En une matinée ce jeudi, le cardinal Barbarin a été condamné à 6 mois de prison avec sursis, pour ne pas avoir dénoncé à la justice les faits d’agression sexuelle sur mineur de 15 ans commis par le père Preynat, et a annoncé qu’il allait proposer sa démission au pape François. Le dénouement de trois ans d’enquête judiciaire, d’articles de presse, de documentaires, et même d’une fiction pour ce que tout le monde appelle : “l’affaire Barbarin”.
L’ambiance était paisible ce matin dans la salle C du tribunal de grande instance de Lyon. En arrivant peu avant 9 heures, toutes les parties affichaient “leur confiance”. Le cardinal n’était pas là. Seul Thierry Brac de La Perrière était présent du côté des personnes citées. En face, François Deveaux, Pierre-Emmanuel Germain-Thill, Laurent Duverger et Didier Burdet sont venus.
Début janvier, les victimes du père Preynat avaient remporté une première victoire : exposer au monde ce qu’elles ont subi et pointer du doigt les inconséquences de l’Église ; des fautes pénales, selon eux. “Fautes de gestion”, répondaient les avocats du cardinal. La deuxième victoire devait avoir lieu le 7 mars.
“Les faits sont constitués”
Pourtant, du côté des parties civiles, peu envisagent une condamnation ce jeudi. Tous attendent les motivations du jugement, anticipant une prescription des faits. À 9h40, une main apparaît à droite de la salle, dans l’entrebâillement de la porte. Celle de la juge Brigitte Vernay, dont la direction des débats a été saluée par l’ensemble des parties en janvier. La salle l’aperçoit. Le silence se fait et l’ambiance se tend. Chacun retourne à sa place. La sonnette retentit quand la juge et ses deux assesseurs entrent. Son allocution est concise. Après avoir rappelé les articles du Code pénal concernés, elle entre dans le vif du sujet.
“Concernant le cardinal, les faits antérieurs à 2010 ne sont pas constitués”, débute-t-elle. Son ton est calme, mais sa voix un peu plus hésitante que ce qu’elle avait laissé voir jusque-là.
“En 2010, l’infraction de non-dénonciation d’agression sexuelle sur mineur est constituée, mais prescrite”, poursuit la juge. Les gens se regardent. La magistrate vient d’affirmer que le cardinal Barbarin était au courant dès 2010 – le 31 mars de cette année-là il reçoit le père Preynat et lui demande si des enfants ont été “abîmés” depuis 1990.
“Pour les faits de 2014, l’infraction est constituée”, conclut Brigitte Vernay sans en dire plus.
“Philippe Barbarin a fait le choix en conscience, pour préserver l’institution à laquelle il appartient”
Les avocats du cardinal ont l’air hagards. La juge vient de condamner leur client à 6 mois de prison avec sursis. Elle se base sur les faits de 2014, quand Alexandre Hezez sollicite le cardinal (le 17 juillet) puis à plusieurs reprises par la suite jusqu’en 2015. “Jamais le cardinal Barbarin ne manifestait un quelconque doute à l’égard de ces informations”, écrit le tribunal dans son jugement. Les juges reprochent ce manque “d’initiative à saisir la justice” alors que “la lutte contre la pédophilie était déjà bien développée au sein de l’Église catholique comme en témoignent les principes arrêtés par le pape affichant une “tolérance zéro”, ceux énoncés par la Conférence des évêques dès 2003 (…) et de la condamnation d’un évêché par le tribunal correctionnel de Caen en 2001”. Ainsi, selon la décision, “une dénonciation adressée au procureur de la République pouvait tout à fait contenir les mêmes informations que celles transmises à Rome”, en 2014 quand le cardinal décide de solliciter l’avis de la hiérarchie de l’Église après cinq mois d’insistance d’Alexandre Hezez.
