La banderole « L’antifascisme n’est pas un crime » déployée devant le tribunal, où 7 militants antifascistes étaient jugés pour violences jeudi 4 novembre. Photo : Marie Allenou

Lyon : au procès des antifascistes, la politique s'invite au tribunal, reportage

Jeudi 4 novembre, le tribunal a prononcé des relaxes et des amendes contre sept militants antifascistes accusés de violences. Entre débats politiques et procédure boiteuse, récit d'une audience de neuf heures.

Explosion de joie au tribunal judiciaire. "Lyon, Lyon, Antifa" retentit dans la 16ème chambre, entre larmes, poings levés et applaudissements. La présidente vient de relaxer trois des militants antifascistes jugés pour violences sans Incapacité temporaire de travail, et de prononcer seulement des amendes pour les autres. Il leur était reproché d'avoir frappé des militants du groupe catholique intégriste Civitas lors d'une bagarre durant une manifestation.

Au-delà de la satisfaction, ce procès était le symbole, aux yeux des militants antifascistes lyonnais d'un double standard dans le traitement judiciaire entre les antifascistes et l'extrême-droite à Lyon. Récit d'un ubuesque procès de neuf heures jeudi 4 novembre, où les vices de procédure, les propos politiques et l'absence de parties civiles ont marqué l'audience.

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Les accusés versus le procureur

Bien rempli, le banc des accusés accueille sept hommes : Léo B., Mehdi B., Ahmed D., Axel F., Mehdi H., Hugo Q., et Tonino S. Trois d'entre eux, sont de l'autre côté d'une paroi de plexiglas, encadrés d'une escorte policière. Ils étaient en détention depuis fin septembre. Leurs profils sont variés : de 22 à 55 ans, pompier, étudiant en droit, travailleur de la restauration, chauffeur poids lourd, éducateur spécialisé, en invalidité... Une partie d'entre eux à quelques inscriptions au casier judiciaire : outrage, rébellion, possession d'une bombe au poivre, d'un fumigène, consommation de drogue.

Ce qui les réunit, c'est leur engagement politique. Ils n'ont cessé de le revendiquer : ils se positionnent contre le "fascisme", le "racisme", "l'antisémitisme", "l'homophobie", le pass sanitaire "mais pas la vaccination". Marqués à la gauche de la gauche, ils sont proches de l'antifascisme. Il leur est reproché d'avoir commis des violences en réunion sans Incapacité temporaire de travail sur des membres du groupe d'extrême-droite Civitas, proche du catholicisme intégriste. Ils sont aussi accusés de participation à un groupement en vue de commettre des violences.

Le tribunal judiciaire de Lyon, dans le 3e arrondissement. @WilliamPham

En face, le banc des parties civiles est vide. Car dans ce procès il n'y a pas de victimes. Elles sont non-identifiées. C'est le procureur de la République qui s'est auto-saisi de l'affaire quelques jours après les faits, suite à une enquête d'un commissaire de la Brigade de répression des cambriolages. Des policiers avaient le contact d'un D.B, membre de Civitas, qui a indiqué que les militants concernés refusaient de témoigner ou de déposer plainte. C'est donc seul que le procureur a fait face aux sept accusés.

Une bagarre...

Samedi 28 août 2021, deux manifestations se tiennent à Lyon contre le pass sanitaire. L'une, organisée par l'extrême-gauche et les gilets jaunes, a lieu place Sathonay. L'autre, plus proche de la droite et de collectifs covid-sceptiques, se tient entre l'hôpital Edouard Herriot et Bellecour. Vers 17h30, une bagarre éclate rue Sala entre manifestants.

