Nicolas Jacquet a pris ses fonctions de procureur de la République, mardi 5 février, lors de l'audience solennelle de rentrée du tribunal de grande instance de Lyon.
"Du Parlement de Bretagne au Palais des 24 colonnes, des fest-noz bretons à la Fête des Lumières, de la galette-saucisses du marché des Lices à la quenelle des bouchons lyonnais, du Roazhan Park au Groupama Stadium, l'adaptation ne devrait pas être trop rude !" Si la désinvolture des premières réquisitions de Nicolas Jacquet, le nouveau procureur de la République près le tribunal de grande instance de Lyon, a tranché avec le galbe très cérémonial de l'audience solennelle de rentrée du TGI, il n'en reste pas moins que l'ancien gone de la Croix-Rousse est promptement revenu aux affaires.
Des affaires dont le stock a bondi de 80% dans la nuit du 31 décembre au 1er janvier dernier, du fait du transfert de dossiers des ex-tribunaux spécialisés au TGI, dans le cadre de la loi dite de modernisation de la justice du XXIe siècle, dernière réforme judiciaire du quinquennat Hollande*.
Chiffres alarmants
Soit 15 000 dossiers qui viennent s'ajouter au 19 000 affaires civiles, pour seulement 18 agents de greffe supplémentaires. Des effectifs "insuffisants pour (...) résorber ce stock considérable" s'est ému Thierry Polle, président du TGI de Lyon. "Totale inadaptation des moyens" à l'échelon national a poursuivi Nicolas Jacquet, engagé depuis dix ans au conseil d'administration de la Conférence nationale des procureurs de la République, évoquant "le livre noir du ministère public" qui révélait, fin 2017, la situation de certains parquet à bout de souffle, dont celui de Lyon. Un état de fait que dénonçaient huit syndicats de magistrats, qui manifestaient poliment devant la salle d'audience, relayant les "dangers" et le "naufrage" à venir du projet de loi porté par la ministre de la justice, Nicole Belloubet. Autre indicateur important du manque de moyens de la justice lyonnaise : aujourd'hui, un juge d'application des peines doit suivre, en moyenne, 1 000 condamnés. Dans cette situation, "peut-on sérieusement (…) prévenir tout risque de récidive ?" interroge Thierry Polle.
"Schizophrénie ambiante"
L'audience solennelle de rentrée du TGI se tenant le même jour que la grève générale, notamment la manifestation de 4 300 et 7 000 Gilets jaunes à Lyon, le nouveau procureur de la République, sans le citer nommément, est revenu sur le mouvement qui agite la France depuis douze semaines : "si le droit de manifester (était) un droit constitutionnel qu'il (convenait) de protéger, les exactions, dégradations et agressions sur les forces de sécurité n'(étaient) pas tolérables". Dans sa lancée, le nouveau procureur de la République a dessiné la période actuelle "marquée par une forme de schizophrénie ambiante" où, au lendemain d'un attentat, les forces de l'ordre sont héroïsés et le surlendemain conspués, "au prétexte d'un mécontentement et d'un mouvement social". "On oublie trop rapidement qu'en frappant un casque de maintien de l'ordre républicain, on peut atteindre un Ahmed Merabet ou un Arnaud Beltrame" (les deux policiers tués par des terroristes) a-t-il ajouté.
Police de proximité et incivilités
C'est sur la restauration de ce lien avec la population que Nicolas Jacquet a décidé de construire sa future politique judiciaire lyonnaise, arguant du déficit de confiance d'une partie des Français à l'égard des institutions. S'il a approuvé la police de sécurité du quotidien, lancée par l'ex-ministre de l'intérieur et nouveau maire Gérard Collomb – assis dans la salle d'audience –, le nouveau procureur de la République a ajouté qu'elle impliquait aussi une "réponse judiciaire rapide". "Nos concitoyens sont en attente de réponses, une réponse en particulier à ces incivilités et cette petite et moyenne délinquance du quotidien qui pèsent lourdement sur le bien-vivre ensemble, sur l’efficacité et la crédibilité des actions conduites au titre de la politique de la ville et en définitive sur le sentiment d’insécurité."
Caïdat et stups
L'enjeu majeur défini et fortement appuyé par Nicolas Jacquet est donc la territorialisation de l'action judiciaire lyonnaise, via "la conduite de politiques pénales territorialisées contre les trafics de stupéfiants, contre les phénomènes de caïdat et d’emprise territoriale". "Mon parquet poursuivra son action ferme et déterminée de lutte contre toutes les formes d'atteintes aux personnes et de délinquance de voie publique en recourant aux déferrements et aux jugements immédiats des faits les plus graves."
Après avoir salué le "grand professionnalisme" et la "profonde humanité" de Marc Cimamonti, ancien procureur de la République de Lyon, Thierry Polle, le président du TGI, a loué "l'approche très pragmatique" de Nicolas Jacquet qui "privilégiait la dialogue et la concertation". Deux qualités que le nouveau procureur de la République lyonnais a bien pris soin de border en insistant sur son indépendance : "le procureur est un magistrat indépendant qui ne saurait recevoir une quelconque instruction individuelle du pouvoir exécutif et dont la seule mission est de représenter la société et d'agir au nom de la République."
* la suppression des juridictions spécialisées que sont les tribunaux des affaires de sécurité sociale et des tribunaux du contentieux de l'incapacité a été remplacée par la création de pôles sociaux spécialisés dans les tribunaux de grande instance avec transfert au plus tard le 1er janvier 2019 des contentieux correspondants ainsi que d'une partie du contentieux des commissions départementales d'aide sociale.
Qui est Nicolas Jacquet, nouveau procureur de la République de Lyon ?
Je préfère qu'il impose son style plutôt que mes revenus.