En 2022, 797 auteurs de violences conjugales ont été déférés devant le parquet de Lyon immédiatement après leur garde à vue. C'est quatre fois plus qu'en 2019. Appuyée par les associations, la justice a pris le sujet des violences conjugales à bras-le-corps, toutefois, du chemin reste à parcourir.
"Nous avons collectivement accompli un grand travail, mais il reste encore à faire." En visite dans les locaux de l'association Viffil SOS Femmes à l'occasion de la journée internationale des droits des femmes, la préfète de région Fabienne Buccio a félicité les associations, les collectivités et l'autorité judiciaire, représentée par le procureur de la République de Lyon, Nicolas Jacquet qui l'accompagnait, pour le travail effectué dans la lutte contre les violences faites aux femmes. Tout en rappelant l'évidence : il faut faire toujours mieux.
"Ce n'est pas pour rien que l'on réclame le milliard d'euros. L'argent, c'est le nerf de la guerre."
Catherine Heranney, directrice adjoint du Centre d'information sur les droits des femmes et des familles Rhône-Arc Alpin
L'actualité du vendredi 3 mars nous l'a rappelé. En Gironde et dans la Somme, deux femmes, Catherine et Fathia ont été tuées par leur ex-conjoint, portant à 26 le nombre de féminicides depuis le début de l'année selon le décompte du collectif Féminicides par compagnon ou ex. Pourtant, dans ces deux drames, les femmes de 54 et 28 ans avaient toute deux porté plainte contre l'auteur présumé des faits.
Cinq féminicides dans le Rhône en 2022
Dans le Rhône, cinq femmes sont mortes de la main de leur conjoint ou ex-conjoint en 2022, contre deux en 2021. Lundi 6 mars, la première ministre a annoncé la création de pôles dédiés aux violences conjugales dans les tribunaux de France, initiative saluée par le procureur de Lyon. En coopération avec le président du tribunal judiciaire de Lyon, Michaël Janas, une instance réunissant, chaque trimestre, l'ensemble des acteurs engagés sur le sujet avait été créée. Catherine Heranney, juriste et directrice adjointe du Centre d'information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) Rhône-Arc Alpin, forte de 25 ans d'engagement sur le sujet des violences conjugales, le reconnait, "le sujet est devenu une priorité pour tout le monde".
"On est convaincus que c'est par la judiciarisation de la parole que l'on arrivera à faire évoluer les comportements, à sanctionner les auteurs et à protéger les victimes."
Nicolas Jacquet, procureur de la République de Lyon
Pourtant, la justice manque encore de moyens. "Ce n'est pas pour rien que l'on réclame le milliard d'euros. L'argent, c'est le nerf de la guerre", appuie Catherine Heranney. Le CIDFF Rhône-Arc Alpin a ouvert une permanence dédiée aux femmes victimes de violences conjugales dans la métropole de Lyon. Elle fonctionne sur deux piliers : permettre aux femmes d'avoir accès au droit grâce à l'accompagnement de juristes, et les accompagner dans leur autonomie sociale, personnelle et professionnelle. Depuis son ouverture post-Covid, "la permanence fonctionne à plein, on est débordés", confie la directrice adjointe.
Les chiffres clés en 2022
- 104 femmes ont été tuées par le conjoint ou ex-conjoint en France selon une enquête d'Ouest-France
- Dans le Rhône, Cinq femmes ont été victimes d'un féminicide
- 797 auteurs de violences conjugales ont été déférés devant le parquet immédiatement après leur garde-à-vue
- 175 femmes ont bénéficié d'un téléphone grave danger, contre 106 en 2021
- 14 bracelets anti-rapprochement ont été attribués à des auteurs de violences conjugales
Au cours de ce processus d'accompagnement, "de cheminement vers le départ", l'étape du dépôt de plainte est cruciale. Avec la suppression des mains courantes, il est le seul recours possible pour saisir la justice. "On ne force personne à déposer plainte", insiste toutefois Catherine Heranney, d'autant que le parquet de Lyon peut agir sans plainte s'il y a flagrance. La parole elle, se libère, petit à petit. En 2022 dans le Rhône, plus de 6 600 procédures pour des situations de violences intrafamiliales ont été engagées, presque 20 par jour. "Le signe que l'on identifie plus de situations de violences", assure Nicolas Jacquet à Lyon Capitale.
6 600 procédures pour violences intrafamiliales dans le Rhône en 2022
S'il est souvent une étape difficile, le dépôt de plainte reste essentiel "parce que nous sommes convaincus que c'est par la judiciarisation de la parole que l'on arrivera à faire évoluer les comportements, à sanctionner les auteurs et à protéger les victimes, explique le procureur de Lyon. Et d'ajouter : Aujourd'hui, dès lors que l'on a un élément qui permet de penser que l'on est dans une situation de violences conjugales, même s'il n'y a pas de dépôt de plainte, les victimes sont systématiquement orientées vers des associations."
