Les deux incinérateurs de la Métropole de Lyon doivent être renouvelés en 2024 pour un coût compris entre 400 et 600 millions d’euros. Pourquoi cette échéance ? Comment fonctionne la grande machinerie de gestion des déchets de la Métropole ? Quels sont ses coûts écologiques ? Et financiers ? Des solutions alternatives à l’incinération existent-elles ? À l’heure de l’arrivée au pouvoir des verts, la question d’un projet alternatif de gestion des déchets est plus que jamais d’actualité.
La Métropole de Lyon dispose de la compétence de gestion de tous les déchets émis dans ses 59 communes. En 2018, 62% de ses Déchets Ménagers et Assimilés (DMA) – à savoir les ordures ménagères résiduelles, les déchets sélectifs, collectés séparément, en déchèteries ou par le service public – ont été « revalorisés énergétiquement ». Autrement dit, incinérés dans les deux UTVE (Unités de Traitement et de Valorisation Energétique) de Rillieux-la-Pape et Gerland, datant tous deux de l’ère Michel Noir, où la chaleur produite est redistribuée dans les réseaux de chauffage de Rillieux et Villeurbanne.
Deux infrastructures. Deux gestions.
Ces deux infrastructures ne sont pas exploitées par les mêmes organismes : bien que détenues pas la Métropole, seul l’incinérateur de Gerland est exploité par "la régie" de Grand Lyon. Celui de Rillieux-la-Pape dispose d’un statut de délégation de service public auprès de SUEZ Environnement. Ces choix, principalement politiques, permettaient trois effets lors de leur mise en service en 1990. D’abord, une "sécurisation technique" : si une infrastructure dysfonctionne, l’autre prend le relais. Mais aussi une "sécurisation sociale" : si les équipes du service public font grève, celles du privé pourront là aussi prendre en charge les déchets de Gerland. Enfin, c’est une expérimentation financière : l’objet est de comparer les rendements de chaque gestion.
Le problème des « vides-fours »
En 8 ans, de 2010 à 2018, la production de déchets ménagers ou assimilés (DMA) par habitant a diminué de 4,5%, passant de 414,1kg à 395,4kg d‘après le rapport 2018 de la Métropole. Cette diminution creuse, au fil des années, l’écart entre la production de déchets annuelle et les capacités maximales des deux incinérateurs. Or, pour qu’elles soient rentables, ces deux infrastructures doivent fonctionner au plus haut de leurs capacités.
Pour combler ce manque, la Métropole augmente depuis 2014 la part des déchets privés provenant des entreprises. Ainsi, en 2016, près de 396 553 tonnes de déchets ont été incinérés. Sur ce total, 308 326 tonnes provenaient des ordures ménagères. La différence vient essentiellement des collectes privées, des communes du Nouveau Rhône et des refus de tri (objets mal triés et "irrecyclables"). Ainsi, des déchets extérieurs et privés, qui auraient pu être valorisés autrement, viennent compléter la marge manquante pour créer un rendement.
Revalorisation énergétique ne signifie pas propreté
On peut légitimement se questionner sur le devenir des déchets incinérés. Claire Dulière, porte-parole de l’association Zéro Déchet Lyon, insiste : "Ce n’est pas parce qu’on ne les voit plus que les déchets disparaissent : ils ont juste changé d’état physique. Ils sont majoritairement enfouis ou diffusés dans l’air". Il existe ainsi trois déchets principaux issus du processus de valorisation énergétique.