“Alors même que ses fonctions lui donnaient accès à toutes les informations et qu’il avait la capacité de les analyser et les communiquer utilement, Philippe Barbarin a fait le choix en conscience, pour préserver l’institution à laquelle il appartient, de ne pas les transmettre à la justice. (…) il a préféré prendre le risque d’empêcher la découverte de très nombreuses victimes d’abus sexuels par la justice et d’interdire l’expression de leur douleur”, conclut le jugement à propos du cardinal.
“Ici, on est sur terre”
“Cette décision est historique”, se félicite à la sortie Emmanuelle Haziza, l’avocate de Pierre-Emmanuel Germain-Thill. Les parties civiles s’enlacent. Une des victimes reçoit un SMS de félicitation de François Ozon, le réalisateur de Grâce à Dieu. “C’est un signal fort qui dit que personne n’est au-dessus des lois, parce que la justice divine n’est pas la même que celle des hommes. Ici, on est sur terre”, se réjouit François Devaux. Pour le fondateur de La Parole libérée, “c’est aussi un message très fort envers la protection de l’enfance et pour les victimes. Aujourd’hui, on peut dire qu’elles sont entendues”.
Il est 10 heures. Dans la salle des pas perdus, Jean-Félix Luciani et André Soulier sortent devant le mur de caméras qui les attend. Me Soulier dénonce “une décision vide et indigeste pour donner satisfaction à l’opinion publique”. Son confrère lui emboîte le pas. “Il était difficile pour le tribunal de résister à une telle pression avec des documentaires, un film. Ça pose de vraies questions sur le respect de la justice”, déplore-t-il. Le ténor du barreau lyonnais se dit “inquiet” après cette décision : “Cela revient à dire que quand quelqu’un de majeur en pleine possession de ses moyens viendra se confier à vous parce qu’il a vraisemblablement confiance, il faudra toujours dénoncer. Moi, je crois en la liberté des hommes et des femmes de le faire eux-mêmes”.
Philippe Barbarin est le seul à avoir été condamné. Les cinq autres personnes citées sont relaxées. Selon les juges Thierry Brac de La Perrière aurait dû dénoncer les faits rapportés par Laurent Duverger en 2011, mais même si l’infraction est constituée ces faits sont prescrits. Pour les autres, Pierre Durieux, Régine Maire, Xavier Grillon et Maurice Gardès, les faits de non-dénonciation ne sont pas constitués, estiment les magistrats.
30 secondes avant Rome
Condamné, le cardinal peut-il rester dans ses fonctions pastorales ? Les victimes du père Preynat demandent rapidement son départ. “Il semble évident que le cardinal Barbarin ne peut continuer à occuper son poste”, déclare François Devaux. Pierre-Emmanuel Germain-Thill demande lui au pape d’appliquer “la tolérance zéro” en “défroquant” le cardinal Barbarin, comme il l’a fait en février avec l’ex-cardinal américain Theodore McCarrick, accusé d’abus sexuels. “Le plus haut responsable en France a été condamné. S’il n’y a pas de prise de conscience après ça, je ne vois pas ce qui pourrait le faire”, ajoute-t-il.
Quelques minutes plus tard, la nouvelle tombe : le cardinal organise une conférence de presse à 13 heures au diocèse. Sur place, devant un fond bleu frappé d’une croix blanche, Philippe Barbarin semble touché. Son intervention est lapidaire. À peine trente petites secondes durant lesquelles le primat des Gaules déclare “prendre acte” de la décision du tribunal et annonce qu’il a décidé d’aller voir le Saint-Père pour lui remettre sa démission. “Indépendamment de mon sort personnel, je tiens à redire d’abord ma compassion pour les victimes et leur place qu’elles gardent ainsi que leurs familles dans mes prières”, a-t-il ajouté. Le rendez-vous avec le pape François aura lieu dans quelques jours. Le cardinal Barbarin a dix jours pour faire appel. Si la procédure judiciaire peut encore durer longtemps, ce jeudi, l’histoire s’est accélérée.