Les médecins au bout du rouleau

Un praticien sur deux serait sujet au "burn-out", l'épuisement professionnel.

Ce n'est pas un congrès. C'est une séance de psychothérapie de groupe. Pendant trois jours, 2000 médecins généralistes se sont réunis à la Cité Internationale. Il suffisait de tendre le micro pour comprendre que la profession va mal. "Il y a un manque de respect de la part des patients". "Marre des tracasseries administratives." "On sert de distributeurs de tickets". "Le téléphone qui sonne toutes les cinq minutes, c'est insupportable". "Les journées de 8h à 22h, 6 jours sur 7." Le plus beau métier du monde est devenu une profession de râleurs, surmenés. "Le burn-out ? On y est tous passés !" lâche Patrick Jamin, 50 ans, qui exerce dans la Manche. Le burn-out, c'est le syndrome d'épuisement professionnel qu'ils avaient l'habitude de diagnostiquer chez leurs patients enseignants, avocats ou travailleurs sociaux. Sans toujours voir les premiers signes chez eux. "Moi j'y suis passé. C'est un surmenage dont on ne se rend pas compte. On a l'impression qu'on peut le faire. Je disais tout le temps : "mon Pentium fonctionne à 100%". J'ai explosé du jour au lendemain. La déprime totale. Je me suis fait hospitaliser 15 jours. Pendant trois mois, je n'étais plus moi." raconte spontanément Hervé Le Poutremet, 52 ans, médecin dans l'Orne. "Si je ne prends pas un patient, personne ne le fera... Je me suis fait piéger par ça" raconte-t-il. "Il y a une culture de la course à l'acte. Beaucoup de collègues, surtout les plus anciens, se poussent du col : "Je fais tant de patients par semaine, du golf, du bateau..." Nous on se dit : putain, je suis nul !" ajoute Patrick Jamin, de la Manche. "On est tous très angoissés" poursuit-il. "Moi, j'ai des patients qui me soucient. Je n'arrive pas à poser la valise en arrivant à la maison. Je lis les chroniques nécrologiques tous les jours. Même quand ce n'est pas le journal de mon département, je me surprend à le faire... Quand je vois le nom d'un de mes patients, je me dis : "qu'est-ce que j'ai manqué ?""

Il suffit de prononcer les mots "burn-out", et chacun des médecins présents au congrès devient intarissable. Plusieurs réunions du congrès y étaient consacrées. Et ont fait "salle comble". Les études manquent encore pour décrire ce phénomène en France. Selon les rares existantes, 47% des médecins libéraux en France présentent les symptômes du syndrome d'épuisement professionnel ou burn-out syndrome. A savoir : l'épuisement émotionnel, la déshumanisation de la relation à l'autre et la perte du sens de l'accomplissement de soi au travail. En tête des causes, d'après une étude menée en Île-de-France, ils citent unanimement l'excès de paperasserie (96%). Viennent ensuite la non reconnaissance de l'action du médecin (90,1%), la charge de travail (89,1%), l'augmentation des contraintes collectives (88,6%), la longueur des journées (85,3%), l'exigence des patients (84,1%), le manque de temps pour sa vie privée (84,1%) ou les risques de contentieux juridiques (83,9%).

Plus de paperasse, plus de patients et moins de médecins... Le cocktail est explosif pour la profession. Les jeunes médecins, très courtisés (lire Wanted), ont bien compris le problème. Et entendent visiblement se ménager. "Il ne faut pas faire comme les anciens qui travaillent jusqu'à minuit. Même en travaillant 24h sur 24, il y aura toujours trop de patients... Alors, quitte à moins bien gagner ma vie, je vais mettre des horaires, et m'y tenir, finir mes journées à
18 ou 19 h" confie Olivier Gudel, interne de 28 ans.

Mais près d'un jeune diplômé sur deux renonce tout simplement à exercer en libéral. "La profession a perdu 4000 jeunes ces dernières années" confirme Pierre-Louis Druais, organisateur du congrès, et président du Collège National des Généralistes Enseignants (CNGE). La question n'est d'ailleurs pas posée qu'aux médecins. Puisque les jeunes généralistes privilégient - légitimement - leur qualité de vie, cela nous oblige à repenser d'urgence notre système de soin (lire entretien). Les médecins ne voulant plus sacrifier la leur, c'est la santé de tous qui est désormais en jeu.

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