Depuis le 4 janvier 2023, des ouvrages en braille sont commercialisés au même prix que des livres classiques. Une petite révolution pour les personnes aveugles et atteintes de déficience visuelle. À Lyon, l’association Valentin Haüy se mobilise depuis plus de 50 ans pour valoriser la lecture du braille.
Le début de l’année 2023 s’est accompagné d’une petite révolution pour les personnes aveugles et atteintes de déficience visuelle. Le 4 janvier, le Centre de transcription et d’édition en braille (CTEB) de Toulouse a annoncé commercialiser 2 000 livres en braille au prix d’un livre classique. Alors que cette libraire en ligne proposait jusqu’à présent ses livres à la vente entre 60 et 120 euros, ils sont désormais vendus à des prix allant de "15 à 30 euros correspondant à des livres classiques", explique Denis Guerin responsable de l’adaptation des journaux du Centre de transcription et d’édition en Braille de Toulouse.
700 euros pour créer un livre
Un prix important qui s’explique par le fait que le coût de fabrication d’un livre en braille avoisine les 700 euros. Un montant très élevé qui prend en compte le temps de confection, environ "deux à trois semaines" par ouvrage, en raison du travail de transcription fait par des spécialistes, l’utilisation de machines particulières et d’un papier spécifique. "Si on prend un exemple, un livre de 350 pages comme Harry Pother correspond à 7 ou 8 volumes en écriture braille", image le responsable du CTEB.
"Si on prend un exemple, un livre de 350 pages comme Harry Pother correspond à 7 ou 8 volumes en écriture braille"
Denis Guerin responsable de l’adaptation des journaux du CTEB
Si l’annonce de la baisse du prix des livres en braille a eu l’effet d’un petit séisme, c’est qu’elle devrait permettre d’élargir la lecture de ce type de livres à plus de personnes malvoyantes, alors que depuis plusieurs années l’intérêt pour cette méthode de lecture, qui utilise le toucher, semble décliner. À titre d’exemple, "un best-seller de chez nous comme Le Petit Prince a été commercialisé a 22 exemplaires", confie Denis Guerin. En 2022, la dernière étude Homère, sur la déficience visuelle en France, estimait pourtant à 1,7 million le nombre de personnes concernées, mais parmi elles seulement 300 000 sauraient lire le braille.
Des livres abordables créés à Lyon
Malgré ces coûts élevés, des alternatives existent pour lire des livres en braille à moindre coût. À Lyon, l’association Valentin Haüy, basée dans le 6e arrondissement, se mobilise depuis plus de 50 ans pour aider les personnes atteintes d’une maladie de la vue. Moyennant une inscription de 27 euros à l’année, elle propose des activités de cuisines, de marches et la location de livres. Des livres réalisés de A à Z par l’association.
C’est Jean-François, déficient visuel depuis sa naissance, qui s’occupe de la partie imprimerie depuis 29 ans. Salarié de l’association, il travaille depuis septembre 2022, "avec une imprimante toute neuve". Un outils de précision qui a demandé un investissement de 34 000 euros à l’association, qui a néanmoins pu compter sur le soutien de la Fondation Caisse d’épargne de Rhône-Alpes, à hauteur de 20 000 euros, du groupe APICIL prévoyance, 9 825 euros, et de la région Auvergne-Rhône-Alpes, à hauteur de 5 000 euros.
Son nouveau petit "joujou" peut imprimer jusqu’à "1 350 pages à l’heure". Après cette étape, les différentes pages vont dans une autre salle, dans laquelle 4 à 5 personnes, dont Martine, sont à pied d’oeuvre. "Paginer, plier, percer, coudre et enfin mettre la couverture sont les différentes phases pour finir un livre", explique la bénévole de l’association. Ici "tout est fait à la main", un détail qui à son importance, puisque "même s’il y a quelques imperfections, le résultat est moins cher". Sur l’année 2022, au total 14 livres ont été confectionnés par l’association, ce qui représente "environ 65 volumes et un volume correspond à 140 pages".
Confirmant la tendance nationale qui voit une baisse d’intérêt pour la lecture du braille, Martine explique que le covid a eu "un réel impact" et cela se traduit par une baisse de la demande d’ouvrages. "Certes on reçoit des demandes de personnes de Bordeaux, de Vendée ou encore de Lille, mais il y a 30 ans des personnes d’Algérie nous envoyaient des demandes".
Le braille intéresse moins les jeunes
Pour autant, on ne baisse pas les bras du côté de l’association Valentin Haüy, dont le nom fait référence à l’homme qui a construit la première école pour aveugles, en 1786. Pour apporter sa pierre à l'édifice, tous les mardis après-midi, Liliane a les yeux rivés sur son ordinateur et son téléphone, dans l’attente de l’appel de personnes désirant emprunter des livres.
"Les livres audio c’est bien, mais les textes en braille nous permettent de garder un certain niveau en orthographe"
Florent, un bénéficiaire de l'association
Aujourd’hui, l’association dénombre "47 bénéficiaires, un chiffre en régression depuis quelques années". Parmi elless, "12 ont moins de 60 ans et 35 ont plus de 60 ans", dont Florent qui "emprunte des livres depuis 40 ans ici". Tout comme Jean-François, il est lui aussi atteint depuis la naissance de troubles de la vision, "je peux voir seulement les formes, s’il y a beaucoup de lumières", précise-t-il. Gros lecteur, il vient quasiment tous les vendredis à l’association pour emprunter des livres. "Les livres audio c’est bien, mais les textes en braille nous permettent de garder un certain niveau en orthographe", explique Florent, en mettant en avant l’importance de cette méthode de lecture.
Salariée de l’association, Rosa, qui a récemment décroché son diplôme de juriste, n’en dit pas moins : "sans le braille, je n’aurai pas pu obtenir mon diplôme, cela a été déterminant pour la suite de ma vie". Aujourd’hui, elle ne peut plus s’arrêter de lire, à tel point que son collègue Jean-François ne cache pas être impressionné par sa vitesse d'exécution. Tous ici espèrent redonner le goût de la lecture en braille aux déficients visuels et qui sait, aider certains jeunes comme Rosa dans leur vie professionnelle.