"On a vu une vraie évolution, des policiers nous appellent d'eux même pour faire des points de situation."
Des membre de Viffil SOS Femmes, association d'accompagnement des victimes de violences conjugales
Me Nathalie Martin-Humbert, avocate au barreau de Lyon et spécialisée dans le droit des victimes, note que "La peur d'être mal accueillie au commissariat reste un frein. Toutefois, les femmes sont un peu moins mal reçues grâce à la présence d'un référent". Au commissariat de Villeurbanne, une travailleuse sociale est dédiée à l'accueil des victimes de violences conjugales, "une vraie volonté politique", note Cédric Van Styvendael, le maire de la ville.
Les membres de la Viffil, dont l'astreinte téléphonique permanente est un appui pour les policiers l'assurent : "On a vu une vraie évolution, des policiers nous appellent d'eux même pour faire des points de situation." "Tous sont formés en école, ceux qui ne l'ont pas été à l'école le sont dans leur vie professionnelle et plus de 800 gendarmes ont déjà été formés", insiste la préfète Fabienne Buccio.
"Une politique pénale proactive qui a pour objectif de protéger la victime."
Nicolas Jaquet, procureur de la République de Lyon
Essentielle pour permettre à la justice d'agir, l'étape du dépôt de plainte est aussi une période au cours de laquelle le risque d'acte violent de la part du conjoint est accru. La parquet de Lyon base ainsi son action sur la réactivité pour mieux protéger les victimes. En 2022, 797 auteurs de violences conjugales ont été déférés devant la justice immédiatement à l'issue de leur garde à vue, c'est quatre fois plus qu'en 2019. 328 d'entre eux ont été jugés en comparution immédiate pour les situations les plus graves et 469 placés sous contrôle judiciaire en attente d'un jugement.
La justice main dans la main avec les associations
"La marque d'une politique pénale pro-active qui a pour objectif de protéger la victime. En 2019, on convoquait les gens devant le tribunal, mais on ne les éloignait pas forcément", décrypte Nicolas Jacquet. Là encore, la justice travaille main dans la main avec le secteur associatif et plus précisément l'association Le Mas, qui évalue, avec les autorités, la nécessité ou non d'éloigner la victime de l'auteur des violences.
"Le téléphone grave danger, c'est mieux que rien, mais encore faut-il pouvoir le déclencher. Une de mes clientes a été assassinée alors qu'elle avait le téléphone."
Me Nathalie Martin-Humbert, avocate spécialisée dans la défense des victimes
Plusieurs dispositifs ont ainsi vu le jour pour faire respecter ces mesures d'éloignement. Le téléphone grave danger en premier lieu a vu son utilisation exploser. En 2022, 175 femmes ont bénéficié du dispositif contre 106 en 2021 et 89 en 2020. 28 interventions policières ont été menées sur déclenchement du téléphone. Le bracelet anti-rapprochement, permettant de géolocaliser les auteurs de violences peine à devenir une référence. C'est "un dispositif beaucoup plus lourd souvent mis en œuvre pour les gens qui sortent de détention", précise Nicolas Jacquet. En 2022, 14 bracelets ont été attribués.
La difficulté d'identifier les situations à risque
Enfin, 45 ordonnances de protection ont été délivrées par les juges aux affaires familiales. Me Nathalie Martin-Humbert note toutefois que "le bracelet anti-rapprochement est encore très peu utilisé. Pourtant j'ai quelques dossiers dans lesquels il en faudrait un". L'avocate spécialisée dans le droit des victimes fait le même constat avec l'ordonnance de protection : "J'ai eu tellement d'échecs que je n'ose plus en demander. Il faut bien comprendre que lorsqu'on fait une demande qui est refusée, c'est une nouvelle claque pour la victime qui a engagé des frais pour rien." Constat de semi-échec aussi avec le téléphone grave danger juge la conseil : "C'est mieux que rien, mais encore faut-il pouvoir le déclencher. Une de mes clientes a été assassinée alors qu'elle avait le téléphone."
Reste une grande difficulté : l'identification des situations à risques. Avec plus de 6 000 procédures à traiter par an, les violences intrafamiliales, dont les violences conjugales, représentent un contentieux de masse. Des situations qui impliquent une protection judiciaire, mais aussi une solution d'hébergement d'urgence, un accompagnement pour de potentiels enfants, un soutien psychosocial complet pour la victime. "Il est extrêmement compliqué, dans deux situations où l'auteur a menacé sa compagne, de savoir lequel présente le risque le plus important d'un passage à l'acte, détaille Nicolas Jacquet. Et d'ajouter : C'est tout le travail que nous continuons à mener avec l'ensemble des acteurs."