PHOTOPQR/LE PROGRES/Joël PHILIPPON – Lyon 3e Arrondissement 21/02/2020 – Vote résiliation Rhônexpress par Sytral. Lyon vendredi 21 février 2020 -Lors du vote. Vote de résiliation de la convention Rhônexpress par le comité syndical du Sytral.

Lyon : Kimelfeld porte un coup au système Collomb avec Rhônexpress

Vendredi 21 février, le conseil du Sytral vote pour la résiliation du contrat Rhônexpress. Le président de la métropole de Lyon, David Kimelfeld, exulte. Après plus d'une heure de débats et de doutes, il sait qu'il aura les douze voix requises pour faire passer cette mesure sans possible retour en arrière. Lors du vote final, il lève les deux bras faisant le V de la victoire. À côté de lui, Gérard Collomb croise les bras. La mine sombre, il est KO. Son ancien dauphin, devenu dissident, vient de porter un coup à sa conception du modèle lyonnais.

Rhônexpress est un vif sujet de débats pour les Lyonnais, une navette à 16,30 euros entre la Part-Dieu et l'aéroport de Saint-Exupéry sans écosystème concurrentiel fort (lire ici). Une liaison express garantie par une clause de non concurrence, dont la grande majorité du coût est supportée par la collectivité. Cette dernière a financé l'infrastructure et va continuer de la rembourser jusqu'en 2038.

En 2007, la chambre régionale des comptes livrait un constat implacable sur cette concession détenue par le mandataire Vinci (28 %), Transdev (28 %) et la Caisse des dépôts (36 %). Dans son avis, elle estimait que : "la durée du contrat fixée à trente ans n'est pas justifiée" en raison du fait que "le délégataire ne supporte aucune charge d'investissement (...) L'intégralité du coût de l'investissement est supportée par la collectivité". 

Le modèle lyonnais de Collomb

Début 2019, le président de la métropole de Lyon, David Kimelfeld, et la présidente du Sytral, Fouziya Bouzerda, apprennent que la Chambre régionale des comptes va livrer un nouvel avis accablant sur Rhônexpress. Ils décident de renégocier le contrat avec trois objectifs : faire baisser le prix du ticket de la navette, avoir plus de concurrence, notamment via des bus directs, et enfin améliorer la desserte de l'Est lyonnais.

Mais pour Gérard Collomb, s'attaquer à Vinci, c'est s'attaquer à son modèle lyonnais. Le maire de Lyon, ancien président de la métropole, a toujours fait preuve de bienveillance envers les grandes entreprises et groupes. Il respecte à la lettre les principes de la "lyonnitude" érigée par l'historien Bruno Benoit et ses trois piliers fondateurs : la chambre de commerce avec le monde économique, Fourvière, pour l'aspect spirituel et les Terreaux, cœur politique de la ville. Dans le modèle lyonnais de Collomb, prendre soin des entreprises, c'est s'assurer qu'elles contribuent au dynamisme du territoire, à l'emploi et au rayonnement. Si Gérard Collomb a su rapidement prendre sous son aile Emmanuel Macron avant sa candidature, c'est qu'il retrouve ces idées chez le futur président.

De son côté Kimelfeld est plus nuancé. "Je viens du monde de l'entreprise, je le connais, je ne suis pas fasciné par lui. Il faut aussi être exigeant avec les entreprises. Quand un contrat est déséquilibré, on ne peut pas laisser les choses comme cela", confie-t-il. Il sait qu'être trop bienveillant avec quelques entreprises, c'est aussi le risque de voir de grands groupes s'accaparer les plus grands projets, jusqu'à ce que cela devienne trop visible.

"Vinciland"

Lyon est parfois surnommée "Vinciland". L'entreprise a multiplié les projets sur l'agglomération : le Parc OL, le second tube du tunnel de la Croix-Rousse, le musée des Confluences, le pont Schuman sur la Saône, la tour To-Lyon à la Part-Dieu, la gestion de l'aéroport Saint-Exupéry... Même pour la future autoroute urbaine de l'Anneau des sciences, Vinci est dans la courte liste des rares acteurs capables de réaliser cet ouvrage estimé entre 4 et 5 milliards d'euros (fourchette basse).

