Le pont de pierre, avant 1843, P0546 S 0124, Collection Bibliothèque municipale de Lyon

Les monuments et trésors perdus de Lyon

Quand Lyon est classé patrimoine mondial par l’Unesco en 1998, la ville est couronnée pour avoir su conserver ses racines romaines mais aussi des constructions emblématiques tout au long de son histoire. Si certaines sont parvenues jusqu’à nous, d’autres ont été détruites et sont perdues à jamais.

Il y a le Lyon secret, celui des traboules, parfois derrière des portes fermées, des souterrains comme les “arêtes de poisson”, ou celui des lieux interdits au grand public à l’image des coulisses des halles Paul-Bocuse. Pourtant, tous ces lieux sont encore là, se révélant grâce aux photographes qui ont la chance d’y accéder. D’autres endroits resteront inédits à jamais, détruits au cours du temps, perdus, et seules les peintures, gravures ou photographies rappellent qu’ils ont existé un jour. Ce Lyon perdu est composé de monuments dont on douterait presque qu’ils aient existé un jour tant ils semblent hors du temps, à l’image de la pyramide des Brotteaux, du sanctuaire des trois Gaules ou de la première statue équestre de Louis XIV. Sa remplaçante quittera la place Bellecour prochainement pour être restaurée en atelier. Que les Lyonnais se rassurent, elle reviendra et ne viendra pas s’ajouter à la liste des monuments perdus, pas plus que Le Rhône et la Saône des frères Coustou, qu’elle domine. À l’issue de leur restauration, les deux statues représentant les cours d’eau lyonnais rejoindront le musée des Beaux-Arts. Tous les monuments n’auront pas eu cette chance d’une nouvelle vie, pour traverser les décennies encore et encore. Plongée dans le Lyon perdu.

Ancienne chapelle des Capucins, 4FI 400, Archives municipales de Lyon

La pyramide des Brotteaux

Pendant la Révolution, Lyon est marqué par l’opposition entre girondins et jacobins. L’arrestation et l’exécution de Chalier (jacobin) en 1793 mettent le feu aux poudres et déclenchent la fureur de Paris. Pour les partisans de la monarchie, Lyon va devenir le symbole d’une possible reconquête de la France. La Convention refuse pareille insulte et assiège la ville d’août à octobre. Victorieuse, elle déclare la cité affranchie, c’est-à-dire condamnée à perdre son nom et à être détruite. Après le siège de Lyon, une sanglante répression s’abat sur les royalistes.

La guillotine des Terreaux coupe les têtes à la chaîne, mais reste trop lente pour certains ; le 4 décembre 1793, une soixantaine de royalistes sont amenés aux Brotteaux et “mitraillés”. Les massacres continueront et plus de 200 personnes trouveront la mort dans cette répression. Dès 1795, un monument en leur mémoire est construit aux Brotteaux, détruit un an plus tard. À la chute de l’Empire, la question d’un nouveau monument se pose. Un concours est ouvert pour trouver un architecte. En attendant, en 1814, une première pierre symbolique est posée. 21 projets sont présentés. Le jury choisit dans un premier temps celui de Chenavard, un temple grec au milieu d’un jardin. Au final, c’est la pyramide de Cochet qui sera sélectionnée, et déclenchera les polémiques. Elle sera détruite en 1906. La même année, les ossements sont placés dans la crypte.

Ancien hôpital de la Charité, 4FI 1037, Archives municipales de Lyon

L’hôpital de la Charité

À l’origine, l’hôpital de la Charité aurait dû être construit place des Terreaux. Le complexe voit le jour au début du xviie à proximité de la place Bellecour. Quatorze corps de bâtiment encadrent neuf cours. Trois siècles plus tard, la question de la destruction de la Charité revient régulièrement (tout comme celle de l’Hôtel-Dieu). Ses activités sont progressivement transférées dans d’autres hôpitaux de la ville et la Charité est détruite en 1933, sous Édouard Herriot. Une bataille publique éclate sur la question de la chapelle, qui finira elle aussi par être détruite ; ses vitraux disparaissent en grande partie, mais cinq terminent à l’Hôtel-Dieu. Ils furent détruits en 1944, lorsque les nazis firent exploser les ponts. Au final, seul subsiste le clocher de l’ancien hôpital de la Charité, place Antonin-Poncet.

