Jean-François Zurawik, 67 ans, patron de la Fête des Lumières pendant 15 ans entre 2005 et 2020, a été retrouvé mort jeudi chez lui à Lyon. Il avait métamorphosé la célèbre fête lyonnaise. Lyon Capitale vous propose de retrouver une longue interview réalisée avec Jean-François Zurawik en décembre 2019.
La Fête des Lumières doit beaucoup, énormément, à Jean-François Zurawik. Le coordinateur général historique de la Fête des Lumières, "patron" de la Fête entre 2005 et 2020, est décédé jeudi chez lui à Lyon. A 67 ans.
"J’ai appris hier avec émotion le décès de Jean-François Zurawik. Il était l’âme de la fête des Lumières. Il en avait fait une grande fête populaire. Jean-François n’est plus là mais les lumières qu’il a laissées dans nos cœurs brilleront toujours", a réagi l'ancien maire de Lyon, Gérard Collomb.
Lyon Capitale vous propose de retrouver une interview de Jean-François Zurawik, réalisée en décembre 2019.
ENTRETIEN – Jean-François Zurawik, arrivé à la direction de la Fête des lumières en 2005, après une édition 2004 controversée, partira à la retraite en 2020. Mais il ne compte pas raccrocher pour autant et se plaît désormais à imaginer un lieu pérenne dédié à la Fête des lumières.
Lyon Capitale : C’est votre dernière Fête des lumières. Le programme est l’un des plus prometteurs que l’on ait pu voir, est-ce votre façon à vous de partir sur une grande fête ?
Jean-François Zurawik : Ça sera la dernière, quand tout sera fini. On ne doit pas fanfaronner avant que tout ne soit fait. On doit encore finir le travail ici avec l’équipe, les artistes. On ne maîtrise pas la météo, l’année dernière le vent a empêché certaines illuminations. Cette année, pour Une rivière de lumières, sur la Saône, notre fenêtre c’est dimanche 8 décembre 19 heures. Tout le monde travaille à fond, mais cela dépendra des conditions météorologiques. Je n’ai pas la prétention de faire une super-fête à la fin, j’ai préparé cette édition comme si j’étais encore là en 2020, 2021. Il fallait relever le challenge et je retiens le travail accompli.
“Parfois, pour des questions de souplesse, il serait intéressant d’avoir une structure public-privé”
Depuis 2005, la concurrence mondiale se fait toujours plus forte et Lyon n’est plus seul. Comment ne pas perdre la main face à des structures parfois privées ?
Même si d’autres festivals montent et tiennent bien leur rang, il faut relever le challenge vis-à-vis des Lyonnais, des visiteurs, des décideurs et partenaires. Le travail commence dès janvier-février, avec un bilan de l’édition précédente, un débriefing. La fête est organisée en interne à la ville de Lyon, en régie directe, c’est une procédure plus longue, quelquefois plus lourde, que si elle était gérée en externe, mais quand le bateau est lancé il avance toujours. Ce n’est pas un regret, mais parfois, pour des questions de souplesse, je me dis qu’il serait intéressant d’avoir une structure public-privé pour gérer la recherche de partenaires en amont et l’exploitation des retombées de la fête en aval, développer les projets qui continuent après la fête.
Comment la fête pourrait-elle évoluer ?
Pour l’étape suivante, on se dit que, si on vient à Lyon en dehors de la Fête des lumières, pourquoi on ne pourrait pas visiter un lieu “Fête des lumières” le reste de l’année ? Nous avons une Cité de la gastronomie, l’institut Lumière pour le cinéma, pourquoi pas un lieu de résidence pour développer cette culture de la lumière éphémère, la lumière spectacle, un vrai labo de la lumière pérenne et de la lumière événementielle qui pourrait également explorer la question de la luminothérapie ? Lyon mériterait d’avoir un lieu de ce type.
Une Cité des lumières ?
Je ne parlerais pas de Cité des lumières ou de cathédrale de lumière, ce sont sans doute des mots trop forts. Un pavillon Fête des lumières ouvert toute l’année nous permettrait de garder une longueur d’avance sur les autres villes. Paris a un Atelier Lumières, je ne veux pas qu’on fasse la même chose. Nous avons notre propre marque, notre propre ADN. Il pourrait y avoir des projections, des objets-lumière, des panoramas de la création, des rétrospectives, des présentations en réalité augmentée. Je plaide pour cette idée de pavillon et je suis prêt à m’investir dedans.
Quel accueil reçoit cette idée de pavillon du côté de la ville ?
Mes référents politiques sont conscients qu’il s’agit de l’étape d’après. Nous avons échangé sur cette idée avec Yann Cucherat, qui s’occupe des grands événements. C’est une opportunité à saisir pour le prochain mandat. Si on fait ça, on gardera une longueur d’avance et on continuera d’asseoir notre leadership.