Pour le financer, Gérard Collomb promet une concession avec le paiement d'un péage (lire ici). Les planètes s'alignent pour le géant du BTP. Et puis il y a Rhônexpress, "une machine à cash". La concession affiche une belle santé financière. En 2018, elle a réalisé un résultat net à 2,824 millions d'euros. S'attaquer à Rhônexpress, c'est s'attaquer à Vinci. Gérard Collomb voit donc d'un mauvais œil cette renégociation et monte au créneau.

"Aller doucement avec Vinci"

En juin, lors des 50 ans de Lyon Parc Auto au H7, alors que Gérard Collomb prend la parole, il adresse publiquement un conseil direct à Fouziya Bouzeda. Il lui demande "d'aller doucement avec Vinci", s'inquiétant "des nombreux investissements" de l'entreprise en ville.

En parallèle, la renégociation continue et ne donne rien. La Chambre régionale des comptes publie un nouvel avis sur la concession, une nouvelle fois accablant pour Rhônexpress : "les installations ne sont pas à la charge du concessionnaire, qui n'en assure pas le financement in fine. Le concessionnaire ne prend donc en charge que la simple exploitation et le gros entretien, sur la base des recettes de billetterie. Le risque du délégataire est donc faible et ne concerne aucunement l'investissement". "La question de la correspondance entre la durée de la concession et celle de l'amortissement de l'équilibre réalisé par le concessionnaire ne se pose donc pas".

Étudier la résiliation anticipée

Comme en 2007, pour la Chambre régionale des comptes, une concession de 30 ans, semble donc être 30 ans de trop. À cause de plusieurs éléments, dont "un niveau trop élevé de rentabilité", la Chambre conseille d'étudier la possibilité d'une "cessation anticipée".

En novembre, Rhônexpress, Sytral et métropole n'ont pas trouvé d'accord. Kimelfeld décide de lancer le processus pour aller à la résiliation. Cette dernière doit être votée au Sytral. Une nouvelle fois, Gérard Collomb va plaider pour ne pas aller à la rupture. À plusieurs reprises, il va proposer "une médiation", se voyant accusé par David Kimelfeld de faire le jeu de Vinci et de tenter de gagner du temps pour repousser les choses au prochain mandat. Au final, la délibération doit bien être présentée au vote devant le conseil du Sytral le 21 février, mais elle contient une clause qui permet de tout faire annuler. Durant une semaine, le camp Kimelfeld va s'activer pour éviter que cela soit le cas.

Une résiliation et le couperet d'un droit de veto du prochain président de la métropole 

La délibération présentée devant le conseil du Sytral conditionne la rupture du contrat Rhônexpress, "à la conclusion ultérieure avec la Métropole d’une nouvelle convention prévoyant les modalités de prise en charge financière par la Métropole des dépenses dues au titre de la liaison ferrée express entre Lyon et l’aéroport Lyon Saint-Exupéry". Chaque année, la métropole verse au Sytral le montant de l'emprunt que rembourse la collectivité au titre de l'infrastructure Rhônexpress, soit encore 120 millions, étalés jusqu'en 2038 (qui quoi qu'il arrive incombe à la collectivité dans le cadre de Rhônexpress, concession ou non).

Dans l'entourage de David Kimelfeld, on craint que cette condition permette au prochain président de la métropole de Lyon d'user d'une forme de droit de veto pour mettre fin au processus de résiliation.

"Après des mois à défendre Vinci, si Gérard Collomb redevient président, il peut tout arrêter en refusant de passer une nouvelle convention", confie alors un proche de Kimelfeld. Ce dernier décide alors de proposer au vote un amendement complémentaire pour retirer le risque d'un retour en arrière. Cependant, cette mesure doit être également votée par le conseil du Sytral. Si Kimelfeld était assuré d'avoir une confortable majorité pour casser la concession, l'amendement va rebattre les cartes.