Le sanctuaire des trois Gaules

C’était sans doute le monument le plus important de Lugdunum, et il reste aujourd’hui encore un mystère. Le sanctuaire fédéral des trois Gaules, construit en 12 avant notre ère, était la pierre angulaire de la vie politique gallo-romaine. Ce lieu dédié au culte de l’empereur abritait soixante statues, représentant les soixante cités conquises par César, selon le Grec Strabon. Chaque année, le 1er août, de grandes fêtes, processions et sacrifices étaient organisés dans toute la ville.

Les représentants des soixante nations gauloises se retrouvaient au sanctuaire et l’un d’entre eux, après avoir été élu président, recevait le titre de prêtre de Rome et d’Auguste. Cet événement à la fois religieux et politique marquait la soumission de la Gaule à l’empereur. Les représentants gaulois échangeaient entre eux, livraient parfois leurs doléances qui pouvaient être transmises à l’autorité suprême. De cette manière, ils prirent progressivement de l’importance et du corps dans le système romain, jusqu’à ce que certaines élites aient le droit de siéger au Sénat – après le discours de Claude, en 48. C’est ce discours qui est gravé sur les “tables claudiennes”, dont une partie, parvenue jusqu’à nous, est exposée au musée Lugdunum.

Le cirque romain

Si les ruines de l’amphithéâtre sont encore visibles à Fourvière, celles du cirque ont totalement disparu, au point que son existence a parfois été remise en question. La découverte d’inscriptions a confirmé que Lugdunum en possédait bien un, sans pour autant donner son emplacement exact. Trois hypothèses font débat : sur la presqu’île, sur le plateau de Fourvière ou bien dans le fossé de Trion, à proximité. Une mosaïque a été découverte en 1806 lors de travaux réalisés par un particulier dans le quartier d’Ainay, mais elle représenterait davantage l’idée des jeux du cirque que celui de Lyon.

Le pont de pierre, avant 1843, P0546 S 0124, Collection Bibliothèque municipale de Lyon

Le pont du Change

Consacré en 1070 par le pape Innocent III, le pont du Change a été bâti avec les pierres des monuments romains (dont certaines comportaient toujours des inscriptions en latin). Il avait la particularité d’accueillir plusieurs maisons et boutiques, de trois à quatre étages, dont certaines étaient traditionnellement occupées par des orfèvres, et resta l’unique pont sur la Saône pendant près de cinq siècles. On y trouvait une trappe qui permettait de jeter tous les 2 juin un taureau vivant dans l’eau, lors de la Fête des merveilles. L’animal était ensuite récupéré puis sacrifié rue Écorche-Bœuf (port du Temple) avant d’être dévoré par les participants. Cette fête a été interdite à plusieurs reprises sur pression de l’Église, qui y voyait un rite païen.

Le pont du Change fut détruit en 1842. Sa construction sur des pics rocheux favorisait les crues dans le secteur et rendait la navigation dangereuse. Le développement des bateaux à vapeur, qui ne pouvaient pas passer à cet endroit en sécurité, a accéléré sa fin. Un nouveau pont fut alors construit, plus en aval, qui fut à son tour détruit en 1974, lui aussi à cause de la navigation. Il fut remplacé par celui que nous connaissons.

Première statue équestre de Louis XIV, 15PH1 438, Archives municipales de Lyon
Première statue équestre de Louis XIV, 15PH1 438, Archives municipales de Lyon

L’autre statue de Louis XIV place Bellecour

Il n’y a pas eu une seule statue de Louix XIV place Bellecour, mais bien deux, la première ayant connu un destin funeste. Il faut revenir au xviie siècle, époque où la mode des statues de Louis XIV est lancée en France. Lyon veut la sienne, pour qu’elle trône place Bellecour. La ville contacte le sculpteur Desjardins et trouve un accord en 1688 pour une statue équestre, qui doit être livrée en 1691. Il s’agit d’un modèle à la romaine, sans étriers, mais rien ne va se passer comme prévu. Desjardins prend du retard et ne livre la statue que juste avant sa mort, en 1694, sauf que Lyon ne peut plus la payer.

Une fois l’argent enfin réuni, un nouveau problème se pose : comment la transporter jusqu’à Lyon depuis Paris ? Il est décidé de passer par les voies nautiques : de la Seine à la Manche, puis l’Atlantique, Gibraltar, la Méditerranée et le Rhône. Mais quand la statue arrive (enfin), en juillet 1701, aucun lieu ne peut l’accueillir et elle est enfermée dans un entrepôt. En 1713, encore un casse-tête : comment l’installer ? Une machine est inventée par l’architecte Claude Perret, sorte de grue avec des poulies qui permet de la poser, le 27 décembre 1713. Elle resta moins d’un siècle à cet endroit : détruite en 1792, la légende veut qu’elle ait été transformée en boulets de canon. Celle que nous connaissons aujourd’hui fut inaugurée en 1825.

