Lyon Capitale a passé deux jours en compagnie d'une section du Service militaire volontaire (SMV) sur la base aérienne d’Ambérieu-en-Bugey à 50km de Lyon. Objectif pour ces jeunes âgés de 18 à 25 ans en décrochage scolaire : s’“armer pour l’emploi”.
Il est à peine 7h00 du matin sur la base aérienne d'Ambérieu-en-Bugey, à 50km de Lyon. La journée s'annonce grise et froide, le genre que l'on passerait bien sous la couette. Les jeunes du SMV (Service militaire volontaire) sont déjà debout, frais et dispos. Enfin presque. Certains sont sortis sans une partie de leur équipement ou sans réussir à accrocher leur sac de couchage. D'autres encore n'ont pas eu le temps de se laver les dents, ce qui leur vaut quelques railleries de la part de leurs supérieurs. Ceux-là ne sont ici que depuis quelques mois et ont encore beaucoup à apprendre. Car le centre du SMV de l'armée de l'air à Ambérieu-en-Bugey n'a ouvert que le 1er mai 2017. “Il a fallu rénover les salles de cours et recruter de nouveaux cadres rapidement”, explique le lieutenant-colonel Fromion, le responsable du centre.
Le dispositif du Service militaire volontaire, lui, a été lancé en Moselle à Montigny-lès-Metz peu après les attentats de janvier 2015 avant d'être transposé à Brest, Brétigny-sur-Orge, La Rochelle et Châlons-en-Champagne . Il s'inspire du Service militaire adapté (SMA) déjà présent dans les territoires d'outre-mer depuis 1961. Son objectif : réinsérer socialement et professionnellement des jeunes âgés de 18 à 25 ans en décrochage scolaire ou au chômage. Ces derniers s'engagent volontairement pour une période allant de 6 à 12 mois. “C'est une école de la vie. On leur apprend à se respecter eux-mêmes, à retrouver les règles de la vie collective et à découvrir leurs propres limites physiques et morales”, expose le lieutenant-colonel. Lui comme ses subordonnés, venus de différents corps de l'armée française, s'est porté volontaire pour encadrer les jeunes. Un encadrement qui a tout de la vie militaire, si l'on excepte l'usage des armes, mais qui offre aussi l'accès à une formation professionnelle adaptée à leur projet de vie et qui leur permettra de passer le permis de conduire.
Le programme de la journée s'annonce des plus rustique. Après avoir été alignés et mis au garde-à-vous, les jeunes embarquent avec leur paquetage dans un bus en direction du camp militaire de la Valbonne. Arrivés sur place, les volontaires reçoivent l'ordre de se tartiner le visage avec de la boue, puis de former une colonne de binômes séparés d'environ cinq mètres et de se mettre en marche sur une petite route de campagne. Le binôme de tête a la responsabilité de guider ses camarades avec une carte du secteur. “Si on arrive en retard pour le déjeuner, ça sera de votre faute”, le prévient son cadre.
La marche durera environ 1h30 sans trop de difficultés, si ce n'est que chaque irruption de véhicule sur la voie doit être signalée d'un tonitruant «voiture !» par l'un des membres de la colonne. Tout le monde doit aussitôt se camoufler en urgence dans le fossé le plus proche, quitte à plonger dans les orties. La manœuvre, sous ses faux airs de septième compagnie, a en réalité pour but d'apprendre aux jeunes à communiquer entre eux et à s'organiser collectivement, tout en respectant une hiérarchie et en prenant des initiatives. C'est aussi l'occasion d'apprendre la solidarité, le groupe s'adapte aux plus lents, et non pas l'inverse.
"Avant de venir ici, j’étais devenu pitoyable"
C'est exactement ce que sont venus chercher la plupart de ces volontaires, à l'image de Rubis, solide gaillard âgé de 20 ans qui a été sélectionné par ses supérieurs pour répondre à nos questions. “Avant de venir ici, j'étais devenu pitoyable, lâche-t-il sans langue de bois. Je me suis dit qu'il fallait que je me reprenne en main. Je n'avais pas d'avenir, juste le bac. Je passais mes journées chez moi à ne rien faire, et j'avais besoin de formations mais sans permis c'était très compliqué.”
