(Photo by WANG ZHAO / AFP)

Lyon : après la crise sanitaire, celle du "tout plastique"

La crise sanitaire liée à la Covid-19 a impacté nos modes de consommation, entrainant le retour du "tout emballage" et du plastique à usage unique. Comment, à Lyon, cette consommation s’est traduite ? Quels effets sur nos environnements ? Comment concilier hygiène, en pleine crise sanitaire, et réduction des déchets ?

Le 8 avril dernier, l’EuPC (lobby européen des transformateurs de plastique) a adressé à la Commission européenne une lettre demandant le report de la directive SUP sur le plastique à usage unique, interdisant la distribution de certains produits dès 2021. Aux États-Unis, un autre lobby de la plasturgie a demandé au département de Santé américain une dérogation pour autoriser la commercialisation des sacs en plastique à usage unique, par mesure de "prévention sanitaire".

En France, Elipso, association des fabricants d’emballages plastiques, a indiqué le 26 mai dernier que la demande de plastique a bondi de 30% la première semaine de quarantaine dans l’hexagone. Un chiffre qui s’est stabilisé à 15% à partir de mi-avril. La présidente d’Elipso, Françoise Andres, indique même : "l’emballage garantit un effet barrière, c’est la première protection des produits. La préservation des conditions sanitaires est aujourd’hui encore plus qu’hier primordiale".

Comment, à Lyon, cette augmentation du plastique s’est traduite ? Quels effets sur nos modes de consommation ? Et sur l’environnement ?

Le "tout-jetable", nouveau synonyme de propreté ?

L’hygiène est le principal argument des industriels de la plasturgie : ce matériau, quasiment non dégradable, ne porterait que très peu de temps la Covid-19 sur ses surfaces, en plus d’être jetable. Une analyse qui a été infirmée par des chercheurs de l’université de Hong Kong le 2 avril 2020 dans The Lancet. Leur étude a en effet permis d’analyser le temps de survie du virus SARS-CoV-2 sur différentes surfaces comme le papier, la soie, le bois… et le plastique. D’après les chercheurs, la Covid-19 peut survivre jusqu’à sept jours sur certaines surfaces plastiques et en acier inoxydable.

Moins d’ordures certes, mais aussi moins de tri

La métropole Grand Lyon avance que la quantité d’ordures ménagères globale a diminué de 8% pendant le confinement. Cela peut s’expliquer par une diminution de l’activité économique et du tourisme. Ce taux est, depuis le déconfinement, revenu à la normale.

Pour autant, la métropole note également l’augmentation des erreurs de tri malgré la simplification des consignes depuis janvier 2020 : "on retrouve beaucoup de textiles, de déchets électriques et électroniques, de déchets dangereux et de masques… dans la poubelle de collecte sélective". Grand Lyon indique également : "beaucoup d’incivilités sont constatées depuis la fin du confinement, avec notamment des dépôts de déchets au sol dans l’espace public. La métropole a, par exemple, dû ajouter des bacs roulants, en complément des dispositifs existants, sur les Berges du Rhône".

À Lyon, l’association Zéro Déchet a alerté la métropole par courrier dès le 14 mai, alors sous l’égide de David Kimelfeld : "L’association a fait le constat inquiétant de l’absence d’accompagnements ou de propositions alternatives au "tout-jetable" sur la Métropole de Lyon dans la gestion du déconfinement". L’association craint en effet le recours systématique au "tout jetable", notamment dans la restauration rapide ou à emporter. L’organisme a reçu une réponse début juillet"dans une lettre peu engageante qui validait nos constatations certes, mais sans proposer de plans d'actions" affirme Claire Dulière, porte-parole de l'association.

Le masque : nouvel outil phare de notre vie quotidienne

Le port du masque est obligatoire dans les espaces publics clos. Nouveau produit phare de notre quotidien, l'association Zéro Déchet Lyon appelle à l’utilisation de masques en tissu : "le "tout jetable" n'est en rien une solution hygiénique. Le masque lavable fonctionne très bien face au virus".

En juin dernier, des dizaines de millions de masques lavables fabriqués en France étaient restés invendus malgré la mobilisation de toute la filière textile pendant le confinement. D’après la secrétaire d’État à l’Économie Agnès Pannier-Runacher le 8 juin dernier, "10% des entreprises françaises se retrouvent avec des stocks (de masque) sur les bras".

