Depuis le premier confinement, les auto-écoles ont fermé à deux reprises. Les aspirants au précieux sésame de la route se retrouvent confrontés à une file d'attente longue de plusieurs mois, plus d'un an après le début de la crise.
"Dans mon auto-école, actuellement, il y a une vingtaine de personnes qui attendent pour éventuellement pouvoir s'inscrire", explique M. Zargouni, propriétaire de l'auto-école Lacassagne à Lyon (7e). Et l'attente est longue: plus de deux mois pour se voir enseigner ses premières heures de conduite. C'est une durée anormale pour M. Zargouni, un délai créé par la crise sanitaire: "À cause des confinements, j'ai quatre mois de retard !". En France, il faut vingt heures minimum - et la moyenne nationale est bien au dessus - pour pouvoir prétendre passer la pratique, et deux à trois semaines d'attente en temps normal pour réserver une place au centre d'examen, d'après le syndicat des inspecteurs de l'éducation routière UNSA-SANEER.
Les auto-écoles ont fermé leurs portes au mois de mars 2020, comme la majorité des activités commerciales. Lorsqu'elles rouvrent en mai, un immense embouteillage se crée, entre les candidats en attente depuis le début du printemps et les nouveaux postulants. Le chiffre de 350 000 personnes dont l'examen était prévu entre le 16 mars et le 8 juin, date de réouverture des centres, a été annoncé par le ministre de l'Intérieur. Une estimation calculée d'après une moyenne: le nombre d'inspecteurs, multiplié par le nombre de jours, sachant qu'un inspecteur doit faire passer 13 personnes par jour. D'après Maxime Bourgeois, délégué départemental du Rhône de l'UNSA-SANEER et inspecteur, "c'est un chiffre illusoire: Les élèves qui auraient pu être prêts ont perdu leur place, sur les dix premiers jours à peu près, mais les autres n'avaient pas fini leur formation. 90 000 places ont été perdues".
Au mois de novembre, de nouveau, les centres de formation ont dû annuler en masse les heures de conduite prévues. Lors du deuxième confinement, les restrictions étaient quelques peu différentes: les auto-écoles n'avaient pas le droit de donner de leçons, mais elles pouvaient emmener leurs élèves à l'examen. À nouveau, les candidats doivent être décalés, repasser des heures de conduite... Ce qui explique qu'en juillet 2021, la situation ne soit toujours pas réglée.
Des répercussions sur le long terme
"Ce n'est pas la meilleure période pour passer son permis, en tout cas rapidement !", assure Nicola Gibert, chargé de communication chez Marietton. L'entreprise compte huit agences de formation dans la métropole, dont six à Lyon. D'après lui, la crise sanitaire a également eu un impact indirect sur la clientèle des auto-écoles, en favorisant les reconversions professionnelles, donc le passage du permis. "Ça a encouragé beaucoup de monde à tenter l'aventure".
Pour un candidat souhaitant s'inscrire mi-juillet, "la première heure ne sera pas avant fin novembre - début décembre", poursuit Nicola Gibert. Toutes les agences de Marietton affichent complet, comme bon nombre d'auto-écoles lyonnaises. Pour parer à la crise, l'entreprise a accéléré la mise en place de l'apprentissage du code à distance. L'idée avait été initiée avant l'épidémie, mais les imprévus liés aux vagues de contamination ont forcé la main à Marietton. Durant le deuxième confinement, ils ont d'ailleurs choisi de mettre en place des "vidéos pédagogiques", pour réviser l'examen pratique de chez soi, suivies par des appels avec les moniteurs. Cette solution a été utilisée dans d'autres centres de formation.