Le témoignage d'Élodie, âgé de 18 ans et elle aussi sélectionnée pour se plier à l'exercice de l'interview, va dans le même sens : "Avant je ne faisais pas grand chose, j'essayais de m'occuper, je faisais du baby-sitting quand je pouvais, j'ai essayé de faire de la vente en animalerie mais ça n'a pas marché. Je suis venu ici parce que j'étais attirée par la rigueur et la discipline. J'avais besoin d'être soutenue, encadrée, et d'aller au bout de moi-même.”
Les éléments de langage sont bien rodés, mais assez représentatifs de l'état d'esprit des jeunes à qui nous avons pu nous adresser. Quelles que soient leurs histoires respectives ils répètent tous la même chose : ils sont venus au SMV pour acquérir un cadre, un permis, et une hygiène de vie. “Le souci des patrons aujourd'hui, c'est de trouver un jeune qui arrive à l'heure le matin, résume le lieutenant-colonel Fromion. Les familles nous donnent de bons retours, on a des mamans qui nous disent ‘mon fils fait son lit et m'aide à faire la vaisselle, je ne le reconnait plus’”, s'amuse-t-il.
Après l'effort, le réconfort. La découverte des rations de combat de l'armée française sera l'un des rares moments de détente de la journée. Mais avant de pouvoir goûter aux boîtes de conserves à la sauce militaire, il faut apprendre à monter une tente, ce qui relève d'un vrai parcours du combattant pour certains qui n'ont jamais fait de camping au cours de leur vie. La course d'orientation organisée dans l'après-midi, en réalité un simple parcours de plots sur une toute petite surface, s'avérera également être un exercice complexe pour quelques uns qui n'ont jamais été confrontés de près ou de loin au simple concept des points cardinaux. C'est aussi l'objectif du SMV : tout reprendre à zéro.
Une fois le camp installé, les jeunes se voient attribuer des tours de garde. Les plus chanceux feront leur quart tôt en début de soirée. Les autres devront se réveiller en plein milieu de la nuit. Pas de quoi effrayer Ghislain, la vingtaine : “avant je me couchais à 5h du matin, maintenant c'est l'heure à laquelle je me réveille”, ironise-t-il. Les cadres réunissent leurs sections en rang pour une marseillaise nocturne avant de renvoyer chacun à son poste. Réveil prévu à 6h le lendemain.
“Il y a aujourd'hui un véritable enjeu de société, l'armée ne peut s'en départir”
La deuxième journée se fera cette fois à l'abri et au sec en compagnie de Christelle, professeur des écoles mise à disposition par l'éducation nationale. Elle a été sélectionnée par un appel à candidature pour lequel elle s'est portée volontaire, comme ses collègues de l'armée de l'air. Le cours de ce matin doit permettre de revoir les fondamentaux des mathématiques en développant un projet d'espace vert à l'aide de mesures et de conversions et en remplissant un bon de commande. Une application concrète de la théorie qui séduit les élèves comme Anthony, 19 ans. “La prof, elle apprend bien”, affirme-t-il. Quand on lui demande ce qu'il préfère entre les cours et les activités en extérieur, il répond, sans hésiter “les deux !”.
L'armée y trouve-t-elle son intérêt ? “Chaque année il y a 130 000 jeunes qui sortent du système scolaire sans diplôme, il faut bien faire quelque chose, répond le lieutenant-colonel Fromion. Il y a aujourd'hui un véritable enjeu de société, l'armée ne peut s'en départir.” Est-ce un moyen détourné pour recruter des soldats ? Ici, on assure que non, et on explique d'ailleurs que seuls 5% des SMV finissent par s'engager à l'issu de leur formation. On admet volontiers en revanche que cette mission permet aussi le renforcement du “lien Armée/Nation” redevenu un véritable enjeu politique au fil des dernières années.
La devise du SMV, “Armer pour l’emploi”, résume ainsi a elle seule l'objectif du dispositif : les armées veulent démontrer qu'elle peuvent être utile à la société civile. Reste qu'elles ne peuvent accepter plus de 1 000 jeunes par an. "L'armée ne peut pas tout faire, admet le gradé. Mais ce serait étrange qu'elle ne fasse rien". Le gouvernement a bien compris l'efficacité du SMV puisqu'il devrait être pérennisé dans son format actuel dans la prochaine loi de programmation militaire au moins jusque 2019.