RÉACTIONS - Le garde des Sceaux, Michel Mercier, également président du conseil général du Rhône, présentait mercredi 13 avril, un projet de loi visant à réformer la justice correctionnelle et la celle des mineurs. Les magistrats lyonnais dénoncent un nouvel "effet d'annonce" du gouvernement et n'imaginent pas que ce projet puisse être validé par le Conseil constitutionnel.
Le point fort de la réforme voulue par Nicolas Sarkozy et présentée mercredi en conseil des ministres par le garde des Sceaux, Michel Mercier, consisterait à introduire des jurés dans les tribunaux correctionnels. Une révolution dans le monde judiciaire ? Pas vraiment. Le système existe déjà aux Assises. Mais surtout, les magistrats lyonnais craignent que les tribunaux n'aient tout simplement pas les moyens de cette ambition. A raison de quinze affaires traitées par demi-journée, en moyenne, au tribunal correctionnel de Lyon, les magistrats lyonnais imaginent mal comment on pourrait introduire, en plus, des jurés populaires. Cela rallongerait certainement la durée des audiences et surtout, les temps de délibérations.
Contre l'introduction de jurés en correctionnelle
Sur le principe, Anne Wyon, déléguée lyonnaise de l'Union syndicale des magistrats (USM) et conseillère à la Cour d'appel de Lyon, est contre, de toute façon. D'autant plus en correctionnelle, ou contrairement aux assises ou à la cour d'appel où elle travaille, les prévenus sont le plus souvent renvoyés directement par la Police devant le tribunal. "On soumet au tribunal correctionnel une procédure qui a été faite par la police et la gendarmerie, qui n'est jamais passée devant un juge d'instruction -alors que l'instruction est obligatoire en matière criminelle-, et donc le système implique, contrairement aux assises, que les avocats et les prévenus eux-mêmes puissent soulever des points de procédure, parfois compliqués à trancher, y compris pour les juristes professionnels que nous sommes. Ce sera donc incompréhensible pour les jurés. Ils vont se sentir exclus, c'est cela qui me gêne. Il y aura un problème technique, juger est un métier ! C'est comme si vous demandiez à un citoyen d'assister un chirurgien et que vous lui demandiez son avis !", estime la magistrate.
Pour une réforme en profondeur
Mêmes réserves pour Etienne Rigal, juge au tribunal d'instance de Lyon et membre du Syndicat de la magistrature. Sur le fond, il est plutôt favorable à l'introduction de jurés dans les tribunaux correctionnels contrairement à sa consoeur. Mais sur la forme, il estime que les moyens prévus par le ministre (250 postes supplémentaires de magistrats et de greffiers en France, ndlr) ne sont pas suffisants pour permettre la mise en œuvre du projet. "Au tribunal correctionnel de Lyon, on passe en moyenne une demi-heure par affaire : le rappel des faits, l'interrogatoire de la personne, la plaidoirie et le délibéré ne prennent pas plus d'une dizaine de minutes chacun. Je vois mal comment on pourrait associer, en plus à cela, des jurés, sans réformer en profondeur la procédure correctionnelle. Et puis là où on mobilise aujourd'hui une salle et trois juges durant un après-midi, il en faudra deux demain. On n'a déjà plus aucune salle de libre au nouveau palais de justice de Lyon ! Comment allons nous faire ?», s'interroge Etienne Rigal.
Le magistrat note également que les départs à la retraite de ses collègues lyonnais ne sont pas compensés actuellement. Les moyens supplémentaires prévus dans le cadre de la réforme seront donc absorbés immédiatement selon lui, par le déficit pré-existant. Les marges de manoeuvre de la chancellerie sont donc étroites à Lyon.
"La justice des mineurs doit rester spécialisée"
Enfin, le projet de loi présenté par Michel Mercier le 13 avril, prévoit de réformer la justice des mineurs également. Les récidivistes de 16 à 18 ans, actuellement jugés par le tribunal pour enfants, le seraient en correctionnelle, comme des majeurs, dès début 2012. Françoise Neymarc, membre du Syndicat de la magistrature (SM) et juge pour enfants à Lyon, estime que la justice des mineurs doit rester spécialisée. Elle se méfie de ce projet de loi dans lequel elle voit, "peut être, une façon d'abaisser l'âge de la majorité pénale. Un projet déjà proposé par le gouvernement il y a deux ans et retoqué par le Conseil constitutionnel", rappelle la magistrate. "Pourquoi juger des mineurs comme des majeurs ? interroge-t-elle. Pour régler le problème de la délinquance ? Ce serait croire que les tribunaux correctionnels sont plus sévères que les tribunaux pour enfants, c'est très réducteur", estime-t-elle.
Six organisations syndicales et professionnelles ont déjà demandé l'"abandon" du volet "mineurs" du projet de loi de Michel Mercier.