Le 8 mars signe la journée internationale des droits des femmes. À Lyon, nombre d'entre elles voient encore leurs droits bafoués. Invisibles car elles se cachent pour survivre, les femmes sans-abris sont des centaines dans notre ville.
Samedi 8 mars marque la journée internationale des droits des femmes. A Lyon, 108 mères isolées, sans compter les femmes seules non recensées, sont à la rue. Chaque jour, elles vivent dans la peur et sont confrontées à des actes de violences et des vols. Des problèmes dont on parle peu, en partie révélés par les quatre sénatrices Agnès Evren, Marie-Laure Phinera-Horth, Olivia Richard et Laurence Rossignol. Ces dernières dévoilaient dans un rapport national alarmant, que 100% des femmes subissaient un viol au bout d'un an à la rue. Des violences sexuelles venant s'ajouter aux problèmes de vols, de manque d'hygiène, de grossesse à risques et autres, subis quotidiennement par ces femmes.
Afin d'aider et de soutenir ces victimes de l'ombre, plusieurs associations s'engagent. A Lyon, c'est le cas du collectif "Solidarité femmes à la rue 69" créé il y a deux ans : "Nous avons décidé de créer ce collectif car nous ressentions un réel besoin auprès des femmes, elles sont de plus en plus nombreuses à la rue", affirme Juliette Murtin, porte-parole de l'association, par ailleurs engagée au sein du collectif Jamais sans toit. "Parmi les 190 familles à la rue recensées par Jamais sans toit, 108 sont des mères isolées seules avec leurs enfants", précise-t-elle. Des femmes dont on remarque peu la présence, qui souvent se cachent pour leur survie : "Elles se déguisent en Mme tout le monde pour ne pas être repérées, pour ne pas se faire agresser", explique la porte-parole de l'association.
A Lyon, comme partout en France, il est impossible d'établir des chiffres exacts concernant le nombre de femmes sans-abris. Un recensement rendu complexe, de par leur volonté d'invisibilité. Très mobiles, certaines soignent leur apparence afin de ne pas être identifiées. D'autres, vont même jusqu'à se déguiser en homme pour ne pas attirer les regards, rapporte le compte rendu des quatre sénatrices.
"L'après-midi la peur commence à s'installer"
Narimène, algérienne de 33 ans, fait partie des ces femmes. Arrivée en France fin 2022 avec ses deux filles alors âgées d'un et quatre ans, elle reste en attente d'un titre de séjour. D'abord hébergées par leur famille et des amis, Narimène et ses deux filles dorment désormais à la rue lorsqu'elles ne trouvent pas d'autre solution : "L'après-midi, la peur commence à s'installer, nous ne savons pas où nous allons dormir et si nous allons être en sécurité" confie la jeune femme. Elle poursuit : "Parfois, nous allons chez une de mes amies qui est hébergée dans un T1, d'autres jours, nous partons aux urgences car on se sent plus en sécurité là-bas que dans la rue." Une peur justifiée par les diverses agressions subies par la jeune femme : "Je me rappelle d'une fois à Carré de Soie (centre commercial de Vaulx-en-Velin, Ndlr), on dormait dans un jardin et un groupe d'alcoolique est venu vers nous et a commencé à nous voler toutes nos affaires. Ce sont des choses qui arrivent souvent", explique-t-elle.
Une autre femme du collectif témoigne anonymement : "Au campement, quand un homme rentre dans la tente d'une femme pour la violer, elle crie et toutes les autres femmes crient avec elle pour le faire fuir." Une autre explique : "Hier, parce que je dors dehors, j'ai été victime de vol, on m'a volé ma carte de l'Ofii (Office français de l'immigration et de l'intégration, Ndlr) . Je ne peux rien faire le temps que l'ofii rétablisse ma situation." Des témoignages alarmants, s'ajoutant à ceux relevés chaque semaine par Juliette Murtin lors des réunions du collectif : "Beaucoup de prédateurs profitent de la situation de ces femmes. La plupart sont en situation irrégulière, sans papier et n'osent pas réagir ou se plaindre auprès de la police", affirme-t-elle. Elle poursuit : "Cela pèse sur leur santé physique et mentale, elles ne dorment jamais, elles veillent toute la nuit, elles ont peur."
Un accès aux droits difficile
Et lorsque ces femmes demandent un logement d'urgence elles font face à une impasse : "Ca fait trois ans que j'ai déposé un dossier à la maison de la veille sociale et à chaque fois on fait des relances mais rien ne bouge, on nous dit qu'il y a plus de demandes que de logements", déplore Narimène. "Lorsqu'on appelle les foyers, ils nous renvoient vers les pompiers et inversement, nous ne savons plus quoi faire. Je comprends que ça soit compliqué, mais un toit c'est un droit", poursuit-elle.
Des demandes rendues d'autant plus difficiles par la récente annonce de "fluidification" des dispositifs d'hébergements d'urgence : "Désormais, avoir un enfant de moins d'un an ne suffit plus pour être placé d'urgence, certaines femmes sortent de la maternité et sont directement remises à la rue" déplore Juliette Murtin. En effet, selon la nouvelle expérimentation mise en place par la préfecture du Rhône, un seul critère de vulnérabilité ne suffit plus à disposer d'un hébergement d'urgence. Pour être logées, les familles doivent donc présenter au minimum deux critères de vulnérabilité : "Pour être logée, une femme qui vient d'accoucher doit, elle ou son enfant, présenter des problèmes de santé". Une décision ayant notamment indigné la fédération départementale du Parti communiste français qui a dénoncé "un numéro de chaises musicales iniques et ignobles entre des êtres humains vulnérables."
Rendre visible et agir
Néanmoins, Juliette Murtin souhaite bien faire changer les choses grâce au collectif. Pour cela, Solidarité femme à la rue repose sur deux axes : visibilité et action. L'objectif, rendre visible la cause de ces femmes de l'ombre à travers des manifestations et des mobilisations. Mais également agir pour la mise à l'abri immédiate de ces femmes.
Pour cela, le collectif organise des actions massives. Comme en 2023, lorsqu'une centaine d'enfants et de mères à la rue s'étaient mobilisés à l'espace Galline de Villeurbanne lors de la biennale de l'hospitalité : "Nous étions restés plusieurs mois et la municipalité avait fini par trouver une solution et reloger les familles car elle avait besoin de la salle", explique Juliette Murtin. Un cas de figure qui ne s'était pas reproduit en mai dernier, lorsque l'association avait tenté de prendre un gymnase du 8e arrondissement. Une évacuation avait alors été ordonnée par la Ville, et réalisée de manière "assez brutale" par les forces de l'ordre. Désormais, certaines femmes du collectif occupent un immeuble de Grand Lyon Habitat situé dans le 9e arrondissement. Un répit éphémère pour ses trente locataires qui devront être remises à la rue à la fin de la trêve hivernale. En attendant, Solidarité femme à la Rue poursuit ses actions et tente de faire entendre son cri d'alerte : "Nous voulons obtenir des solutions", conclut Juliette Murtin. "J'aimerais qu'on prenne en compte notre situation", poursuit Narimène.
Selon le rapport du Sénat de 2024, les femmes sans-abris représentent 40% des personnes sans-domicile en France. Environ 3 000 d'entres elles dorment à la rue. Les autres sont hébergées en centre d'hébergement d'urgence ou en centres pour demandeurs d'asile. Des solutions temporaires et incertaines. Un quart de ces femmes sont issues de l'aide sociale. Tandis qu'un sixième témoigne être à la rue pour fuir un conjoint violent.
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