Les mâchefers, déchets solides comparables à des cendres, représentaient en 2016 18,25% du tonnage entrant dans les deux UTVE. Non-dangereux, ils sont utilisés comme sous-couche routière ou enfouis dans des Installations de Stockage de Déchets Non Dangereux (ISDND). En outre, les fumées dégagées traversent des électrofiltres, retenant des particules solides appelées Résidus d’Epuration des Fumées d’Incinération des Ordures Ménagères (REFIOM). Ils représentent 1,75% des déchets entrants et, étant considérés comme dangereux, finissent leur route dans des Installations de Stockage de Déchets Dangereux (ISDD). Enfin, le troisième (et principal) déchet issu de ce procédé se diffuse dans l’air : en termes de tonnage, la pollution atmosphérique est presque égale aux déchets entrants dans l’usine. Parmi les 396 553 tonnes de déchets incinérés en 2016 dans la Métropole, 348 948 tonnes de masse totale avec CO2 ont été rejetées dans l’air. Soit 87,05% de la masse des déchets entrants dans les deux incinérateurs. De plus, en 2016, 216 tonnes de « masse sans CO2 » sont également rejetées, comprenant des matières toxiques comme le cuivre, l’arsenic ou l’oxyde d’azote. Si on fait l’addition de tous ces déchets issus de l’incération, on se rend compte qu’ils représentent près de 110% de la masse entrante. Autrement dit, il y a plus de déchets sortants, que entrants. Cela s’explique par l’ajout d’additifs et de matières secondaires comme l’acide chlorhydrique, la chaux ou la soude dans le processus d’incinération.
Un renouvellement prévu en 2024
Les deux incinérateurs mis en service en 1990 doivent, en 2024, être renouvelés pour correspondre davantage aux "déchets 2020" contenant moins de plastiques et biodéchets qu’il y a 30 ans. En effet, les UTVE actuels font face à une problématique technique de taille : le Pouvoir Calorifique Inférieur (PCI), désignant la quantité de chaleur dégagée lors de la combustion d’une unité de masse (à savoir, les déchets), n’est plus adapté. En 1990, les fours étaient conçus pour un PCI maximum de 2200kWh/t. Aujourd’hui, l’association Zéro Déchets note que, étant donné l’évolution de nos modes de consommation et de gestion des déchets (tri du verre, du carton, du plastique et augmentation des composteurs), les déchets incinérés sont plus "secs" et engendrent une chaleur plus forte. Aujourd’hui, le PCI des deux infrastructures atteint régulièrement le chiffre maximal de 2200kWh/t.
Cette problématique technique entre en confrontation directe avec la loi de Transition Energétique pour la Croissance Verte (TECV) de 2015 qui contraint la Métropole de Lyon à s’engager dans des politiques de tri des déchets et valorisation des biodéchets. D’après Claire Dulière : "la présence de biodéchets composés à 80% d’eau dans les incinérateurs leur permet de réguler le PCI". Cet impératif technique va ainsi à l’encontre de politiques plus vertes de compostage des biodéchets.
Actuellement, la Métropole ne compte qu’une centaine de composteurs publics d’après l’association, qui – si on diminue drastiquement la méthode de revalorisation énergétique par l’incinération – soutient qu’il en faudrait au moins 3000 supplémentaires.
En outre, les coûts et la rentabilité financière des incinérateurs questionnent leur renouvellement. En 2016, la Métropole dépensait 40 millions d’euros pour le bon fonctionnement deux UTVE d’après Zéro Déchet. L’association souligne aussi le coût pharamineux des travaux de transformation en 2024 : la Métropole dépenserait jusqu’à 600 millions d’euros, aux frais du contribuable, pour adapter les deux infrastructures. De quoi faire réfléchir la nouvelle présidence "verte" métropolitaine.
Les ambitions de l’ère Bernard
La ligne politique "écologique" affirmée par la nouvelle Métropole présidée par Bruno Bernard va dans le sens d’une transition des modèles : "Nous ambitionnons de réduire par deux la quantité de déchets incinérés d’ici la fin du mandat (en 2026)". Une des alternatives serait, selon la métropole, "d’augmenter la quantité de déchets recyclés et communiquer aux bons gestes de tri". Claire Dulière souligne l’incohérence écologique du recyclage qui relèverait plus du "greenwashing" que d’une véritable mesure environnementale : "il faut faire tomber le mythe de la solution "recyclage". C’est dans l’intérêt de tout le monde de voir au-delà de ce qu’on nous a vendu comme solution".
