de 1991 à aujourd'hui, on peut rajouter, à la louche, 1, 8 tonnes. Consternant pour une usine spécialisée dans la décontamination de PCB ! Or, selon La Frapna*, qui suit le dossier depuis des années, "l'échelle de toxicité des PCB s'exprime en milliardièmes de grammes". Facile, dès lors, d'imaginer l'état du Rhône.
Les "casses" de PCB
Dans une moindre mesure, la préfecture devra désormais s'intéresser aux vols de cuivre. Dans la région, trois "casses" de transformateurs sont recensés chaque semaine. Quel est le lien avec les PCB ? Les transformateurs regorgent du fameux métal, dont les cours flambent actuellement. "Les vandales cassent les transfos à la masse, quand ils ne les brûlent pas" explique Alain Chabrolle, vice-président de la Frapna, qui vient d'écrire au préfet, lance un appel aux dons. Et les litres d'huile toxique de continuer d'imprégner les sols, sans compter les dangers pour les "vandales".
A l'heure actuelle, il y a urgence. Les dangers sur la santé humaine sont bien réels. La "casse" est avant tout humaine. Les prochaines prises de sang de Next-Up et l'ASEP fixeront tout le monde.
*Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature. www.frapna.org .
APPEL A TEMOINS
L'ONG Next-UP, en partenariat avec Lyon Capitale, lance une grande campagne de dépistage des PCB. Trois types de profils de personnes sont recherchées : ayant consommé beaucoup de poissons (au minimum 2 fois/semaine), ayant peu consommé (1 fois/10 jours à 1 fois/mois), et n'ayant jamais consommé. Les tests sont pris en charge dans leur totalité, donc gratuits, et durent le temps d'une prise de sang. Les résultats sont attendus six semaines après. Une telle initiative permettra de connaître à quel degré les riverains du Rhône sont contaminés et d'apporter, dès aujourd'hui, les solutions médicales les plus appropriées.
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