Le parking des Célestins © Nadège Druzkowski

Les secrets du patrimoine lyonnais : audaces postmodernes et nouvelles libertés architecturales 

Au cours des années 1980, dans une période économique favorable, naît une architecture aux formes plus libres, audacieuses. L’émergence du postmodernisme, en réaction aux idées du Mouvement moderne, marque une période de transition vers une architecture intégrant désormais les principes environnementaux dans un contexte de densification des villes.


Repères : le postmodernisme

Mouvement architectural né en réaction au style moderne ou international au fonctionnalisme jugé austère, le postmodernisme se développe à partir du milieu des années 1970 aux États-Unis, en Europe et au Japon.

En 1977, Charles Jencks publie Le Langage de l’architecture postmoderne, c’est l’une des toutes premières utilisations du mot. Au “less is more” du moderniste Mies van der Rohe, Robert Venturi, l’un des instigateurs du postmodernisme, vient répondre “less is a bore*”.

Le postmodernisme privilégie les formes courbées, les éléments décoratifs, les couleurs vives (avec une attention particulière pour la façade), l’asymétrie, l’humour, l’ironie et les références aux styles du passé.

Ce courant d’expression a trouvé son terrain privilégié dans les villes nouvelles, comme Marne-la-Vallée, avec les espaces d’Abraxas, de Ricardo Bofill (1978-83), ou encore dans les villes de loisirs, tel le Strip de Las Vegas.

Si Lyon n’est pas doté de grands ensembles, comme le quartier Antigone, à Montpellier, de nombreux exemples ponctuent la ville et sa métropole.

*Moins c’est ennuyeux.


Édifices postmodernes

Le parking des Célestins

Construit en 1995 par Michel Targe en collaboration avec l’artiste Daniel Buren, ce parking souterrain mêle l’utilitaire au plaisir des yeux.

En plaçant au fond du parking un miroir incliné et tournant, Buren le transforme en œuvre d’art, aux allures de palais italien. La descente en spirale est rythmée d’arcades en béton, rappelant le puits de Saint-Patrice d’époque Renaissance, à Orvieto, en Italie centrale.

À l’extérieur, un périscope faisant face au théâtre des Célestins livre une image fascinante mais brouillant tous les repères.


Villeurbanne

Le Parhélion (ancien Septen)

© Nadège Druzkowski

Réhabilité en 2020, ce bâtiment postmoderne accueillit de 1984 à 2017 le Septen, la division nucléaire d’EDF, dont il prit le nom.

Cette construction innovante, tant dans sa conception architecturale que dans son organisation spatiale, a été réalisée par la mise en commun de deux conceptions d’agences : celles de l’architecte parisien Claude Parent et des architectes urbanistes villeurbannais Gimbert et Vergély.

Les architectes s’accordèrent sur la création d’un immeuble carré organisé autour d’un vaste patio éclairé par un plafond de verre avec une circulation interne hélicoïdale.

© Nadège Druzkowski

On y retrouve le système de plans inclinés, cher à l’architecte Claude Parent dans sa réflexion sur la “fonction oblique”, qui permet de passer aisément d’un étage à l’autre, contrairement aux plans horizontaux et verticaux.


Lyon 7e

Le River Side (ancien Jet Services, puis TNT)

© Nadège Druzkowski

Ce cube vitré oblique coiffé d’une énorme arche a été réalisé en 1995 par les architectes Gimbert et Vergély.

L’architecture joue ici le rôle de signal publicitaire, les automobilistes qui arrivent à Lyon depuis le Sud par l’A7 ne manquent pas d’être frappés par cette imposante silhouette décalée.


Entretien

“Le postmodernisme est Une architecture incertaine, en controverse et maniériste”

Rencontre avec Pierre Jourdan, architecte DPLG et historien

Lyon Capitale : Quelles sont les caractéristiques du postmodernisme ?

Pierre Jourdan : Originaire des États-Unis, le postmodernisme, à Lyon, marque principalement les années 1980-2000. Les architectes souhaitent désormais se démarquer du modernisme auquel ils ont été formés, sans renoncer à cette sensibilité.