Face au défilé de candidats, l'offre n'est pas assez conséquente, et les auto-écoles doivent s'adapter. Mohamed Ahmmadi, directeur pédagogique de l'Auto-école du Centre (2e), déclare subir "la pression des candidats, et des parents qui s'y mettent aussi". Les demandes pressantes, pour des raisons professionnelles, académiques ou autre, s'empilent sur le bureau du directeur, qui trie les dossiers. "On tente de faire passer les plus urgents d'abord. Parfois, on demande même des preuves: si un enfant va en prépa à Paris, les parents fournissent un justificatif". Une situation exceptionnelle, qui commence à durer dans le temps. M. Ahmmadi est surpris par la singularité de l'activité: "C'est la première fois qu'on refuse du travail ! Je travaille ici depuis 1985, et je n'ai jamais vu une catastrophe pareille..."
Face à l'enracinement du problème, les candidats s'adaptent
"J'ai recommencé les heures de conduite fin mai, et je l'ai eu le 6 novembre". Comme de nombreux candidats au permis de conduire, Éléna a du attendre la fin du premier confinement, et la reprise des activités, pour se consacrer à la réussite de son examen. Elle avait raté son permis à deux reprises et comptait le repasser en mars 2020, lorsque son organisation est chamboulée par le confinement. Étudiante en sciences politiques, il se passe de longs mois sans qu'elle remonte dans une voiture. En novembre, alors que sa date d'examen est fixée et attendue depuis mai, le deuxième confinement est établi. "Les quatre dernières heures que j'avais prévues juste avant de passer le permis ont été annulées à la dernière minute, mon auto-école m'a remboursé. Mais j'étais encore plus stressée de ne pas pouvoir faire ces heures de préparation juste avant de repasser le permis. "On tente un coup de poker", m'avait dit mon moniteur".
Augustin, lui aussi étudiant à Lyon en école d'ingénierie, a su s'adapter aux imprévus. Après avoir passé son code de la route via une plateforme numérique, il se renseigne sur l'examen pratique en vu de son départ à l'étranger à la rentrée de septembre 2021. "Au début, je m'étais inscrit en octobre pour commencer la semaine intensive en décembre. À cause du confinement, tout a été décalé, mais je m'étais laissé six mois". Ce n'est que trois mois après son inscription qu'il commence ses heures de conduite. "J'ai commencé les leçons en février, j'ai fait une semaine de conduite un peu intensive en stage puis plusieurs stages sur Lyon". Lui aussi a finalement décroché son permis de conduire en mai dernier.
Partie de ping-pong entre auto-écoles et inspecteurs à l'examen
"Tant que le nombre d'inspecteurs n'augmentera pas, il n'y aura pas de changements", affirme M. Ahmmadi, le directeur pédagogique de l'Auto-école du centre. D'après lui, c'est le nombre de places à l'examen qui coince, et qui explique l'origine de l'embouteillage en question.
Pourtant, le délégué du Rhône du syndicat des inspecteurs UNSA-SANEER défend le parti adverse. "Dans le Rhône on est sur 38 inspecteurs, sur un effectif complet normal de 40. Les inspecteurs ont vraiment joué le jeu à la sortie du confinement". Selon Maxime Bourgeois, les 90 000 places reportées durant le premier confinement ont été remises sur le marché par la suite: le Ministère de l'Intérieur avait proposé en 2020 le renouvellement de ces disponibilités en ouvrant des créneaux le samedi.
En 2015, la "loi Macron" a imposé un délai de 45 jours maximum entre deux examens du permis pour un même candidat; passé ce laps de temps, d'autres organismes peuvent faire passer le permis. "Avant le Covid, on était à 42 jours médians entre la première et la deuxième fois; au mois de janvier, on était repassé à 64, et à l'heure actuelle à 60 jours environ. En 2014, quand il y avait véritablement une pénurie de places, on était à 98 jours médians !", indique Maxime Bourgeois. Pour lui, le problème vient du délai de formation; il pointe du doigt des écoles "malhonnêtes" aux enjeux lucratifs, ou le manque de formateurs.
Quoi qu'il en soit, l'attente est longue pour être au volant. Et les candidats ont la place du mort...