La place Mazagran, où est installé le bar Court Circtuit. (©Antoine Merlet)

Lyon : histoire de la Guillotière, de ses origines à la gentrification

Rendez-vous à la Guille ! À Lyon, il y a ceux qui se retrouvent sous la queue du cheval... et ceux qui préfèrent aller “de l’autre côté du pont”. Quartier cosmopolite de la ville, la Guillotière est aussi son âme, marqueur de l’évolution de la cité comme de son histoire.

Guillotière, qui es-tu ? L’origine de son nom reste un mystère. Est-ce le gui des druides, les grelots du muguet, présents en nombre sur ces berges du Rhône avant qu’elles ne s’urbanisent, ou la grange de sieur Guillot ?À moins qu’il ne s’agisse d’une auberge tenue par un homonyme ? L’origine de la Guillotière, c’est surtout l’histoire d’un pont. Sans lui, point de salut pour traverser un Rhône sauvage qui n’hésitait pas à emporter avec lui les plus aventuriers. La position du premier pont (en bois) sur le Rhône, du temps de Lugdunum, fait débat – et sans doute pour longtemps – chez les historiens et les archéologues.

Au XIe siècle apparaissent les traces d’un autre pont sur le Rhône, qui prendra le nom de “pont de la Guillotière”. Avec lui se développent auberges et hôtels, idéalement situés sur le chemin des croisades. Une bénédiction pour les tenanciers, qui va devenir une malédiction en 1190, quand l’unique pont s’effondre sous le poids des armées des rois Richard Cœur de Lion et Philippe II Auguste. L’édifice est reconstruit en bois,renforcé progressivement par des éléments en pierre.

Le bourg, la vie, la mort

Les Lyonnais viennent s’encanailler dans le bourg, car la vie (le vin et les femmes) y est moins chère. Les croisés sont remplacés par les voyageurs, pèlerins et parfois même rois : Louis XI loge à la Guillotière en 1475, tout comme Marie de Médicis. Mais le bourg est vulnérable au moindre caprice du Rhône. En 1570, une grande partie est détruite par une inondation, elles seront récurrentes jusqu’au milieu du XIXe siècle, avant d’être stoppées par un nouvel aménagement des berges.

Le 11 octobre 1711, le drame ne vient pas de l’eau, mais d’un mouvement de foule. Toute la journée, les Lyonnais se sont pressés à Bron pour la vogue de Saint-Denis. Au retour, le pont et le carrosse bloqué de Mme Servient agissent comme un goulot d’étranglement, c’est la “bousculade du pont de la Guillotière”, les corps sont broyés, ceux qui tombent dans le Rhône se noient. Le bilan est sombre : ce jour-là, au moins 241 personnes ont perdu la vie.

Le projet fou de Crépet

Sous la Révolution, la Guillotière est rattachée à Lyon en 1789, pour ensuite prendre son indépendance en 1793. De 1 500 habitants en 1700, le bourg passe à 6 000 en 1800. La rive gauche est un diamant brut que l’architecte Christophe Crépet aimerait sublimer. En1845, dans sa Notice historique et topographique sur la ville de la Guillotière, il imagine une cité utopique allant de la Tête-d’Or au nord du futur Gerland, traversée par de larges avenues avec gare, trottoirs, fontaines et même... urinoirs. Crépet veut une ville de 300 000 âmes avec “des rues bien alignées, des cours, des quais, des boulevards, des monuments, puis des fabriques, des usines, de vastes entrepôts, en un mot tout ce qui peut augmenter son développement”.

En avance sur son temps, l’architecte voit du macadam au sol et des galeries marchandes sous des arcades. Dans son rêve, la Guillotière est indépendante de Lyon, ce qui ne plaît pas à cette voisine plus moqueuse qu’autre chose. L’utopie de Crépet va mourir définitivement en 1852 avec le rattachement de la Guillotière à Lyon et la création du 3e arrondissement. Vivier d’emploi industriel porté parles ateliers de verrerie, chimie et bougies, la Guillotière compte alors 50 000 habitants, s’imposant comme le nouveau quartier ouvrier.

La rebelle

Quand la Croix-Rousse et les canuts se sont rebellés plusieurs fois au cours du XIXe, l’un des barouds d’honneur qui marquera les esprits sera celui de la Guillotière en 1871. Bien avant celle de Paris, la “Commune de Lyon” est proclamée le 4 septembre 1870.Le drapeau rouge hissé sur l’hôtel de ville y restera jusqu’au 3 mars 1871, dans un contexte marqué par la guerre contre les Prussiens et leur victoire. Ville modérée et antiparisianiste, qui n’a jamais oublié l’humiliation infligée par la Convention pendant la Révolution, Lyon ne va pas suivre la capitale dans sa propre Commune insurrectionnelle.

Le 30 avril 1871, la Commune de la Guillotière prend la suite, sans le soutien des canuts, ni même de la Croix-Rousse. Le drapeau rouge apparaît sur la mairie d’arrondissement, des affiches sont placardées : “Les membres qui composent la Commune provisoire sont surtout résolus, plutôt que de se laisser ravir la victoire, à ne faire qu’un monceau de ruines d’une ville assez lâche pour laisser assassiner Paris et la République. Vive la République démocratique et sociale et universelle.

Mais, quand les traboules du centre-ville et les petites rues avaient pu protéger les canuts lors de leurs révoltes, les grandes artères créées par le préfet Vaïsse pour permettre à l’armée de charger se révèlent mortelles pour les nouveaux insurgés. Le mouvement est maté dans le sang, plus de cent insurgés sont massacrés. La Guillotière est devenue le nouveau quartier rebelle de Lyon, les autorités en profitent pour en faire un exemple lors des multiples jugements qui suivront.

Quartier d’immigration

Sous la jeune IIIe République, Lyon attire une grande partie de l’immigration italienne, qui s’installe alors à la Guillotière, là où sont les emplois industriels, ainsi que les loyers les plus accessibles. Ce sont les entreprises italiennes du quartier qui contribueront à donner à la ville ses pavés modernes. Les usines vont se déplacer vers l’est et le sud,mais les Italiens restent autour de la Guillotière.

En 1894, après l’assassinat du président Sadi Carnot par l’anarchiste italien Caserio, les commerces sont pris pour cible. Progressivement, les Italiens vont s’installer du côté de Gerland, dans des bidonvilles. La mauvaise réputation de la Guillotière prend le pas, on la surnomme alors “le Triangle du Crime”.

Entre les deux guerres, Grecs, Arméniens, Espagnols et Juifs trouvent refuge dans le quartier, échappant aux persécutions. Après-guerre, l’immigration est majoritairement maghrébine. Même si tous les nouveaux venus dans la ville n’y habitent pas, la “petite Afrique”est un lieu de rendez-vous incontournable. Dans les années 1980, l’immigration est asiatique et le quartier prend le surnom de Chinatown lyonnais.

En 2013, certains y imaginent même une arche comme celle de New York ; elle n’a pas encore vu le jour. Progressivement, le quartier s’est gentrifié, les populations immigrées ont été repoussées en périphérie par des loyers qui n’ont cessé d’augmenter. La Guillotière avait ravi à la Croix- Rousse son titre de rebelle, la voici qui devient à son tour un quartier bobo. L'âme de Lyon y survivra-t-elle ?

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