Ce mouvement est un retour aux codes de l’architecture classique, mais il vient en manipuler les concordances, dans une relation souvent incompréhensible entre la forme et le contenu.

La composition classique des façades, à savoir soubassement, étagement, couronnement, est réintroduite, avec débauche, aux éléments décoratifs, de façon exubérante, hétéroclite et déconnectée. C’est une architecture incertaine, en controverse et surtout maniériste.

Peut-on faire le parallèle avec d’autres époques ?

Pour moi, le postmodernisme a été un moment d’articulation, de transition, nécessaire aux architectes pour se réinventer. On peut dresser un parallèle avec l’Art nouveau, un style de courte durée mais embrassé par les grandes villes et capitales européennes à la fin du XIXe, début du XXe siècle.

L’Art nouveau, vers 1900, permettait de rompre avec l’académisme des styles. Né en contre-réaction au modernisme, le postmodernisme joue un rôle similaire et peut se lire comme une période de réconciliation avec l’histoire et un besoin de langage sensible et populaire.

Trouve-t-on des exemples d’architecture postmoderne dans l’ensemble de la ville ? 

Chaque secteur de Lyon qui libère du foncier à construire est caractéristique de son temps. On trouve des exemples d’infrastructures publiques postmodernes comme la précédente gare de la Part-Dieu, qui vient d’être démolie.

Mais il faut aussi comprendre que 80 à 90 % de l’architecture qui produit l’identité urbaine est de l’architecture privée et surtout domestique.

Ainsi, de nombreux arrondissements comptent des bureaux, des hôtels (tels les établissements Mercure à Gerland et Monplaisir), mais surtout des immeubles de logements (par exemple au 48, rue Garibaldi ou encore au 59-69, boulevard des Canuts) caractéristiques de cette période.

Comment cette architecture est-elle perçue aujourd’hui ?

C’est une architecture que l’on n’hésite pas à démolir ou à “réarchitecturer”, tant elle nous paraît encore étrange, incompréhensible et formellement sensationnelle.

C’est le cas du siège du Crédit Agricole à Champagne-au-Mont-d’Or, totalement revisité. Un édifice doit tenir debout et être construit de façon à résister au temps et aux agressions du climat et de la ville. Il y a eu parfois des essais hasardeux, des fantaisies et des gaucheries calculées, et beaucoup de ces bâtiments vieillissent mal.

Mais la raison principale est sans doute que la ville, tout comme l’architecture, est en train de se réinventer sur elle-même. Les priorités sont différentes et nous obligent à une architecture plus raisonnée.

48, rue Garibaldi (Lyon 6e) © Hugo Laubepin
Contraste des styles Cours Émile Zola, à Villeurbanne © Nadège Druzkowski

Lyon 1er

L’immeuble Le César, place Tolozan

© Nadège Druzkowski

Inauguré en grande pompe en 1992, l’immeuble doit son nom à la sculpture de César Baldaccini qui figure au pied de la construction. Réalisé par l’agence SUD, avec son toit en pointe de diamant et son parement en verre courbe, il emprunte au style postmoderne.


Nouvelles libertés architecturales 

Focus : dynamisme et singularité des agences lyonnaises

L’émergence du terme postmodernisme signifiant que le Mouvement moderne est désormais entré dans l’histoire et derrière nous (post) ne marque pas pour autant la fin des idées du Mouvement moderne.

Ainsi, Mario Botta se revendique comme un disciple du Corbusier ! Et si la production des années 1980-2000 est marquée par un courant postmoderne, nombre d’architectes tracent leur propre route (la Cité internationale de Renzo Piano qui prend forme à partir de 1984 n’a rien de postmoderne) tandis que des agences lyonnaises émergent et s’inscrivent, chacune à leur manière, dans notre temps.

Le concours pour l’École d’architecture de Lyon (1982-87) est remporté par l’agence lyonnaise Jourda-Perraudin face à des candidats parfois prestigieux. La structure de l’école, aux lignes épurées, est construite autour d’un axe central “la rue”.