Recyclage : quelles réalités ?
La question du recyclage soulève des contradictions souvent méconnues. Outre des coûts exorbitants, toutes les matières plastiques ne peuvent être recyclées et, quand elles le sont, la valorisation ne se limite qu’à une ou deux transformations au maximum. En cela, la qualité des produits recyclés n’est pas optimale et nécessite souvent l’utilisation d’autres matières, substances chimiques et plastiques neufs pour transformer les matériaux usagés. Tous ces éléments posent ainsi un problème commercial : le plastique recyclé n’est pas concurrentiel par rapport au plastique neuf et au pétrole vierge. Trop cher et doté d’une moindre qualité, celui-ci est souvent exporté vers la Chine étant donné ses besoins énormes en matières premières et plastiques. Ainsi, en France, beaucoup de matières recyclées avec nos déchets sont vendues en Chine, ce qui implique un coût écologique énormissime lié à l’exportation vers l’Asie.
L’incinération pendant la crise sanitaire : une machine qui roule ?
La Métropole de Lyon avance que la quantité d’ordures ménagères globale a diminué de 8% pendant le confinement. Cela peut s’expliquer par une diminution de l’activité économique et du tourisme. Ce taux est, depuis le déconfinement, revenu à la normale.
Pour autant, L’institution métropolitaine note également l’augmentation des erreurs de tri malgré la simplification des consignes depuis janvier 2020 : "on retrouve beaucoup de textiles, de déchets électriques et électroniques, de déchets dangereux et de masques… dans la poubelle de collecte sélective". Ces "refus de tri" vont alors s’orienter vers un des deux incinérateurs de Grand Lyon, qui affirme à ce sujet : "la filière de valorisation énergétique des déchets (terme utilisé pour désigner les deux incinérateurs) n’a subi aucune interruption de service".
D’après l’institution, cela signifie que les deux usines n’ont pas été impactées pas la crise en termes de continuité de service public. En revanche, étant donné l’augmentation des "refus de tri" qui se dirigent alors vers les deux UTVE, on pourrait imaginer que la quantité de déchets incinérés n’a pas diminué pendant la crise sanitaire. Les "refus de tri", en hausse, auraient même pu compenser la diminution de quantité des ordures ménagères, n’impactant que peu le tonnage entrant dans les deux incinérateurs.
Quels projets d’avenir ?
Zéro Déchet Lyon prône une diminution de 50% des déchets incinérés et invite à repenser nos modes de consommation à la source. Claire Dulière affirme : "c’est le moment ou jamais de réduire de 50% nos déchets grâce à un programme de gestion alternatif : éviter de jeter, utiliser du lavable et privilégier les circuits locaux". Pour cela, l’association imagine une gestion plus "soutenable" écologiquement et économiquement, permettant "la création de 5000 emplois" dans la Métropole.
Un autre horizon, plus délicat, concerne la tarification incitative et l’application du principe "pollueur payeur", déjà mis en place à Besançon et dans 126 territoires en France. L’objet est de prendre en compte la quantité de déchets produite par chaque usager dans leurs facturations avec une part fixe et une autre variable. Le caractère "incitatif " de cette tarification vise à éveiller les consciences et faire (ré)agir les habitants les moins "vertueux", sous la menace d’une taxation, en plus de financer les coûts de traitement des déchets. Ici, l’incitation est financière. Et le risque serait d’accroitre des inégalités de richesse.
D’autres alternatives semblent envisageables, comme la taxation des industries polluantes ou le principe de bonus-malus aux entreprise utilisant (ou non) du plastique recyclé. Pour autant, ces réformes relèveraient d’une législation nationale et des choix politiques de la majorité. De plus, des organismes comme Citeo, délégués par l’Etat, peuvent appliquer des bonus-malus à leurs adhérents. Citeo, éco-organisme de recyclage plastique, a été épinglé par la Cour des Comptes dans son rapport 2020 en raison de ses mesures "pas assez incitatives" : ses adhérents, allant de Danone à Coca-cola, ne modifient pas leurs politiques sur les emballages plastiques, quitte à payer des malus.