Axel F. est le premier à témoigner. "Je ne me suis pas rendu à la deuxième manifestation car elle était complotiste. Je suis allé manifester avec mes deux petites sœurs et tout se passait bien". Sa voix se brise, seul moment où le militant va flancher. Il dit avoir repéré des membres de Civitas à leur stickers, arborés à la poitrine et parle de l'antisémitisme de cette organisation. "Ces personnes n'ont pas à revendiquer ces idées. Ils n'ont pas le droit d'être là", amorce-t-il. Des propos qui lui seront reprochés par la présidente. "Je leur ai demandé de partir. Ils ont rigolé, j'ai arraché le sticker. Ils m'ont attrapé par les bras, l'un a armé son poing. (...) Il m'a donné un coup de poing que j'ai esquivé, puis un coup de pied et un coup de poing. Je lui ai donné un coup de pied dans les fesses", détaille Axel F., interrogé par la présidente, Brigitte Vernay.

"Il y a peut-être eu un acte 1, mais là, on vous voit arriver d'un pas bien décidé. On voit que vous vous jetez sur lui", soulève la présidente, qui pointe des captures d'une vidéo de caméra de surveillance. L'ancien pompier reconnaît avoir porté des coups et s'être débattu, mais seulement pour se défendre.

Les affiches annonçant un rassemblement de soutien organisé jeudi 4 novembre devant le tribunal pour les sept antifascistes inculpés pour violences en réunion sans ITT. Photo : Marie Allenou

Léo B. donnera la même version. Le visage cerclé de lunette dorée, une petite boucle d'oreille et un pull bleu marine, il se tient bien droit devant la présidente. "Je repère un groupe de personnes qui dit "qui?", "qui", sous-entendu les juifs. Je suis de famille juive et de résistants, entendre ce slogan c'est intolérable", soutient-il, avec colère."Je n'ai donné qu'un coup de pied car je cherchais à le repousser", reconnaît-il. Son air de bon élève lui a valu un œil plus bienveillant de la présidente, qu'elle n'a pas semblé accorder aux autres accusés.

Ce contexte de bagarre et de coups mutuels est appuyé par tous les prévenus. Ahmed D., turcophone assisté d'une interprète, est accusé d'avoir donné un coup de pied. "Des personnes m'ont frappé, qu'est-ce que je peux faire ?", s'indigne-t-il. "J'ai vu des personnes qui frappaient des femmes et des gamins de 20 ans. Je l'ai juste touché mais je n'ai pas mis de coups", explique Mehdi B., accusé d'avoir ceinturé une des victimes. Plus gauche, Tonino S., 55 ans, dans le box vitré, tente de s'expliquer : "Je n'ai fait que me défendre. Je lui ai mis une patate. (...) Je suis broché de tout le côté gauche, me bagarrer ce n'est pas trop mon délire".

À chaque mention de bagarre, la juge Brigitte Vernay rétorque : ce n'est pas dans le dossier. Car la juge s'appuie sur une seule des deux pièces vidéos : des captures d'écran d'un extrait d'une poignée de minutes de vidéosurveillance. Il montre la fin de la scène avant que les protagonistes se dispersent.

... ou un déferlement de violences ?

Après la longue audition des prévenus, vient le moment pour le procureur de s'exprimer. La vidéosurveillance constitue l'essentiel de son argumentaire. "Cette scène frappe les esprits. (...) Tous ont participé de manière incontestable à ce déchaînement de violence. Peut-on justifier de telles violences par un motif politique ?", interroge-t-il.

Il tente de montrer sur les photos que les antifascistes se sont jetés sur une des victimes. Il montre un mouvement de la gauche vers la droite, partant de la chaussée pour se diriger vers le trottoir où se trouvent les trois victimes non-identifiées. L'un d'elle finit au sol. "Elle a reçu quatre coups de pied et de multiples coup de poing", détaille-t-il. Pour lui, les violences sont incontestablement unilatérales.


"Tous ont participé de manière incontestable à ce déchaînement de violence. Peut-on justifier de telles violences par un motif politique ?", interroge le procureur de la République.


"Vous êtes opposés à l'homophobie, le racisme, l'antisémitisme, la loi aussi !", s'exclame le procureur. À ces mots, s'élève dans la salle un rire moqueur. Bondée, la 16ème chambre réunit les familles des accusés et une cinquantaine de soutiens. La présidente demande le calme. "La loi est là pour assurer un développement pacifique des éléments qui composent sa société", conclut le représentant du ministère public.