La Statue équestre de Napoléon Ier place Napoléon, P0546 SA 15-13, Collection Bibliothèque municipale de Lyon

La statue de Napoléon

En 1852, une autre statue équestre est connue à Lyon, celle de Napoléon, place Carnot – 4,65 mètres de haut, sur un piédestal de 5,80 mètres, surplombant les allégories de la Loi et de la Force qui font chacune 2,20 mètres. En 1870, avec la fin du Second Empire, la statue est détruite. Les deux allégories sont installées au palais de justice des 24 colonnes. Une autre statue prend sa place à Carnot, celle de la République.

Pose de la première pierre du Palais du commerce, 15PH1 453,
Archives municipales de Lyon

Le cadran solaire géant

Au xviiie siècle, Lyon cède à une nouvelle mode : les méridiennes géantes, ces instruments qui permettent de marquer précisément le midi solaire. De 1765 à 1770, la ville fait construire une grande colonne place des Cordeliers. À son sommet, on retrouve une statue d’Uranie, emplacement tout trouvé puisque c’est la muse de l’astronomie. La Revue du Lyonnais de 1863 en fournit une description précise : “Le style fixé dans la main de la statue d’Uranie se terminait par une plaque percée qui, à chaque midi vrai, venait coïncider avec la méridienne de la colonne.

Cette colonne faisait plus de 20 mètres de haut, dans le style dorique. Lors de la révolte des canuts de 1834, elle devient un point important à capturer et les insurgés la tiennent pendant plusieurs jours. Le 9 avril 1849, pour rendre hommage à cette révolte, la colonne est recouverte de drap noir et des drapeaux tricolores la pavoisent pendant qu’une cérémonie est organisée à son pied. Avec les affres du temps, d’autant que la statue est parfois utilisée comme support, la tête d’Uranie se détache, au milieu du XIXe, pour se briser sur le sol. Selon certaines sources, l’incident se serait déroulé ce même 9 avril, alors qu’un drapeau rouge y était attaché. Pour La Revue du Lyonnais, “la chute de la tête d’Uranie était d’un triste augure pour la colonne, condamnée d’avance in petto par les régénérateurs contemporains”. En 1858, la colonne fut détruite, tout comme le reste de la statue, qui n’avait plus de tête depuis neuf ans.

Les halles, 4FI 1388, Archives municipales de Lyon

Les anciennes halles

Au milieu du XVIIIe siècle, les “mères” dominent la gastronomie à Lyon. La révolution industrielle marque la multiplication des restaurants et des métiers de bouche. Lyon veut réunir en un seul lieu toutes les matières premières. En 1859, les halles des Cordeliers sont inaugurées. Plus de trois cents espaces permettent à autant de commerçants de proposer leurs produits aux restaurateurs comme aux particuliers. Elles seront détruites en 1971, laissant leur place à un parking et un immeuble, alors qu’ouvrent les nouvelles halles du cours Lafayette.

Le Passage de l'Hôtel-Dieu, au début du XXe siècle, P0546 SA 07-12, Collection Bibliothèque municipale de Lyon

La galerie marchande de l’Hôtel-Dieu

Il n’a pas fallu attendre la nouvelle vie du Grand Hôtel-Dieu en 2018 pour voir apparaître des commerces dans cet édifice. En effet, dès le xviiie siècle, des boutiques étaient installées sur le quai de l’Hôpital (actuel quai Jules-Courmont) et entre le vestibule d’entrée au rez-de-chaussée et à l’entresol. Les revenus étaient utilisés pour faciliter l’accès aux soins des plus pauvres, jusqu’au milieu du xxe siècle. On y trouvait également une boucherie, qui servait d’abattoir et évacuait ses déchets directement dans le Rhône, immense égout à ciel ouvert ; son odeur pestilentielle et sa tendance à attirer les chiens errants de la ville conduisirent à sa fermeture au milieu du XIXe. Vint alors le joyau de ces lieux, “le passage”, là encore une mode architecturale que suivra Lyon. Sous une grande verrière, cette galerie de 126 mètres était l’un des endroits les plus prisés de la Presqu’île, où l’on trouvait bijoutiers, horlogers, graveurs, opticiens… Il fut détruit en 1959 et remplacé par un immeuble.

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