Son architecture est à la fois contemporaine et intemporelle. C’est également au duo Jourda-Perraudin que l’on doit la Cité scolaire internationale (1992), la station de métro de Parilly, avec ses piliers de béton inclinés, rappelant la torsion des colonnes de Gaudí, du parc Güell de Barcelone ou encore Les Libellules, colonnes signalétiques pour les entrées du métro de la ligne D.

Spécialiste des démarches environnementales engagées, l’agence Tectoniques, avec deux bureaux, à Lyon et Bordeaux, réalise de nombreuses constructions en bois.

D’autres architectes, tel Raphaël Pistilli, livrent des bâtiments aux formes audacieuses, parfois empreintes d’une touche d’humour.


Vaulx-en-Velin

L’École d’architecture de Lyon  

© Laurence Danière

Selon les souhaits du couple d’architectes Françoise-Hélène Jourda et Gilles Perraudin, l’école, expression de différents matériaux – béton armé, bois et verre –, offre à voir une véritable pédagogie de la construction (1982-87).

La rue couverte de l’École d’architecture de Lyon © Laurence Danière
L’ancienne maison de Jourda-Perraudin, à Vaise. Construite en 1987 en bois, elle est protégée par une toiture indépendante en toile, tendue sur une structure arborescente métallique © Georges Fessy

Une skyline dominée par le béton et le verre

© Nadège Druzkowski

Lyon Part-Dieu est devenu en quarante ans le deuxième pôle tertiaire français. La construction, depuis les années 1990, de nouvelles tours densifie la physionomie de la ville tout en témoignant de sa vitalité et de son intention d’affirmer sa position européenne et internationale.

Le verre se taille une place de choix dans ces nouvelles constructions. Selon Jean-Marie Charpentier et Didier-Noël Petit, auteurs de la tour Oxygène (2010), à qui l’on doit également l’opéra de Shanghai, le verre transparent vise à lui impartir “un caractère cristallin et particulièrement lumineux”.

La dernière en date, la tour To-Lyon de Dominique Perrault, privilégie, elle, le verre teinté, ne laissant pénétrer aucun rayonnement.


Lyon 2e

Le Nouveau Grand Bazar des Cordeliers

© Nadège Druzkowski

Construit par l’architecte franco-italien Jean-Pierre Buffi associé à Philippe de Fouchier, le Nouveau Grand Bazar de Lyon construit en 2004-2007 est un exemple d’intégration d’une architecture de verre dans un tissu urbain ancien.


Le verre : symbole d’immatérialité

Le Quartz à Villeurbanne © Nadège Druzkowski

Si le béton, au cours des décennies précédentes, était le signe de la modernité, le verre occupe depuis 2000 une place de choix dans l’architecture tertiaire. Les progrès techniques ont multiplié ses possibilités d’utilisation, variant du verre transparent au verre sablé, gravé, en miroir ou noir…

Son aspect immatériel en fait "un symbole de virtualité, reflet de notre temps", selon l'auteur Jacques Beaufort. On retrouve ces différentes formes pour l’immeuble Le Quartz, à Villeurbanne, le Grand Bazar des Cordeliers, l’hôpital Saint-Joseph-Saint-Luc, avec sa façade recouverte d’une peau colorée, la médiathèque de Vénissieux ou encore les récentes tours de la Part-Dieu.


Audaces des formes

Maison de l’emploi (1999), de Raphaël Pistilli, à Villeurbanne. Ces bâtiments, aux formes très libres, emploient des matériaux composites pour des façades légères. Les petites fenêtres rondes sont… des hublots de machines à laver ! © Nadège Druzkowski
Médiathèque de Vaise © BM de Lyon

Exprimant jusqu’alors le plus souvent le plan du bâtiment qu’elles habillent, les façades adoptent aujourd’hui des formes audacieuses.

Traitées comme des enveloppes, sortes de “peaux”, œuvrant comme un fard venant embellir le bâtiment, Lyon se pare d’étonnantes façades telles celles de la médiathèque de Vaise et du Cube Orange, à la Confluence, avec ses écrans en aluminium perforés et thermolaqués.


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