Il requiert des peines de prison allant de 2 mois avec sursis à 2 ans dont un an avec sursis, et des interdictions de manifestation pour trois des prévenus. Dans la salle, certaines familles s'effondrent. "C'est un délire", s'indigne le père d'Axel F., qui risque deux ans d'emprisonnement dont 1 avec sursis. "C'est un procès politique. Le procureur protège l'extrême-droite à Lyon", conclut-il avant de sortir de la salle d'audience alors que la séance est suspendue.

Couacs dans la procédure

Si la présidente s’appuie uniquement sur des photographies de la vidéosurveillance, c'est qu'elle ne peut pas diffuser la vidéo originale. Elle a fait venir le scellé n°1 à l'audience. Devant toute la salle, l'écran affiche un message rouge : "le média ne peut pas être ouvert". Les avocats s'interrogent : d'où vient la vidéo qui leur a été transmise, si la vidéo des scellés ne fonctionne pas ? La cour se contente donc de captures.

Et la tâche ne va pas se faciliter pour la présidente, qui hérite d'un dossier où les enquêteurs ont commis plusieurs erreurs. Me Forray, avocat de la défense, commence par plaider pour la nullité de plusieurs pièces du dossier, notamment la vidéosurveillance, la géolocalisation et les perquisitions. "Les enquêteurs ont observé la géolocalisation sur des périodes du 14 au 20 septembre sans un mot de motivation", souligne-t-il, alors que les faits se sont déroulés le 28 août. Il parle "d'atteinte à la liberté et l'intimité".

L'essentiel de sa plaidoirie se concentre sur la vidéosurveillance. Le 30 août, un commissaire met en place une enquête d'office sur l'affaire. Il demande au Centre de supervision de Lyon de lui fournir des vidéos de caméra de surveillance. Or, il n'en informera le ministère public, c'est-à-dire le procureur, que trois jours plus tard, le 2 septembre. La loi l'oblige pourtant à l'en informer sans délais. "S'il y a nullité, alors ce dossier on le prend et on le jette car il n'y a plus rien", conclut Me Forray. Pour ces deux outils, la géolocalisation et la vidéosurveillance, la présidente a retenu la nullité à la fin de l'audience.

Avant d'avoir connaissance de cette décision, les avocats ont plaidé sur le fond. Ils tentent de faire reconnaître que la vidéo de quelques minutes ne présente qu'une vision partielle de la vérité. Ils s'appuient sur une seconde pièce du dossier, une vidéo issue de Twitter qui montre la même scène d'un autre point de vue et plus longuement. On y voit des militants de Civitas, en chemise blanche et veste grise, donner des coups, tout comme certains des accusés.

"On ne sait pas comment cette bagarre commence, on nous demande de regarder ce dossier d'un œil fermé. (...) Il y a une exploitation partielle et partiale de ces images", plaide Me Bouquin. En ligne de mire des avocats : les enquêteurs. Ils les accusent d'avoir volontairement masqué une partie du dossier et de l'avoir présenté à la cour sous un jour qui met en cause uniquement les militants antifascistes. "Cette procédure ne fait pas honneur à la justice. (...) Vous n'avez aucune plainte, et aucun jour d'ITT. Les victimes ne se considèrent pas comme telles. Leur anonymat, ce privilège qui leur a été fait, nous prive de débats équitables", soutient Me Fabregue. Tous les avocats demandent la relaxe.

Le procès de l'antifascisme

"Et vos autocollants !", assène la présidente à Mehdi B. "Et les vidéos et photos à contenu antifascistes qu'on a retrouvé dans votre téléphone !", poursuit-elle. Elle brandit une plaquette d'autocollants qu'on devine être des autocollants antifascistes. Durant toute l'audience, la présidente a cherché chez les accusés des signes de leur adhésion à l'antifascisme, notamment au Groupe antifasciste Lyon et environs. Elle pointe des livres sur le sujet retrouvés chez Hugo Q., les autocollants retrouvés chez plusieurs des prévenus. "Parce que ce sont des fachos on peut utiliser la violence ?", s'insurge la présidente.