Aujourd’hui, vous vous retrouvez en concurrence avec des villes que vous avez lancées. Pas de regret ?
À Eindhoven, il y a un festival qui se développe avec un laboratoire. À Riga, en Lettonie, le festival prend une vraie ampleur. Un propriétaire privé de bateaux-mouches a lancé son initiative à Amsterdam, Londres fait aussi sa fête… On se retrouve face à des gens qu’on a aidés, c’est le jeu, mais quelquefois je me dis quand même qu’on pourrait souffrir du manque de reconnaissance. Quand il y a des réunions avec tous les acteurs, tout le monde dit encore que Lyon est la mère de toute la fête ; lors des événements publics, c’est moins le cas.
Lors de la présentation de cette édition 2019, pourquoi avez-vous souligné à plusieurs reprises qu’il s’agissait de créations inédites, ou originales ?
Nous avons toujours eu des créations originales, car notre budget nous le permet. Certains autres festivals essayent de tourner avec des créations existantes. J’ai toujours défendu notre position – “OK, ça démarre chez nous, vous présentez votre œuvre en premier à Lyon” – et les artistes sont d’accord, car venir présenter son œuvre à la Fête des lumières c’est important, c’est comme la médaille qu’on accroche.
Un artiste ou une équipe qui n’a pas encore fait ses preuves peut-il candidater à la Fête des lumières ? Les habitués sont-ils privilégiés ?
Il faut toujours de nouveaux artistes. Nous sommes ouverts à tous les projets, on vérifie s’ils sont réalisables ; quand les équipes sont jeunes, sont-elles bien entourées ? L’appel est lancé mi-mars et à chaque fois on part d’une page blanche. Je peux avoir quelques pistes de travail, ou de réflexion, ça peut nous inciter à aller dans une direction… Quelquefois, on fait des achats d’œuvres, d’autres fois des pistes peuvent se révéler infructueuses. L’année dernière, j’ai proposé à une équipe hongroise et russe de participer pour une installation aux Terreaux. Ce qu’ils m’ont rendu n’était pas suffisamment abouti par rapport à d’autres projets. Le rendu ne permettait pas d’assurer l’équité dans le concours, nous l’avons donc rejeté. Après, on retrouve parfois des artistes sur de mêmes lieux : en quinze ans, Cotten a fait trois fois Fourvière, c’est un gros challenge, vous n’avez pas dix projets chaque année pour la colline. Les Anooki, je n’allais pas les faire revenir pour une projection, il fallait une vraie nouveauté, ce qui a été le cas l’année dernière avec les structures gonflables.
“Une rivière de lumières” a tous les ingrédients pour devenir un classique, peut-on imaginer qu’elle soit reprise chaque année ?
C’est un beau challenge, on expérimente, il y a de l’humain, la nature sur laquelle on ne sait pas encore si l’on pourra compter. Il va y avoir beaucoup de personnes associées, l’artiste Poïesis, la CNR [Compagnie nationale du Rhône, NdlR], VNF [Voies navigables de France], des bénévoles, des sportifs avec des kayakistes. On n’a pas assez insisté là-dessus, mais on veut que les Lyonnais viennent avec des lumignons au bord de l’eau. Il y aura trois niveaux de lecture : les bougies flottantes, les gens avec leur lumière et les façades. 2019 sera un test. Le dimanche soir, peut-être que je dirai oui pour qu’on le retrouve chaque année, tout comme quand on a lancé les Lumignons du cœur. Quand on m’a présenté Une rivière de lumières, j’ai répondu : “J’ai l’impression que vous êtes dans ma tête, vous avez traduit un rêve.”
“Lyon ne doit pas être une vitrine technologique. La technologie doit être au service de la création”
Les drones feront-ils un jour leur apparition à la Fête des lumières ?
L’année dernière, on avait un projet avec des drones qui n’a pas abouti, il y avait des problèmes de sécurité. Notre autre problème, c’est la gestion des flux de public. C’est le genre de spectacle où vous pouvez fixer un public très important… Comment le gérer ensuite ? Dans les années à venir, je suis certain qu’on verra des drones durant la Fête des lumières. Après, j’ai toujours dit que Lyon ne doit pas être une vitrine technologique. La technologie doit être au service de la création, c’est la condition. Si le smartphone permettait d’éclairer, de créer un instant de magie, il serait pertinent, on n’a pas encore trouvé quelque chose dans ce sens. Cette année, nous avons trois sites avec des robots, mais aussi Une rivière de lumières, la simplicité totale, de la poésie, c’est ça qui est chouette. Certains parlent de retour sur investissement, je préfère le “retour sur émotion”.
On note aussi cette année beaucoup d’œuvres sur le dérèglement climatique, l’écologie, la nécessité de ne pas rester les yeux collés sur son smartphone, mais aussi de la brume artificielle, est-ce voulu ?