La Métropole peut-elle se passer de ses incinérateurs ?
Malgré une transition des modèles, il est pour l’heure impossible de se séparer complètement des deux UTVE. Claire Dulière précise : "le zéro déchet n’existe pas. C’est un horizon". En effet, tant que nous consommons du plastique et certaines matières non recyclables, les incinérateurs ne pourront disparaitre de nos paysages.
Idéalement, la fermeture d’au moins une infrastructure serait idéale, mais n’est compatible qu’avec une réduction importante des déchets non recyclables. Une autre solution, moins optimale mais plus réaliste, serait de conserver un incinérateur, voire les deux, tout en réduisant drastiquement le nombre de "lignes" (de fours) actives. Pour Claire Dulière : "stratégiquement, il est envisageable de conserver les deux infrastructures avec un régime moindre : l’acheminement des déchets serait simplifié et, si l’un tombe en panne, l’autre pourrait le relayer".
De plus, la question du chauffage thermique fourni par les incinérateurs à quelques 20 000 foyers de la Métropole peut trouver une réponse : l’institution s’est engagée à rénover énergétiquement 200 000 foyers d’ici 2030. Si ces travaux sont ciblés, cela permettrait la diminution des pertes énergétiques de ces foyers "passoires". En effet, les 20 000 foyers grand lyonnais actuellement fournis par la chaleur produite par les incinérateurs – soit seulement 3,2% des foyers de la Métropole – couvrent 32% des besoins énergétiques thermiques de celle-ci d’après le rapport PCAET 2030.
En parallèle, la Métropole mise sur le renforcement du tri et des filières de recyclage. Pour autant, il semble que la philosophie "zéro déchet", prônant une réduction de nos consommations à la source, tende davantage vers une pratique écologique : compostage des biodéchets, création d’objets, donneries, recyclage "maison", réparations, récup’, vente en vrac et circuits courts etc. Le vent tourne et de nombreuses initiatives locales voient le jour. Dans le 9e arrondissement, l’association imagine déjà la mise en place d’un "quartier zéro déchet", en lien avec la nouvelle municipalité, verte. Les adhérents de la philosophie "no waste" verront peut être leurs desseins se concrétiser.
Dans le système actuel, "tout brûler" est plus rentable que d'avoir des circuits de recyclages efficaces. On est toujours prisonnier des "budgets" qui font que "composter" est un circuit plus cher, que "ne pas produire de déchets" équivaut à "ne pas consommer autant et donc, faire du chômage", etc, etc.
Triste.
Pour info: les échanges monétaires datent de plus de 3 siècles avant JC, L'homme et ses nombreuses découvertes n'a jamais cru bon de le remplacer par un autre système mise à part le très singulier ABO et ses élucubrations.
Quand un système arrive à saturation à force d'optimisation, et détruit tout, on en change.
"Zéro Déchet Lyon prône une diminution de 50 % des déchets incinérés et invite à repenser nos modes de consommation à la source". C'est bien beau mais totalement irréaliste quand on pense notamment à la croissance des incivilités et au principe du "zéro contrainte" cher à beaucoup.
deja reduire les dechets en mettant en place plus de composteurs pour les dechets vert ca reduirai beaucoup les poubelle grises
Le pouvoir calorifique inférieur (PCI) ne signifie pas production potentielle d'électricité (ici 2 200 kWh par tonne). Comme dans tout processus thermodynamique les pertes sont énormes. Le record dans ce domaine c'est le nucléaire où l'on récupère que 30 % de la chaleur produite. Les pertes les plus faibles sont dans l'hydraulique, les pertes de charges dans une conduite forcée (forces de frottement) sont en moyenne de 15 %. Quand au solaire, les panneaux récupèrent moins de 1/1000 è de l'énergie émise par le soleil.