Une dimension politique dont n'ont pas manqué de se saisir les avocats de la défense. "L'idée de l'antifascisme, c'est interdit nulle part. Ce n'est pas un danger pour la démocratie. On est tous antifascistes, évidemment. C'est dans notre constitution de 1946", soutient Me Bouquin. Elle veut attirer l'attention de la présidente sur un "glissement de l'enquête". "On a l'impression que les enquêteurs cherchent des antifascistes", dénonce-t-elle.

Par contraste, les avocats tentent de montrer la dangerosité du mouvement Civitas. "Civitas polluait les manifestations d'antisémitisme, à tel point que la Licra s'est saisie", souligne Me Bouquin. Elle fait référence à un tweet du 11 août du mouvement Civitas qui incite les manifestants à utiliser le slogan antisémite "Qui?". "C'est Civitas qui vient provoquer la violence", ajoute-t-elle, évoquant le début de la bagarre.

Alors que l'ambiance est lourde, une pointe d'humour vient détendre l'atmosphère. Me Monzat avoue posséder des autocollants antifascistes chez elle, récupérés en manifestation. "Si vous devez poursuivre Me Monzat pour ces autocollants, je la défendrai, parce que c'est moi qui lui ai donné !", renchérit Me Forray.

Dernier à parler, l'avocat livre une longue plaidoirie de plus d'une demi-heure. Il dit vouloir faire preuve de "pédagogie" et revient sur le contexte local, notamment de ce qui est reproché la justice lyonnaise. "Pourquoi l'égalité devant la loi n'existe pas que vous soyez antifa ou d'extrême-droite ? C'est un problème lyonnais !", s'indigne-t-il.

Il énumère plusieurs affaires dans laquelle il défend des parties-civiles contre des militants l'extrême droite, l'attaque de la Plume Noire, de la Pinte Douce, de radio Canut, et où les enquêtes sont au point mort. Il évoque aussi la réouverture en septembre 2021 de la Traboule et l'Agogé, ancien locaux de l'association d'extrême-droite Génération Identitaire, dissoute. Un lourd silence plane dans la salle à la fin de plaidoirie, alors qu'il est plus de 21 heures et que l'audience est suspendue pendant près de 1h30.

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Les soutiens des 7 militants antifascistes jugés le 4 novembre 2021. Photo : Marie Allenou

De faibles peines malgré les réquisitions

La reconnaissance de la nullité par la présidente des preuves apportées par la caméra de surveillance et par la géolocalisation a évincé de nombreux éléments du dossier. Alors que certains risquaient plusieurs années de prison, ce sont seulement des contraventions de 4e classe qui ont été données à quatre prévenus.
Tous ont été relaxés de l'accusation de groupement en vue de commettre des violences, car la volonté de commettre des violences n'a pas pu être prouvée. Trois ont été relaxés des faits de violences, et la réunion n'a pas été retenue. Axel F., Léo B., Tonino S. et Mehdi H. ont été reconnus coupables de violences sans ITT, la réunion n'a également pas été retenue. Ils écopent d'une contravention de 4e classe, avec une amende de 300 euros.
C'est finalement pour des faits totalement éloignés des violences que des peines de prison avec sursis sont tombées. L'un est reconnu coupable de ne pas avoir fourni son ADN : 1 mois de prison avec sursis. Un autre est reconnu coupable de ne pas avoir fourni son code de téléphone : 1 mois de prison avec sursis. Tous deux avaient été condamnés à une contravention de 4ème classe. 
À la sortie de l'audience, les prévenus retrouvent leurs soutiens. Ils les ont attendus, neuf heures durant devant le tribunal. Certains se dirigeront ensuite devant la prison de Villefranche-sur-Saône pour assister à la sortie de l'un des prévenus, libre et allégé de 300 euros.

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