Benjamin Stora, historien spécialiste du Maghreb, est en conférence à Vaulx-en-Velin à l’occasion du 60e anniversaire de la signature des accords d’Évian. (Photo by JOEL SAGET / AFP)

Lyon : 60 ans après la fin de la guerre d'Algérie, "il faut espérer de nouveaux gestes en commun"

À l'occasion de la commémoration des 60 ans des accords d’Évian, Benjamin Stora fait étape dans la Métropole de Lyon, ce jeudi 24 mars, pour une conférence sur la mémoire de la guerre d’Algérie. Lyon Capitale a pu s'entretenir avec l'historien spécialiste du Maghreb et auteur d'un rapport sur ces questions mémorielles.

LYON CAPITALE. Vous êtes à Vaulx-en-Velin, ce jeudi 24 mars, pour une conférence sur la mémoire de la guerre d'Algérie dans le cadre de la commémoration du 60e anniversaire de la signature des accords d'Évian, le 18 mars 1962. À quoi cette date fait référence pour les Français de cette époque ? A-t-elle eu la même portée en Algérie ? 

BENJAMIN STORA. Il faut savoir que plus de 400 000 soldats étaient en Algérie. Pour les familles françaises, qui avaient des parents en Algérie, c'était donc une date très importante. Par contre, elle l'était moins pour ceux qui étaient opposés à l'indépendance de l'Algérie, comme c'était le cas avec les pieds-noirs. Quant aux Algériens, ils étaient très méfiants, sur leurs gardes, car ils ne connaissaient pas le contenu de ces accords. La date la plus importante pour eux c'est celle de l'indépendance de l'Algérie (juillet 62).

Soixante ans après les accords, est-il toujours difficile pour les héritiers de cette histoire d'aborder ce passé trouble ? La parole s'est-elle libérée ?  

Oui, énormément de travaux ont été réalisés, des livres ont été publiés et des recherches ont été entreprises. Il faut aussi comprendre que le temps a passé, beaucoup de gens sont décédés. En 1962 les soldats qui avaient entre 20 et 25 ans sont désormais âgés de 80 à 85 ans. Pour ce qui concerne les acteurs de ce conflit, certains sont encore vivants mais ne sont pas dans les mêmes dispositions pour témoigner que dans les années 70, où régnait une grande indifférence dans la société française. Une indifférence due au fait que la France était dans les Trente Glorieuses, moment où la société voulait oublier la guerre. Beaucoup de choses sont sorties maintenant : des témoignages, des biographies, des autobiographies... Qui ne viennent pas uniquement des soldats, mais aussi des pieds-noirs ou encore des enfants de harkis, qui ont entre 60 et 65 ans aujourd'hui. C'est surtout cette génération-là, celle des enfants, qui est concernée par les accords d'Évian. Voire même celle des petits-enfants qui sont à la recherche de leurs origines et qui sont les fils de cette histoire. Ce sont surtout ces deuxième et troisième générations qui restent intéressées par cette histoire de l'Algérie.

Cette indifférence vis-à-vis de la guerre, aperçue dans les années 70, a-t-elle été déterminante pour les relations actuelles entre les deux pays  ?

C'est plus complexe que cela. Les relations entre les deux pays ont été essentiellement économiques pendant très longtemps. L'Algérie était un partenaire économique de la France, notamment sur les questions du gaz et du pétrole. Les questions mémorielles sont, elles, plus récentes. Elles datent d'une vingtaine d'années seulement et n'étaient pas décisives avant cette période. Elles sont devenues importantes lorsque les groupes de mémoire s'en sont emparées et les ont portées sur le devant de la place publique. Elles n'étaient donc pas déterminantes avant, et les relations qui dominaient se résumaient à des rapports purement économiques entre un État à un autre. Et pour aborder la question mémorielle du côté de l'Algérie, il faut d'abord déterminer la mémoire dont on parle. Car la mémoire française est composite, contradictoire, loin d'être unanime. Cela dépend des groupes de mémoire, des enfants de harkis, des enfants d'immigrés ou des enfants de soldats. Tous ont des points de vues différents et une façon de voir l'histoire complexe.

Vous êtes l'auteur d'un rapport sur les questions mémorielles commandé par l'Élysée et remis au président de la République en janvier 2021. Il est même devenu un livre, sous le titre France-Algérie. Les passions douloureuses. Depuis le début de son quinquennat, Emmanuel Macron axe son discours autour de l'apaisement et de la reconnaissance. Cela peut-il favoriser le dialogue entre Paris et Alger ? 

Le dialogue a toujours été maintenu et n'a jamais cessé. Il y a des hauts et des bas c'est sûr, mais la question est de savoir si des gestes en commun sont envisageables. Et il ne faut pas désespérer à ce niveau-là, il peut y avoir des initiatives communes qui peuvent être prises sur les archives, les disparus, ou encore des gestes de reconnaissances réciproques. C'est sur ces points concrets qu'il faut travailler pour que le discours s'apaise. De nouvelles archives ont d'ailleurs été ouvertes avant mon rapport, on peut par exemple avoir accès à des archives de surveillance ou de sureté. C'est un pas en avant qui a été rendu possible par les historiens qui travaillent depuis longtemps sur la question mémorielle. Bien sûr, il reste encore beaucoup de choses à faire et à chercher. Mais il faut aussi être outillé pour cela. Il faut que des chercheurs puissent aller consulter ces archives. La véritable difficulté réside dans le fait de savoir ce que l'on cherche. Quelles sont les problématiques à mettre en oeuvre  ?  Dans mon rapport, j'ai proposé également de se pencher sur les essais nucléaires réalisés en Algérie et de leurs conséquences. Je propose d'améliorer l'entretien des cimetières européens en Algérie, de rédiger un guide des disparus pendant la guerre.

 

France-Algérie. Les passions douloureuses, par Benjamin Stora, Albin Michel, 2021. (Capture d'écran)

 


La mairie de Vaulx-en-Velin accueille, ce jeudi 24 mars, l'historien Benjamin Stora pour une conférence qui se déroulera à la médiathèque Léonard-de-Vinci. Elle a lieu à 18 heures 30. 

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