La problématique des microplastiques

Fabriqués essentiellement en Chine, les masques jetables contiennent des particules fines de plastique qui risquent de dégrader nos environnements. En effet, lorsqu’un masque est jeté à terre, celui-ci finit régulièrement sa course dans les eaux usées qui, lorsque les tuyaux sont saturés, débordent et déversent lingettes désinfectantes et autres produits hygiéniques dans les fleuves.

À Lyon, les équipes de surveillance des eaux usées de la métropole interviennent plus régulièrement depuis la crise sanitaire. L’association Zéro Déchet note ainsi, tous les lundis après-midi, l’intervention des services de propreté dans les égouts du 9e arrondissement, bouchés toutes les semaines par des centaines de lingettes usagées.

Ces effets ont pour conséquence de polluer durablement les cours d’eau de produits additifs néfastes ou encore de substances issues du pétrole, toutes présentes dans les plastiques. D’après le dernier rapport de l’Agence de l’eau Rhône-Méditerranée Corse (juillet 2020), les eaux de la région Auvergne-Rhône-Alpes sont polluées par 120 substances micropolluantes ayant pour conséquence une baisse de reproduction des poissons. Le plastique est une des causes de ces pollutions.

Observations du Rhône depuis 2019

De plus, la fondation Tara Océan indique avoir retrouvé "systématiquement" des masques et gants dans les eaux de sept fleuves européens, dont le Rhône en juin 2020. Ces constats concluent une étude sur les microplastiques lancée par la fondation en mai 2019 sur neuf des plus grands fleuves européens (Tamise, Elbe, Loire, Seine, Ebre, Rhin, Tibre, Garonne… et Rhône), en collaboration avec 17 laboratoires et les chercheurs du CNRS. D’après Romy Hetinger, responsable de coopération internationale de Tara, 80% des déchets plastiques retrouvés en mer viennent de "terre". Les fleuves sont les principaux affluents des déchets macro et micro plastiques. Des microplastiques qui représentent 90% des morceaux de plastiques flottant à la surface des océans. Dans le cadre de cette étude, 100% des prélèvements d’eau effectués dans les neuf fleuves contenaient des microplastiques.

Autre constat alarmant, l’étude a montré que ces microplastiques pouvaient également accumuler à leur surface des polluants déjà présents dans les fleuves. D’après les conclusions de Tara : "Si nous savons déjà que certaines matières plastiques relarguent leurs additifs (notamment des perturbateurs endocriniens comme les bisphénols A et les phtalates), certains plastiques "témoins" se sont aussi révélés être des "éponges à polluants". Charriées vers l’océan, les particules plastiques vont accumuler à leur surface des polluants présents dans les fleuves (pesticides, hydrocarbures, métaux lourds…) et avoir des effets toxiques sur les organismes qui les ingèrent, ralentissant leur croissance, leur reproduction, en perturbant leur métabolisme et leur système hormonal.". C’est notamment le cas des moules, qui filtrent chaque jour entre 20 et 25 litres d’eau de mer : l'analyse de ces mollusques, sentinelles de l'étude, a démontré leur pollution par des substances micropolluantes. Tara s’inquiète ainsi des conséquences de la crise sanitaire et de la consommation de masques chirurgicaux sur les faunes et flores aquatiques.

Quelles alternatives ?

Une des solutions invoquées par le gouvernement serait d’amender le jet de masque, gant, lingette, mégot et tout type d’ordure dans la nature à hauteur de 135€ minimum contre 68€ actuellement. L’amende pourrait monter jusqu’à 375€, voire 750€ si la police établit un procès-verbal et le transmet au tribunal.

De son côté, le ministre de la Santé Olivier Véran a annoncé, mercredi 22 juillet, la distribution gratuite de 40 millions de masques en tissu lavables trente fois aux sept millions de Français les plus précaires et ayant un profil santé "à risque". Cette mesure, en plus de valoriser les masques réemployables, vient répondre à un constat alarmant : d’après l’UFC Que Choisir, une famille de quatre personnes dépense environ 200 euros par mois pour se fournir en masque (essentiellement chirurgicaux).

La crise du "tout jetable" semble ainsi avoir succédé à la crise sanitaire. Toutes deux engendrent des prises de conscience et des réponses politiques variées. Mais aussi des effets environnementaux contraires : tandis que la première a fait diminuer la pollution atmosphérique, l’autre voit augmenter le nombre de masques, lingettes et emballages plastiques usagés jetés et les risques d’une écotoxicité globalisée.

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