Ce sont les artistes qui décident des thématiques, nous ne les imposons pas. Il y a une forte tendance autour de la question environnementale, ainsi qu’un questionnement sur les technologies dans nos sociétés. Pour la brume, ou la fumée, la raison est simple : comme dans une boîte de nuit, elle permet de mieux distinguer les effets de lumière comme les lasers. Nous avons une fête qui attire les jeunes. Quand on regarde les tranches d’âge des gens qui sont là, celle des 18-35 ans est davantage représentée quand on compare avec la répartition des gens qui habitent la métropole de Lyon. Je pensais que c’était le cas pour les 35-60, qu’ils étaient plus nombreux, alors que la comparaison avec les chiffres des habitants de la métropole montre que non. Après, quand vous voyez Coda à l’Hôtel-Dieu, Pavillon place Antonin-Poncet, ce sont des choses que vous auriez aux Nuits sonores.
“Depuis l’incendie de Notre-Dame, mettre du matériel dans la cathédrale St-Jean est beaucoup plus compliqué”
La Fête des lumières n’est-elle pas victime de son succès ?
Quand des délégations viennent à Lyon, je leur dis : “Venez le dimanche soir, ça sera plus calme.” Ils rigolent et me répondent : “Lyon, calme ?” Vous ne retrouverez pas un festival où il y a autant de monde. La gestion des flux est compliquée, on est parfois victime de notre succès, ce qui nous a amenés à abandonner certains lieux comme l’église Saint-Nizier. Sortir du bouchon des Terreaux et en créer un nouveau, ce n’était plus possible. Par ailleurs, depuis les attentats, on passe beaucoup plus de temps à gérer les problèmes d’organisation, de sécurité, de mise en relation avec les acteurs que dans notre mission de base de suivi technique et artistique. Depuis l’incendie de Notre-Dame-de-Paris, mettre du matériel dans la cathédrale Saint-Jean est devenu beaucoup plus compliqué. Heureusement, nous sommes toujours là pour continuer de travailler sur la fête, créer des souvenirs, des environnements, c’est le plus important.
Depuis 2005, quelles sont les installations qui vous ont laissé le plus mauvais souvenir, et le meilleur ?
Certaines choses n’ont pas marché, je pense à la place des Terreaux où on avait une espèce d’octogone au centre avec de la lumière qui tapait à l’intérieur et devait se refléter sur la place, ça n’a pas fonctionné. On s’est dit qu’on ne pouvait plus mettre des objets au milieu de la place. Une des réussites que je cite souvent, c’est la Veilleuse des Jacobins : vous entrez dans cette place, tout est dit, c’est magique. Mais mon plus grand souvenir, c’est la compagnie Carabosse au parc de la Tête-d’Or en 2010 et ses installations de feu. C’était une année où il avait un peu neigé avant. La foule était si nombreuse que la pelouse a été piétinée. À la fin de la fête, j’ai vu le responsable des espaces verts, la pelouse était morte, je me demandais comment il allait réagir avec un peu d’appréhension. Il m’a dit : “Vu le succès de la fête, il n’y a aucun regret.” Cette année, du côté des Terreaux, il y aura une petite surprise, on veut étonner les gens. Aux Jacobins, avec un tel écrin pour du laser, ça va fonctionner.
Quel bilan tirez-vous de votre relation avec Gérard Collomb ?
Nous avons eu une relation de confiance. Il faut dire une chose : il n’y a jamais eu de fait du prince, en quatorze ans. En 2004, Gérard Collomb a mal vécu la fête, il a voulu suivre, s’impliquer. Sur certains projets, nous avons eu des discussions, j’ai défendu mon point de vue, je n’ai quasiment jamais subi de refus. Souvent, il présentait le ressenti du public lyonnais. Il y a une phrase qu’il dit qui résume les choses : “Quand on est dans la foule en famille, il fait froid, qu’on se retrouve devant une installation et qu’il faut avoir bac+9 pour comprendre, c’est qu’on a tout faux.” On ne peut pas se permettre d’être trop élitiste, mais populaire ça ne veut pas dire ne pas être de qualité. Aujourd’hui, Gérard Collomb souhaite que je continue de m’occuper de l’international, il souhaite qu’on en discute. Je resterai toujours proche de la Fête des lumières.
Certains militent pour une Fête des lumières plus conceptuelle, qu’en pensez-vous ?
On a toujours des théoriciens qui vous expliquent qu’il faut faire une fête 2.0, 3.0 et qui sont incapables de vous expliquer ce que ça veut dire derrière. Certains ont le sentiment qu’il faut changer les choses, il faut faire attention à ça, toujours avoir un peu de recul et de modestie. Si quelqu’un veut aller dans une direction plus conceptuelle, il faudra l’assumer derrière.