Cédric Fériel, agrégé d'histoire, revient sur l'idée de ville piétonne, plébiscitée ou condamnée, tient aujourd'hui une place majeure dans les discours politiques et médiatiques sur la ville contemporaine.
Projet phare de la majorité écologiste à la tête de la Métropole et de la Ville de Lyon, l’“Apaisement de la Presqu’île”, qui prévoit une piétonnisation d’une grande partie du cœur de Lyon, interroge, au-delà de faire consensus, la question de son attractivité, sur fond de risque d’évoluer en Vieux-Lyon bis.
"Je pense qu’il n’y a pas de “sens de l’histoire”. Cela va plutôt dans le sens des aspirations des sociétés, ou du moins des débats sur une ville plus agréable à vivre. Chaque période trouve son meilleur compromis dans la place de l’automobile en ville." Agrégé d’histoire, Cédric Fériel est maître de conférences en histoire contemporaine à l’université Rennes 2. Il est l’auteur de La Ville piétonne, Une autre histoire urbaine du xxe siècle ?, Paris, Éditions de la Sorbonne, “Histoire environnementale”, 2022, 314 p.
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Lyon Capitale : En quoi la ville piétonne est-elle un sujet d’histoire ?
Cédric Fériel : C’est un sujet d’histoire car il dit la manière dont les sociétés investissent la ville et se représentent la vie urbaine. Plutôt que l’opération même de piétonnisation, ce sont les discours et les représentations qu’on mobilise autour de ce type de projet qui m’intéressent. C’est de l’histoire sociale : pour qui est faite la ville ? Comment doit-on y vivre ? Qui en décide ?
Quelles différences de discours autour de la piétonnisation y a-t-il entre les premières réflexions du XXe siècle et celles d’aujourd’hui ?
Le discours autour de la ville automobile et de la ville piétonne émerge à partir des années 30, en renouvelant un autre discours qui existait déjà au XIXe siècle entre la ville industrielle et mécanique, un peu inhumaine, et l’idéal d’une ville harmonieuse et à visage humain. L’opposition automobile/piéton rejoue et incarne de manière immédiatement compréhensible les enjeux. D’un côté une modernité fonctionnelle, peut-être très individualiste aussi, dans laquelle chacun est enfermé dans sa voiture, de l’autre une modernité à visage plus humain qui valorise la rencontre, ou l’urbanité, comme on dit aujourd’hui. C’est un peu le point commun de tous les discours depuis les années 30 jusqu’à aujourd’hui. La ville pour le piéton, c’est toujours la promesse d’une ville heureuse. La différence porte, en quelque sorte, sur la manière de se représenter cette ville heureuse. Dans les années 50-60, on estime que ce sont les centres-villes qui sont en crise. La piétonnisation va être une manière de retrouver une centralité. On crée alors des centres piétonniers. Dans les années 80, au moment où on parle de crise urbaine, de crise des banlieues, de crise de l’urbanité, la réponse est un peu différente : la piétonnisation se rapproche du thème de “l’espace public”, qui ne doit pas être limité au centre seul, et doit faire émerger la rencontre entre les différents habitants. Et depuis le début des années 2000, le débat se déplace encore. On parle de ville marchable, de marchabilité, de marche en ville, avec un focus sur la santé notamment mais aussi sur les mobilités.
“Si aujourd’hui les projets de piétonnisation ont une ambition spatiale plus forte que dans les années 60, c’est aussi parce que les sociétés sont en mesure d’accepter ce type de projets”
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