Deux votes au lieu d'un

Ce n'est plus un vote à défendre, mais deux. L'amendement est soumis au conseil en premier, va s'en suivre un débat de plus d'une heure. La présidente, Fouziya Bouzerda refuse de le voter expliquant que le Sytral va perdre les garanties financières de la métropole et que le futur président ne sera pas tenu de continuer à contribuer au remboursement de l'emprunt. Kimelfeld balaie l'argument, cela n'a jamais été remis en cause. La loi Mobilités est claire, le futur président de la métropole sera aussi président du Sytral. Ne pas contribuer, c'est pénaliser l'outil. Collomb renchérit, il brandit le risque de devoir payer de fortes indemnités à Rhônexpress. De son côté, le Sytral a estimé le coût de la rupture à 32 millions, Collomb évoque "120 millions". Kimelfeld le ramène sur le chiffre de 32 millions et embraye : "la résiliation est un investissement, elle rapportera un excédent au Sytral dans les 18 prochaines années, cela couvrira les 32 millions".

En effet, la métropole a toujours défendu qu’en récupérant cette concession "déséquilibrée", la collectivité pourra dégager un excédent (une fois les 32 millions d'euros déduits). Trois scénarios ont ainsi été établis : un où le trafic aérien baisserait brutalement, ce qui permettrait toujours de dégager un excédent de 3 millions d’euros d’ici 2038, un scénario stable, pour 30 millions d’euros d’excédent à la clé, et enfin, un très optimiste avec une croissance du trafic aérien et un excédent 56 millions d’euros à la fin.

Le camp Collomb et la droite refusent

De son côté, la droite refuse de voter l'amendement, mais pour d'autres raisons : elle accuse Kimelfeld de s'offrir un coup politique à quelques semaines des élections. Les Républicains posent leurs conditions : "Si l'amendement passe, nous ne voterons pas la rupture", lance François-Noël Buffet. Il était pourtant en faveur d'une rupture du contrat. La majorité sur laquelle peut compter le président de la métropole se réduit.

L'élu Europe Ecologie Les Verts, Pierre Hémon, se porte au secours du président la métropole et accuse certains de pratiquer "des manœuvres dilatoires", "dans l'intérêt des actionnaires et contre les habitants de la métropole". Jean-Paul Bret, maire PS de Villeurbanne, enchaîne. Il s'inquiète de voir le conseil prendre une décision qui ne serait pas comprise du grand public. Rhônexpress est devenu un symbole à Lyon, voir les élus renoncer aurait des répercussions selon Bret. Gérard Collomb répond, s'offusque "d’un vote qui fait appel à l’opinion publique".

Les élus continuent de débattre, impossible alors de savoir comment tout cela va se terminer. Collomb affiche une mine plus souriante, il mènera le combat jusqu'au bout. Certains demandent à la présidente Fouziya Bouzerda de retirer la délibération du vote, d'attendre les prochaines élections. Elle refuse. L'amendement passe au vote, il faut douze voix au minimum pour qu'il soit accepté.

La voix qui fait tout basculer

Georges Képénékian est absent, il a confié son "pouvoir" à Kimelfeld. Le président de la métropole lève les deux mains. Les regards fusent dans la salle, on entend compter à voix haute. Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix, onze... douze. La majorité est obtenue. La droite et le camp Collomb ont voté contre. David Kimelfeld sourit, Collomb se renferme d'un coup. Tout s'est joué à une seule voix, celle de Christian Coulon, maire PS du 8e arrondissement. L'élu a fait basculer le vote. Dans l’entourage de Gérard Collomb, c'est la surprise, il s'agit d'un fidèle. Lors des projections, chaque camp pensait que Coulon voterait de son côté. Le maire du 8e siège pour la dernière fois, il a décidé de prendre sa retraite politique. Au Sytral, il vient de s'offrir une ultime bravade avant de prendre sa retraite politique.

Deuxième vote, cette fois-ci pour la résiliation. La droite vote contre, le camp Collomb et Fouziya Bouzerda préfèrent s'abstenir. Ils ne se prononceront pas sur la rupture au final, l'amendement qui est passé est déjà une défaite. Les douze voix sont réunies. Le contrat sera résilié d'ici six mois, durée du préavis, sans possible retour en arrière. Lors de son vote et celui de Képénékian, David Kimelfeld a levé les deux mains en en faisant le V de la victoire, Collomb semble KO. Il croise les bras. Les photographes immortalisent l'instant. Son ancien dauphin vient de porter un coup visible et médiatique à son modèle lyonnais.

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