La mise en examen survient après l'audition, mardi 18 octobre, du président de la filiale française du groupe au pôle santé publique du tribunal judiciaire de Marseille.
Cinq ans après le début de l'enquête, c'est une nouvelle étape dans le volet pénal de l'affaire dite du Levothyrox, un médicament utilisé dans certains troubles de la thyroïde et commercialisé par le laboratoire Merck, filiale française du groupe allemand Merck KGaA dont le si. À la suite d'un changement dans sa formule survenu en 2017, le produit avait été accusé d'être à l'origine de nombreux effets secondaires.
Après avoir auditionné hier le président de Merck France au tribunal judiciaire de Marseille, le juge d'instruction a décidé mardi 18 octobre 2022 de mettre en examen pour "tromperie aggravée" le laboratoire pharmaceutique, comme celui-ci l'a indiqué dans un communiqué. Une décision motivée, selon l'entreprise, par les "modalités d'information mises en place au moment de la transition de l'ancienne à la nouvelle formule en 2017". Merck précise vouloir "apporter toute précision nécessaire afin de faire établir qu’aucune infraction pénale, de quelque nature que ce soit, n’a été commise". Et ajoute que sa mise en examen "ne concerne en aucun cas la qualité de la nouvelle formule du Levothyrox".
"L’enquête pénale menée par le TGI de Marseille, après expertise judiciaire, confirme à ce stade que les données scientifiques avaient été cachées aux patients." a commenté Gérard Bapt, médecin conseil de l'Association française des malades de la thyroïde, dans un communiqué publié sur le site de l'association. "Les centaines de milliers de victimes, en 2017 et 2018, d’effets indésirables plus ou moins graves, n’ont pas souffert d’une « crise médiatique » ou « d’hystérie ». Il est consternant de constater aujourd’hui que le laboratoire Merck, l’Agence de Sécurité du Médicament (l’ANSM) ainsi que le ministère se soient enfermés dans un déni qui a aggravé les tourments de très nombreux patients."
Dizaines de milliers de patients concernés
Pour rappel, l'affaire remonte à mars 2017, lorsque le laboratoire met sur le marché une nouvelle formule du Levothyrox, médicament alors utilisé par 3 millions de personnes environ en France. Dans l'objectif de rendre sa concentration plus stable, élément important pour garantir son efficacité, Merck en a modifié certains excipients sans changer le principe actif, à savoir la lévothyroxine.
Très vite, des milliers de patients se plaignent du nouveau médicament, signalant des effets secondaires plus ou moins graves, en particulier des insomnies, des maux de têtes, des crampes, des pertes de cheveux et des vertiges. Une pétition est alors signée par 170 000 personnes pour que le laboratoire revienne à l'ancienne formule.
La justice est saisie, et le pôle de santé publique du tribunal judiciaire de Marseille se voit confier une enquête préliminaire, sa compétence allant jusqu'à Lyon, où le siège social de l'entreprise est perquisitionné le 3 octobre 2017, au lendemain de la remise sur le marché – en nombre limité – de l'ancien Levothyrox.
Deux actions judiciaires parallèles
Au civil, une première action collective est lancée à l'automne , qui aboutit finalement en mars 2022 à la condamnation définitive du laboratoire à indemniser de 1000€ 3300 patients. La Cour de Cassation, confirmant un arrêt de la Cour d'Appel en 2020, avait alors estimé que "lorsque la composition d'un médicament change et que cette évolution de formule n'est pas signalée explicitement dans la notice, le fabriquant et l'exploitant peuvent se voir reprocher un défaut d'information".
Au pénal, l'information judiciaire contre X est ouverte en mars 2018 à Marseille "pour tromperie aggravée, blessures involontaires et mise en danger de la vie d’autrui", auxquelles est ajouté l'"homicide involontaire" en novembre. Quatre ans et de mi plus tard, la mise en examen pour "tromperie aggravée" de ce 18 octobre 2022 marque donc l'étape suivante dans le volet pénal de l'affaire.
L'association française des malades de la thyroïde (AFMT) a notamment dénoncé des anomalies dans la composition de la nouvelle formule ainsi que que la présence de nanoparticules de métal. De son côté, Merck qui a toujours démenti une quelconque anomalie, avec le soutien de l'ANSM, annonce en juillet 2018 la commercialisation de la nouvelle formule dans 21 pays de l'UE, fort d'un avis positif des instances européennes. Depuis cinq ans, le laboratoire n'a pas cessé de vendre cette seconde formule, encore utilisée aujourd'hui par 2,5 millions de personnes en France, selon Merck. Quand seules 100 000 personnes sont traitées avec l'ancienne formule – qui devrait disparaître du marché fin 2022.
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