Dans quel domaine notre ville a-t-elle été précurseure ? De quelles manières s’est-elle affirmée comme un centre d’innovations scientifiques mondiales, de vitalité économique, de création artistique ou d’avancées sociétales ? À l’occasion de son trentième anniversaire, Lyon Capitale propose une rubrique en partenariat avec les Archives municipales de Lyon.
15 octobre - 3 décembre 1983 : la Marche pour l’égalité et contre le racisme. Après les affrontements opposant des jeunes des Minguettes à Vénissieux et des policiers, une marche est initiée par deux figures lyonnaises, le prêtre Christian Delorme et le pasteur Jean Costil pour dire stop au racisme et à la violence !
Durant l’été 1983, des affrontements violents ont opposé des jeunes du quartier des Minguettes à Vénissieux et des policiers au cours desquels Toumi Djaïdja, le jeune président de l’association SOS Avenir Minguettes, est grièvement blessé par un policier. Cette même année, la France est marquée par les meurtres racistes de plusieurs jeunes Maghrébins dont Toufik Ouanes, âgé de moins de 10 ans, à La Courneuve. La Marche pour l’égalité et contre le racisme est ainsi initiée par le prêtre Christian Delorme et le pasteur Jean Costil avec des groupes de jeunes et Toumi Djaïdja, l’objectif étant de dire stop à la violence policière et au racisme. Partie de Marseille le 15 octobre 1983 avec cinquante étapes, elle fait escale à Lyon le 29 octobre place Bellecour pour arriver le 3 décembre place de la Bastille à Paris, accueillie par 100 000 personnes.
Un prête et un pasteur lyonnais engagés
Les affrontements de 1983 ont été précédés par une politique d’immigration durcie dès 1974, avec également en 1980 la loi Bonnet – du nom du ministre de l’Intérieur – qui accroît les possibilités de refoulement des étrangers et l’expulsion de jeunes issus de l’immigration acteurs de délits. Une loi que François Mitterrand supprime après son élection en mai 1981, régularisant par la suite 130 000 étrangers en situation irrégulière et facilitant le regroupement familial. Très impliqués dans ce contexte, Christian Delorme, ordonné prêtre à Saint-Fons et membre de la Cimade (association œuvrant pour l’accueil de migrants et réfugiés) et le pasteur Jean Costil (1942-2020) qui en était le délégué général à Lyon avaient mené – soutenus par Mitterrand – une grève de la faim de 29 jours en avril 1981 pour protester contre les expulsions. “Après cela, nous dit Christian Delorme, on a bénéficié d’une aura dans les banlieues lyonnaises, même si je connaissais déjà beaucoup de jeunes. J’avais l’image d’un grand frère solidaire avec qui on peut parler notamment aux Minguettes, mais il n’y avait pas une seule banlieue de France qui n’était pas concernée par cette problématique et les tensions et le racisme ont perduré. Réfléchissant à des actions non violentes suite à l’été 83, j’ai pensé aux marches de Martin Luther King et Gandhi. Il faut rappeler que la revendication de départ, c’était de dire : stop aux violences, arrêtez de nous tirer dessus ! On n’est pas loin de la fin de la guerre d’Algérie, il y a encore des ressentiments, des groupes qui sont liés à l’ancienne OAS et à l’époque, il y a beaucoup de meurtres racistes de la part de la police mais aussi d’autres individus.” Ainsi lancée, la marche part de Marseille et non pas de Lyon pour trois raisons : la première parce que la majorité des parents de nombreux marcheurs étaient arrivés en France par Marseille en bateau, il s’agissait de refaire leur parcours migratoire et de leur rendre hommage. D’autre part, plusieurs assassinats de jeunes ont eu lieu à Marseille dans les mois précédents, dont celui d’un jeune gitan au quartier de la Cayolle devenu le point de départ de la manifestation. Enfin cette Marche pour l’égalité se voulant républicaine représentait un symbole très fort en étant portée par les habitants qui entonnaient La Marseillaise.
De la place Bellecour à la place de la Bastille noire de monde
Un jour de pluie, le 29 octobre 1983, plusieurs cortèges d’autres cités (Saint-Fons, Bron, Givors, Vaulx-en-Velin…) se rejoignent au quartier Monmousseau des Minguettes pour se diriger vers la place Bellecour, formant un groupe de 4 000 personnes. Le 3 décembre, les marcheurs arrivent place de la Bastille à Paris, noire de monde. C’est un choc pour eux de voir 100 000 personnes les attendre. Soutenue et applaudie partout où elle passait, la marche a eu un énorme retentissement à travers la France, favorisant la conjonction entre ces jeunes qui commencent à s’organiser et les mouvements de solidarité, les syndicats, le parti socialiste unifié, la Ligue des droits de l’Homme, les groupes chrétiens et protestants, rejoints par les personnalités politiques tels François Mitterrand, Jack Lang, Georgina Dufoix, Huguette Bouchardeau… Elle révèle, de manière ostentatoire, à la société une réalité que celle-ci ne voulait pas voir, à savoir qu’avec la mutation des populations, le pays est désormais composé de personnes issues de l’ancien empire colonial français. L’autre revendication de cette marche qui n’était pas celle des jeunes des quartiers – car tous avaient la nationalité française – émanait des mouvements de solidarité qui réclamaient l’obtention d’une carte de séjour de dix ans renouvelable pour tous les étrangers. C’était une promesse électorale de François Mitterrand tombée dans l’oubli et obtenue par la suite tout comme le durcissement des peines pour les auteurs de crimes racistes. “Il y a aussi une chose à ne pas oublier,rappelle ChristianDelorme, c’est que parmi les groupes de marcheurs, il y avait des filles. Elles vivaient cette marche comme un moment de libération personnelle, elles ont réussi à s’imposer car dans les familles maghrébines, on ne laisse pas partir les filles comme cela. Elles ont apporté à la fois de la douceur et de l’énergie et ce n’était pas un cliché. C’était très important pour elles, libérateur pour la suite de leur vie…”
Conférence : Lyon, capitale des banlieues ?
Avec Djida Tazdaït, ancienne députée européenne, fondatrice de l’association Zaama d’banlieue et des Jeunes arabes de Lyon et banlieue. En présence du Père Christian Delorme, prêtre catholique du diocèse de Lyon, Jacques Delorme, ancien marcheur de 1983 et Yvette Bailly, membre du MAN Lyon.
Le 4 décembre 2024 aux Archives municipales de Lyon